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Constatations du Comité des droits de l'homme - affaire Ng [Canada]

CCPR/C/49/D/469/1991
constatations du 7 janvier 1994 - Comité des droits de l'homme
Pays :
Comité des droits de l'homme : affaire Ng (1994)

Canada / Etats-Unis

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
Quarante-neuvième session
7 janvier 1994
Communication No 469/1991*
CCPR/C/49/D/469/1991 (Jurisprudence)

Présentée par : Charles Chitat Ng [représenté par un conseil]

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Canada

Date de la communication : 25 septembre 1991 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 novembre 1993,

Ayant achevé l'examen de la communication No 469/1991, présentée au Comité des droits de l'homme au nom de M. Charles Chitat Ng en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

Rappel des faits présentés par l'auteur



1. L'auteur de la communication est un sujet britannique, Charles Chitat Ng, né à Hong-kong et résidant aux États-Unis d'Amérique. Détenu dans un pénitencier d'Alberta (Canada) à la date de la communication, il a été extradé vers les États-Unis le 26 septembre 1991. Il affirme être victime d'une violation des droits de l'homme de la part du Canada en raison de son extradition. Il est représenté par un conseil.

2.1 En 1985, l'auteur a été arrêté, inculpé et jugé à Calgary (Alberta) à la suite d'une tentative de vol dans un magasin, au cours de laquelle l'intéressé avait tiré sur un garde de sécurité. En février 1987, les États-Unis ont officiellement demandé l'extradition de l'auteur, qui doit répondre dans l'État de Californie de 19 chefs d'inculpation, dont un enlèvement et 12 meurtres, commis entre 1984 et 1985. S'il était reconnu coupable, l'auteur pourrait se voir infliger la peine de mort.

2.2 En novembre 1988, un juge de la Cour supérieure d'Alberta a ordonné l'extradition de l'auteur. En février 1989, ce dernier a été débouté de sa demande d'habeas corpus et, le 31 août 1989, la Cour suprême du Canada a rejeté son pourvoi.

2.3 L'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis dispose :

"Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée."

Le Canada a aboli la peine de mort en 1976, sauf pour certaines infractions militaires.

2.4 Le pouvoir, que l'article 25 de la loi sur l'extradition attribue au Ministre de la justice, de demander des garanties à l'effet d'éviter que la peine de mort ne soit infligée est purement discrétionnaire. En octobre 1989, le Ministre de la justice a décidé de ne pas demander de telles garanties.

2.5 L'auteur a déposé une demande de révision de la décision ministérielle auprès de la Cour fédérale. Le 8 juin 1990, l'affaire a été renvoyée devant la Cour suprême du Canada, qui a statué, dans son arrêt du 26 septembre 1991, que la décision d'extrader l'auteur, sans avoir reçu l'assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée, ne violait ni les droits de la personne garantis par la Constitution canadienne ni les normes établies par la communauté internationale. L'auteur a été extradé le même jour.

Teneur de la plainte



3. L'auteur soutient que la décision de l'extrader viole les articles 6, 7, 9, 10, 14 et 26 du Pacte. Il fait valoir que l'exécution par gaz asphyxiant, prévue par la législation dans l'État de Californie, constitue en soi un traitement ou un châtiment cruel et inhumain et que les conditions de détention dans le "quartier des condamnés à mort" sont cruelles, inhumaines et dégradantes. Il fait également valoir que la procédure pénale en Californie, pour ce qui a trait spécifiquement à la peine capitale, ne satisfait pas aux principes fondamentaux de la justice. À cet égard, l'auteur dénonce en général le préjugé racial qui prévaut aux États-Unis lorsqu'il s'agit d'infliger la peine capitale.

Observations initiales de l'État partie et commentaires de l'auteur



4.1 L'État partie affirme que la communication est irrecevable ratione personae, ratione loci et ratione materiae.

4.2 Il fait valoir que l'auteur ne saurait être considéré comme une victime au sens du Protocole facultatif, puisque ses allégations se fondent sur des conjectures concernant l'éventualité d'événements qui ne se réaliseront pas nécessairement et qui dépendent de la législation des États-Unis et de décisions des autorités de ce pays. L'État partie renvoie à cet égard aux constatations du Comité relatives à la communication No 61/1979a où il est souligné que le Comité "n'est tenu, aux termes de son mandat, qu'à examiner si une personne donnée a été victime d'une violation effective de ses droits. Il n'est pas habilité à analyser dans l'absolu si la législation nationale contrevient au Pacte."

4.3 L'État partie précise que les allégations de l'auteur visent le droit pénal et le système judiciaire d'un pays qui n'est pas le Canada. Il renvoie à la décision d'irrecevabilité rendue par le Comité à propos de la communication No 217/1986b, dans laquelle le Comité rappelle "qu'il ne peut recevoir et examiner des communications qu'en ce qui concerne des demandes relevant de la juridiction d'un État partie au Pacte". L'État partie affirme que le Pacte n'impose aucune responsabilité à un État concernant des événements hypothétiques qui ne relèvent pas de sa juridiction.

4.4 En outre, l'État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte, puisque le droit de ne pas être extradé n'y est nullement prévu. À cet égard, l'État partie invoque la décision d'irrecevabilité rendue par le Comité à propos de la communication 117/1981c : "Aucune disposition du Pacte n'interdit à un État partie de solliciter l'extradition d'une personne d'un autre pays". Il soutient en outre que même si l'on pouvait établir que, dans des circonstances exceptionnelles, l'extradition entrait dans la sphère des garanties prévues par le Pacte, de telles circonstances sont absentes en l'espèce.

4.5 L'État partie renvoie en outre au Traité type d'extradition de l'Organisation des Nations Uniesd, qui laisse clairement la possibilité d'extrader sans condition puisque l'obtention d'assurances concernant la peine capitale y est laissée à la discrétion de l'État requis, comme le fait l'article 6 du Traité d'extradition entre les États-Unis d'Amérique et le Canada. Il conclut qu'empêcher la remise d'un fugitif dont l'extradition est légitimement demandée par une partie au Traité irait à l'encontre des principes et objectifs des traités d'extradition et aurait des conséquences regrettables pour les États qui refusent d'accéder à ces demandes. Par exemple, l'État partie fait observer qu'il a avec les États-Unis une frontière immense, facile à franchir, qui ferait de son territoire un refuge idéal pour les criminels fuyant la justice des États-Unis. Si ces fugitifs ne pouvaient être extradés en raison du risque théorique qu'ils courent d'être condamnés à mort, ils seraient effectivement intouchables et devraient être autorisés à rester impunément dans le pays, constituant ainsi une menace pour la sûreté et la sécurité des habitants.

4.6 L'État partie fait enfin observer que l'auteur n'a pas fourni de preuves à l'appui de ses allégations selon lesquelles le sort qui pourrait lui être réservé aux États-Unis constituerait une violation des droits garantis par le Pacte. L'État partie souligne à cet égard qu'infliger la peine de mort n'est pas illégal en soi selon le Pacte. Pour ce qui est du délai entre la sentence et son exécution, il voit mal comment une période de détention pendant laquelle un condamné utiliserait tous les recours disponibles peut être considérée comme une violation du Pacte.

5.1 Dans sa réponse à la communication de l'État partie, le conseil de l'auteur fait valoir que l'auteur était et reste la personne directement concernée par la décision d'extradition prise par l'État partie et que la communication est donc recevable ratione personae. Il renvoie à cet égard aux constatations du Comité adoptées à propos de la communication No 35/1978e et soutient qu'un particulier peut se déclarer victime de violations, au sens du Protocole facultatif, lorsque les lois, les pratiques, les actions ou les décisions de l'État partie comportent un risque réel de porter atteinte aux droits énoncés dans le Pacte.

5.2 Le conseil soutient en outre que, la décision incriminée ayant été prise par les autorités canadiennes alors que l'intéressé relevait de leur juridiction, la communication est recevable ratione loci. Il invoque à cet égard les constatations du Comité adoptées à propos de la communication No 110/1981f, selon lesquelles l'article premier du Protocole "devait être interprété comme s'appliquant aux particuliers relevant de la juridiction de l'État partie concerné au moment où la violation présumée du Pacte avait eu lieu" (non souligné dans l'original).

5.3 Enfin, le conseil souligne que l'auteur n'invoque pas le droit de ne pas être extradé; il affirme seulement qu'il n'aurait pas dû l'être sans que l'État partie ait eu l'assurance que la peine de mort ne serait pas infligée. La communication est dès lors conforme aux dispositions du Pacte. Le conseil renvoie aux constatations du Comité adoptées à propos de la communication No 107/1981g, selon lesquelles l'angoisse et la tension peuvent donner lieu à une violation du Pacte, et soutient que cette conclusion est applicable en l'espèce.

Délibérations et décision du Comité quant à la recevabilité de la communication



6.1 À sa quarante-sixième session, en octobre 1992, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a fait observer que l'extradition en tant que telle ne relevait pas du domaine d'application du Pacteh mais que l'État partie pouvait avoir des obligations en rapport avec une question en elle-même extérieure au Pacte, par référence à d'autres dispositions de cet instrumenti. Il a noté que l'auteur ne prétendait pas que l'extradition en soi violait le Pacte, mais que les circonstances particulières liées aux effets de son extradition soulèveraient des questions en rapport avec des dispositions spécifiques de cet instrument. Il a donc estimé que la communication n'était pas de ce fait exclue ratione materiae.

6.2 Le Comité a examiné l'argument de l'État partie selon lequel la communication serait irrecevable ratione loci. L'article 2 du Pacte demande aux États parties de garantir les droits des personnes relevant de leur juridiction. Si une personne est légalement expulsée ou extradée, l'État partie concerné ne sera généralement pas responsable, au regard du Pacte, des violations dont les droits de cette personne pourraient ultérieurement faire l'objet dans l'autre juridiction. En ce sens, l'État partie n'est manifestement pas tenu de garantir les droits des personnes dans une autre juridiction. Cependant, si un État partie prend, à l'égard d'une personne sous sa juridiction, une décision devant nécessairement avoir pour conséquence prévisible une violation, dans une autre juridiction, des droits reconnus à cette personne en vertu du Pacte, cet État partie peut, de ce fait, violer lui-même le Pacte. En effet, il manquerait au devoir qui lui incombe conformément à l'article 2 de cet instrument, s'il livrait une personne à un autre État (partie ou non au Pacte) dans lequel un traitement contraire au Pacte lui serait certainement infligé ou constituerait le but même de sa remise. Par exemple, violerait le Pacte un État partie qui livrerait une personne à un autre État dans des circonstances où il est prévisible qu'elle serait torturée. Le caractère prévisible de la conséquence signifie qu'il y a d'ores et déjà violation de la part de l'État partie, même si la conséquence ne se produit pas immédiatement.

6.3 Le Comité s'est donc jugé compétent pour examiner si l'État partie avait violé le Pacte en décidant d'extrader l'auteur en vertu du Traité d'extradition de 1976 entre les États-Unis et le Canada et de la loi sur l'extradition de 1985.

6.4 Le Comité fait observer que, conformément à l'article premier du Protocole facultatif, il est habilité seulement à recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction d'un État partie au Pacte et au Protocole facultatif "qui prétendent être victimes d'une violation, par cet État partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte". En l'espèce, seul l'examen quant au fond des circonstances dans lesquelles la procédure d'extradition, avec tous ses effets, a été appliquée permettra au Comité de déterminer si l'auteur est victime d'une violation au sens de l'article premier du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime qu'il est approprié d'examiner conjointement la question de la recevabilité de la communication et le fond de l'affaire.

7. Le 28 octobre 1992, le Comité a donc décidé d'examiner conjointement la question de savoir si l'auteur était victime d'une violation au sens de l'article premier du Protocole facultatif et le fond de la communication. Il a jugé regrettable que l'État partie n'ait pas accédé à la demande qu'il lui avait faite, en application de l'article 86, de surseoir à l'extradition de son auteur.


Observations supplémentaires de l'État partie quant à la recevabilité de la communication et au fond de l'affaire



8.1 Dans ses observations datées du 14 mai 1993, l'État partie développe son exposé des faits concernant la procédure d'extradition en général, les rapports du Canada et des États-Unis en matière d'extradition et les circonstances particulières de l'affaire. Il demande aussi des observations concernant la recevabilité de la communication, se référant en particulier à l'article premier du Protocole facultatif.

8.2 L'État partie rappelle que :

"... l'extradition existe pour contribuer à la sécurité des citoyens et des résidents des États. Les délinquants criminels dangereux qui cherchent un refuge leur permettant d'échapper à une poursuite ou à une condamnation au criminel sont livrés à l'État sur le territoire duquel ils ont commis leurs crimes pour y être traduits en justice. L'extradition encourage la coopération en matière de justice pénale et renforce la mise en application du droit interne. Elle se veut une procédure simple et expéditive. L'extradition cherche à établir un équilibre entre les droits de l'individu en cause et la nécessité de protéger les résidents des deux États parties à un traité d'extradition. Les rapports entre le Canada et les États-Unis en matière d'extradition remontent à 1794... En 1842, les États-Unis et la Grande-Bretagne conclurent le Traité Esburton-Webster dont certains des articles régissaient la livraison mutuelle des criminels... Ce traité demeura en vigueur jusqu'à la conclusion du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis de 1976, qui est actuellement en vigueur."

8.3 S'agissant du principe aut dedere aut judicare, l'État partie explique que, si certains États se reconnaissent le droit de juger des individus même si le crime a été commis à l'étranger, lorsque ce sont leurs propres nationaux qui sont soit les victimes soit les auteurs du crime, d'autres États, dont le Canada ainsi que certains autres États de common law, ne le font pas.

8.4 L'extradition au Canada est régie par la loi sur l'extradition et les conditions fixées par le traité applicable. La Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution du Canada et reconnaît un grand nombre des droits protégés par le Pacte, est applicable. La procédure d'extradition comporte deux étapes selon le droit canadien. La première consiste en une instance judiciaire au cours de laquelle le juge saisi examine si la mesure d'extradition est fondée en fait et en droit. L'individu visé par l'extradition peut exposer son cas, preuves à l'appui, devant le juge. Si, à la suite de cette déposition, le juge acquiert la conviction que l'extradition est juridiquement fondée, il ordonne l'incarcération de l'intéressé jusqu'à ce qu'il soit livré à l'État requérant. Un recours en habeas corpus peut être présenté devant une juridiction provinciale pour demander la révision de la décision d'incarcération. Il peut être fait appel de la décision concernant l'habeas corpus devant la cour d'appel de la province puis, sur autorisation, devant la Cour suprême du Canada. La seconde étape de la procédure d'extradition commence dès lors que les appels de la phase judiciaire ont été épuisés. La responsabilité de la décision de livrer l'individu réclamé pour extradition revient au Ministre de la justice. L'intéressé peut présenter des conclusions écrites au Ministre devant lequel son avocat peut aussi, sur autorisation, comparaître et plaider. Le Ministre se prononce sur l'extradition après avoir examiné l'ensemble du dossier constitué lors de la phase judiciaire et des plaidoiries verbales et écrites de l'intéressé; la décision du Ministre est discrétionnaire, mais ce pouvoir discrétionnaire s'exerce dans les limites fixées par la loi. Un grand nombre de facteurs - dont les obligations du Canada en vertu du traité d'extradition applicable, les données personnelles concernant l'intéressé et la nature du crime sur lequel la demande d'extradition est fondée - sont pris en considération pour former la décision. En outre, le ministre doit tenir compte des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des divers instruments, dont le Pacte, où sont énoncées les obligations internationales du Canada en matière de droits de l'homme. Enfin, l'intéressé peut demander la révision de l'arrêté d'extradition pris par le ministre par une cour d'appel provinciale et faire appel, sur autorisation, de celui-ci devant la Cour suprême. La Cour suprême interprète les obligations incombant au Canada en matière de droits de l'homme en vertu de la Charte canadienne, dans le sens indiqué par les instruments internationaux ratifiés par le Canada, y compris le Pacte.

8.5 Dans les cas de condamnation à mort, le Ministre de la justice décide s'il y a lieu de demander des assurances, en fonction des faits en l'espèce. Le Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis ne prévoit pas que des assurances soient demandées automatiquement, mais il prévoit qu'elles le sont seulement dans les cas où des faits particuliers justifient que ce pouvoir discrétionnaire s'exerce spécialement.

8.6 En ce qui concerne l'abolition de la peine de mort au Canada, l'État partie note que :

"... certains États de la communauté internationale, y compris les États-Unis, infligent toujours la peine de mort. Le Gouvernement canadien n'a pas recours à l'extradition comme moyen d'imposer sa conception particulière du droit pénal à d'autres États. En demandant des assurances ipso facto dans tous les cas en l'absence de circonstances exceptionnelles, le Canada se trouverait dicter à l'État requérant, dans le cas présent les États-Unis, de quelle façon il doit sanctionner ses propres délinquants, ayant enfreint son propre droit pénal. Le Gouvernement canadien estime qu'il s'agirait là d'une ingérence injustifiée dans les affaires intérieures d'un autre État. Il se réserve le droit, ... de refuser d'extrader en l'absence d'assurances. Il se le réserve pour en user en cas de circonstances exceptionnelles. Il considérerait comme circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier le recours à cette mesure particulière consistant à exiger des assurances aux termes de l'article 6, le fait, par exemple, qu'il existe des éléments probants indiquant que l'individu réclamé serait en danger certain ou prévisible d'être victime de violations de droits reconnus par le Pacte. Toutefois les éléments de preuve apportés par Ng au cours de la procédure d'extradition au Canada (éléments soumis par son défenseur dans la présente communication) n'étayent pas l'allégation que le fait d'infliger la peine de mort aux États-Unis en général, ou dans l'État de Californie en particulier, viole le Pacte."

8.7 L'État partie se réfère aussi à l'article 4 du Traité d'extradition type des Nations Unies, qui énumère les motifs optionnels de refus d'une demande d'extradition :

"L'extradition peut être refusée : d) Si l'infraction pour laquelle elle est demandée est punie de mort dans l'État requérant, sauf si celui-ci donne à l'État requis des assurances suffisantes à l'effet que la peine de mort ne sera pas prononcée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée."

De même, l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, prévoit que la décision de demander des assurances au sujet de la peine de mort est discrétionnaire.

8.8 En ce qui concerne le rapport entre l'extradition et la protection de la société, l'État partie fait valoir que le Canada et les États-Unis ont une frontière commune - non gardée - de 4 800 km, que les fugitifs sont nombreux à passer des États-Unis au Canada et qu'au cours des 12 dernières années, le nombre de demandes d'extradition émanant des États-Unis a été en progression constante. En 1980, il y avait eu 29 demandes, en 1992, ce nombre atteignait 83.

"Les demandes mettant en cause une éventuelle sentence de mort représentent un problème nouveau, qui va s'amplifiant ... une politique en vertu de laquelle des assurances seraient exigées ipso facto aux termes de l'article 6 du Traité d'extradition canado-américain, encouragerait un plus grand nombre encore de délinquants - et en particulier les auteurs des crimes les plus graves - à fuir les États-Unis et à venir se réfugier au Canada. Le Canada n'a nullement l'intention de devenir une terre d'asile pour les criminels les plus recherchés et les plus dangereux des États-Unis. Si le Pacte devait avoir pour effet de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du Canada de ne pas exiger d'assurances, on courrait le risque de voir un nombre croissant de criminels gagner ce pays afin d'échapper à la peine capitale."

9.1 En ce qui concerne l'affaire de M. Ng, l'État partie rappelle que celui-ci a demandé la révision de la décision d'incarcération en attente d'extradition conformément à la procédure d'extradition décrite ci-dessus et que son conseil a plaidé oralement et par écrit devant le Ministre pour qu'il soit demandé des assurances que la peine de mort ne serait pas infligée. Le conseil a argué que l'extradition qui exposerait l'individu réclamé à la peine de mort violerait les droits qui lui sont reconnus à l'article 7 (dispositions analogues aux articles 6 et 9 du Pacte) et à l'article 12 (dispositions analogues à l'article 7 du Pacte) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême a examiné l'affaire de M. Ng en même temps que l'appel de M. Kindler, citoyen américain accusé d'un crime passible de la peine de mort dont les États-Unis réclamaient également l'extraditionj et a décidé que la décision de les extrader sans demander d'assurances n'enfreignait pas les obligations du Canada en matière de droits de l'homme.

9.2 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l'État partie réaffirme une fois de plus que celle-ci devrait être déclarée irrecevable ratione materiae, l'extradition, en soi, ne relevant pas du domaine d'application du Pacte. L'examen des travaux préparatoires à la rédaction de cet instrument a fait apparaître que ses rédacteurs avaient précisément examiné et rejeté une proposition tendant à y inclure des dispositions concernant l'extradition. Compte tenu de la manière dont se sont déroulées les négociations qui ont abouti au Pacte, l'État partie soutient que

"décider d'en étendre l'application aux traités d'extradition ou aux décisions applicables à des cas individuels prises sur leur fondement, serait élargir les principes qui régissent l'interprétation des instruments relatifs aux droits de l'homme d'une manière déraisonnable et inacceptable. Ce serait déraisonnable en effet car les principes d'interprétation qui veulent que les instruments relatifs aux droits de l'homme soient des textes susceptibles de se développer et que les droits de l'homme évoluent avec le temps ne peuvent être invoqués à l'encontre de limitations expresses à l'application d'un instrument donné. Si l'on considère que le fait que l'extradition n'est pas mentionnée dans les articles du Pacte correspond bien à l'intention de ses rédacteurs, cette absence doit être interprétée comme une limitation expresse."

9.3 L'État partie soutient en outre que M. Ng n'a présenté aucune preuve établissant qu'il a été porté atteinte aux droits que lui garantit le Pacte, pendant qu'il était au Canada. L'État partie note que l'auteur prétend simplement que son extradition vers les États-Unis est contraire au Pacte, puisqu'il fait l'objet dans ce pays d'une accusation qui, s'il est déclaré coupable, peut entraîner sa condamnation à mort. L'État partie soutient qu'il est convaincu que le traitement prévisible dont M. Ng fera éventuellement l'objet aux États-Unis ne constituerait pas une violation des droits que lui reconnaît le Pacte.

10.1 S'agissant du fond, l'État partie souligne que toutes les questions liées à l'extradition de M. Ng, alors qu'il risque la peine de mort, ont été dûment examinées.

"Dans la mesure où l'on admet l'hypothèse que le Pacte s'applique à l'extradition, ... l'État requis ne violerait le Pacte que s'il livrait l'individu réclamé alors qu'il serait certain ou prévisible que celui-ci fera l'objet d'un traitement ou d'une peine ou d'une procédure judiciaire, en eux-mêmes contraires au Pacte."

En l'espèce, l'État partie soutient que, puisque le procès de M. Ng n'a pas encore commencé, il n'est pas raisonnablement prévisible qu'il soit détenu dans des conditions qui violent les droits reconnus dans le Pacte. L'État partie fait remarquer que, s'il est reconnu coupable et condamné à mort, M. Ng dispose de nombreuses voies de recours aux États-Unis et qu'il peut présenter une demande de clémence; il peut, en outre, saisir les tribunaux des États-Unis au sujet des conditions de sa détention pendant que les appels qu'il a formés concernant la peine de mort suivent leur cours.

10.2 En ce qui concerne l'application de la peine de mort aux États-Unis, l'État partie rappelle que l'article 6 du Pacte n'a pas supprimé la peine de mort en droit international :

"Dans les pays qui ne l'ont pas abolie, la sentence de mort peut encore être prononcée pour les crimes les plus graves, en conformité avec la loi en vigueur au moment de la perpétration du crime, sans violation des dispositions du Pacte ni de celles de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Une sentence de mort ne peut être exécutée que conformément à un jugement définitif, rendu par un tribunal compétent. Il pourrait y avoir violation du Pacte de la part du Canada s'il extradait un individu passible de la peine de mort, alors qu'il serait raisonnablement prévisible que l'État requérant infligerait cette peine dans des circonstances telles qu'il violerait l'article 6. En d'autres termes, il pourrait y avoir violation du Pacte de la part de l'État requis s'il livrait l'individu réclamé à un État qui inflige la peine de mort pour d'autres crimes que les crimes les plus graves, pour des actes qui n'étaient pas incriminés par la loi en vigueur au moment où ils ont été commis, ou qui exécuterait une sentence de mort en l'absence d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent ou contrairement à un tel jugement. Ce n'est pas ce qui ressort des faits du présent dossier. ... M. Ng n'a donné aux tribunaux canadiens, au Ministre de la justice ou au Comité aucun élément établissant que les États-Unis ont contrevenu aux critères stricts fixés par l'article 6, lorsqu'ils ont demandé son extradition au Canada. ... Le Gouvernement canadien, en la personne du Ministre de la justice, avait la conviction au moment où l'arrêté d'extradition a été pris, que, si M. Ng devait être exécuté dans l'État de Californie, ce serait dans le respect des conditions expressément prévues par l'article 6 du Pacte."

10.3 Enfin, l'État partie fait remarquer qu'il se trouve placé dans la difficile position de s'efforcer "de défendre devant le Comité le système judiciaire pénal des États-Unis. Il fait valoir qu'il n'a jamais été voulu que la procédure établie par le Protocole facultatif ait pour effet de mettre un État en position de défendre les lois et pratiques d'un autre État devant le Comité".

10.4 S'agissant de la question de savoir si la peine de mort constitue une violation de l'article 7 du Pacte, l'État partie fait valoir :

"... on ne saurait lire ou interpréter l'article 7 sans se référer à l'article 6. Le Pacte doit être considéré comme un tout et ses articles comme étant en harmonie. ... Il se peut que certains modes d'exécution soient contraires à l'article 7. Torturer quelqu'un jusqu'à ce que mort s'ensuive, le serait puisque ce châtiment porte atteinte à l'article 7. D'autres modes d'exécution peuvent violer le Pacte, parce qu'ils s'avèrent cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, la peine de mort étant licite à l'intérieur du cadre étroit des paramètres fixés par l'article 6, il doit nécessairement exister certains modes d'exécution qui ne violent pas l'article 7."

10.5 En ce qui concerne le mode d'exécution, l'État partie soutient que rien n'indique que l'exécution par asphyxie au gaz de cyanure, qui est la méthode utilisée en Californie, soit contraire au Pacte ou au droit international. Il soutient en outre qu'il n'existe dans l'affaire de M. Ng aucune circonstance particulière qui mènerait à une conclusion différente pour ce qui est de l'application à sa personne de ce mode d'exécution; son exécution par gaz asphyxiant ne constituerait pas non plus une violation des Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, adoptées par le Conseil économique et social dans sa résolution 1984/50 du 25 mai 1984.

10.6 En ce qui concerne le "syndrome de l'antichambre de la mort", l'État partie fait valoir que chaque affaire doit être examinée en fonction des faits, y compris les conditions de détention dans l'établissement où le prisonnier sera incarcéré, l'âge et l'état physique et mental du condamné, la durée raisonnablement prévisible de la période d'incarcération du détenu dans les conditions considérées, les raisons de cette durée et les voies, le cas échéant, qui peuvent être empruntées pour remédier à d'inacceptables conditions. Il est affirmé que le Ministre de la justice et les tribunaux canadiens ont examiné et mûrement pesé tous les éléments présentés par M. Ng ainsi que les conditions d'incarcération des personnes condamnées à mort en Californie :

"Le Ministre de la justice ... n'était pas convaincu que les conditions d'incarcération dans l'État de Californie, considérées en conjonction avec les faits particuliers à Ng, le facteur des délais et la possibilité en permanence ouverte à l'intéressé de s'adresser aux tribunaux de l'État de Californie et à la Cour suprême des États-Unis, porteraient atteinte aux droits que la Charte canadienne des droits et libertés ou le Pacte reconnaissent à Ng. La Cour suprême du Canada a confirmé la décision du Ministre, établissant ainsi clairement que l'arrêté ministériel n'aurait pas pour conséquence d'exposer Ng à une violation des droits prévus par la Charte."

10.7 Pour ce qui est de la durée prévisible de la période que M. Ng, s'il est condamné à la peine capitale, passerait dans le quartier des condamnés à mort, l'État partie déclare que :

"... rien ne permettait au Ministre, non plus qu'aux tribunaux canadiens, de déterminer si M. Ng avait l'intention d'utiliser pleinement toutes les voies de recours à sa disposition aux États-Unis pour obtenir la révision judiciaire d'une éventuelle sentence de mort. Rien n'indiquait non plus que le système judiciaire de l'État de Californie ou la Cour suprême des États-Unis souffrent de gros problèmes d'engorgement ou doivent imposer toutes autres formes de délais institutionnels susceptibles de poser problème pendant la période durant laquelle M. Ng, s'il devait être exécuté, serait détenu en attente d'exécution."

L'État partie se réfère, à ce sujet, à la jurisprudence du Comité, d'où il ressort qu'une procédure judiciaire prolongée ne constitue pas en soi, même si elle peut être une source de tension mentale pour les prisonniers condamnés, un traitement cruel, inhumain ou dégradantk. L'État partie soutient que rien ne permet véritablement, au regard des faits présentés par M. Ng lors de la procédure d'extradition au Canada, de prévoir que toute prolongation éventuelle de détention à son retour aux États-Unis entraînera une violation du Pacte, mais qu'il est probable en revanche que la prolongation éventuelle de sa détention dans le quartier des condamnés à mort doive être attribuée à la mise en oeuvre par l'intéressé de toutes les voies qui s'offrent aux États-Unis pour obtenir une révision judiciaire.



Commentaires de l'auteur et de son conseil sur les observations de l'État partie




11.1 En ce qui concerne la procédure d'extradition au Canada, le conseil souligne que l'individu dont on réclame l'extradition fait l'objet d'une décision d'incarcération en attente d'extradition lorsque le juge est convaincu que l'extradition est juridiquement fondée. Le Conseil insiste toutefois sur le fait que l'audition de l'intéressé n'est pas un procès et que celui-ci n'a pas le droit en général de procéder à un contre-interrogatoire des témoins. Le juge n'a pas à peser les preuves à charge par rapport à l'accusation et son rôle se borne à déterminer s'il y a de fortes présomptions. Sa compétence étant ainsi limitée, aucun élément concernant les effets que peut avoir la remise de l'intéressé à l'État requérant ne peut être pris en considération.

11.2 En ce qui concerne l'article 6 du traité d'extradition, le conseil rappelle que lorsque le traité a été signé en décembre 1971, le Code pénal canadien prévoyait encore la peine capitale en cas de meurtre, si bien que l'article 6 aurait pu être invoqué par l'un et l'autre des États parties. Le conseil soutient que l'article 6 ne prévoit pas que c'est seulement dans des "cas exceptionnels" que des assurances peuvent être demandées lorsque la peine de mort a été prononcée. Il fait valoir qu'en prévoyant la possibilité de demander des assurances en vertu de l'article 6 du Traité, on a admis implicitement qu'il convenait que les délits punissables de la peine de mort soient traités diversement et que l'État qui avait à répondre à une demande d'extradition prenne en considération les diverses valeurs et traditions en ce qui concerne une telle peine; il fait valoir ainsi qu'une demande d'assurances en l'espèce ne saurait être considérée par l'État requérant comme une ingérence injustifiée dans ses affaires intérieures. On considère en particulier que l'article 6 du Traité "... permet à l'État requis ... de rester cohérent dans ses positions : si la peine de mort a été abolie sur son territoire, il peut refuser d'assumer, dans quelque mesure que ce soit, la responsabilité d'exposer l'individu en fuite, en le livrant à l'État requérant, au risque de se voir infliger cette peine ou toutes pratiques et procédures connexes". Il ajoute que "il est très significatif que le pouvoir discrétionnaire reconnu à l'article 6 en ce qui concerne la peine de mort, permette aux parties contractantes d'honorer à la fois leur constitution nationale et leurs obligations internationales sans violer les obligations qu'ils ont contractées en vertu du traité bilatéral d'extradition."

11.3 En ce qui concerne la relation entre l'extradition et la protection de la société, le conseil fait observer que le nombre des demandes d'extradition émanant des États-Unis qui était de 17 en 1991 est passé à 88 en 1992. Il rappelle qu'à la fin de 1991, le traité d'extradition entre les États-Unis et le Canada a été amendé de manière, notamment, à rendre les délinquants qui se sont rendus coupables de délits fiscaux passibles d'extradition; les ambiguïtés concernant les règles visant la double incrimination et la réciprocité ont été supprimées. Le conseil estime que l'augmentation des demandes d'extradition peut être attribuée à ces amendements de 1991. Il fait valoir, à cet égard, qu'au moment où l'auteur de la communication a été remis aux États-Unis, l'article 6 du traité était en vigueur depuis 15 ans et qu'au cours de cette période, le Ministre canadien de la justice n'a eu que par trois fois à décider s'il convenait ou non de demander des assurances que la peine de mort ne serait pas imposée ou exécutée. Il affirme, par conséquent, que la crainte de l'État partie que des demandes automatiques d'assurances n'entraînent l'arrivée massive au Canada de délinquants passibles de la peine de mort n'est pas fondée. Enfin il fait valoir qu'il n'est pas concevable que les États-Unis eussent refusé, dans le cas considéré, les assurances prévues à l'article 6 si elles avaient été demandées.

11.4 En ce qui concerne la procédure d'extradition dont M. Ng a été l'objet, le conseil note que l'action intentée devant la Cour fédérale contre la décision du Ministre de l'extrader sans demander d'assurances, n'a fait l'objet d'aucune décision de la part du tribunal fédéral, mais a été renvoyée devant la Cour suprême pour que celle-ci statue en même temps qu'elle examinerait l'appel de M. Kindler. Le conseil note, à cet égard, que la Cour suprême a décidé que l'extradition de l'auteur de la communication n'était pas contraire à la Constitution canadienne sans prendre en considération la procédure pénale en Californie ni les pièces à conviction qui étaient présentées concernant le syndrome de l'antichambre de la mort en Californie.

11.5 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie que l'extradition ne relève pas du domaine d'application du Pacte, le conseil soutient qu'il ne ressort aucunement des travaux préparatoires que les droits fondamentaux de l'homme énoncés dans le Pacte ne doivent jamais être pris en considération dans les situations d'extradition :

"Le fait que l'on se soit montré réticent à inclure une disposition concernant expressément l'extradition pour la raison que le Pacte devait énoncer 'des principes généraux' ou 'des droits fondamentaux de l'homme et non des droits qui sont des corollaires des premiers' ou encore que l'extradition était un problème trop compliqué pour qu'on puisse en faire le tour dans un article unique ne traduit nullement une intention de restreindre ou d'invalider ces principes généraux ou ces droits fondamentaux de l'homme et ne constitue pas la preuve que l'on s'accordait à penser que ces principes généraux n'étaient en aucun cas applicables dans des situations d'extradition."

11.6 Le conseil fait valoir en outre que l'auteur de la communication a déjà, au cours de la procédure d'extradition au Canada, souffert de l'angoisse causée par l'incertitude de son sort, la possibilité de se voir livrer à l'État de Californie pour y faire face à des accusations pouvant entraîner la peine capitale et à la perspective probable qu'il lui y serait réservé "une réception extrêmement hostile et un traitement de haute sécurité par les autorités chargées de faire appliquer la loi dans cet État" et qu'il doit donc être considéré comme une victime au sens de l'article premier du Protocole facultatif. L'auteur dit, à cet égard, être conscient "que la Cour suprême de Californie est devenue depuis 1990 le tribunal probablement le plus rigoureux du pays à l'égard des appels interjetés par des accusés passibles de la peine de mort".

11.7 L'auteur se réfère à la décision du Comité du 28 octobre 1992 et soutient qu'en l'espèce son extradition sans la moindre assurance n'avait d'autre fin que de l'exposer de façon prévisible à l'application de la peine de mort et, partant, au syndrome de l'antichambre de la mort. Le conseil fait valoir que l'extradition de l'intéressé a été demandée alors que pèsent sur lui des accusations susceptibles d'entraîner la peine de mort et que le ministère public en Californie a indiqué sans la moindre équivoque qu'il réclamerait effectivement cette peine. Il rapporte les propos du substitut du Procureur général de San Francisco qui se serait exprimé en ces termes : "la cause est suffisamment claire pour que Ng soit condamné et envoyé à la chambre à gaz s'il est extradé...".

11.8 Le conseil se réfère à cet égard au jugement de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Soering dont la teneur est, en substance, la suivante :

"Dans l'exercice indépendant de son pouvoir discrétionnaire, le Procureur général du Commonwealth a lui-même décidé de demander la peine de mort et de maintenir fermement sa demande, ayant jugé qu'il avait été prouvé que cette peine était justifiée. Si l'autorité nationale qui a la charge de l'accusation prend aussi fermement position, la Cour peut très difficilement soutenir qu'il n'a pas été suffisamment démontré qu'il y ait des raisons de croire que le demandeur court véritablement le risque d'être condamné à mort et par conséquent de souffrir du 'syndrome de l'antichambre de la mort'."

Le conseil soutient qu'au moment où il a été extradé, il était prévisible que l'auteur de la communication serait condamné à mort en Californie et qu'il courrait donc le risque de faire l'objet de violations au regard du Pacte.

11.9 Le conseil se réfère à plusieurs résolutions de l'Assemblée générale dans lesquelles celle-ci juge souhaitable l'abolition de la peine de mortl. Il se réfère en outre au Protocole 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au second Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ajoutant que : "On a constaté qu'il y avait eu, au cours des 50 dernières années, une évolution progressive qui allait s'accélérant tendant à l'abolition de la peine de mort. Cette évolution a amené la quasi-totalité des démocraties occidentales à l'abandonner". Le conseil argue que c'est là un fait qui devrait être pris en considération lorsqu'on interprète le Pacte.

11.10 Le conseil soutient, d'autre part, que le mode d'exécution employé en Californie - l'asphyxie par le gaz de cyanure - constitue un traitement inhumain et dégradant au regard de l'article 7 du Pacte. Il note que l'asphyxie peut ne se produire qu'au bout de 12 minutes, pendant lesquelles les personnes condamnées à ce châtiment restent conscientes, sont manifestement en proie à d'atroces souffrances, bavent et sont saisies de convulsions et, fréquemment, souillent leurs vêtements (mention est faite de l'exécution de Robert F. Harris à la prison de San Quentin en avril 1992). Le conseil soutient qu'étant donné le caractère cruel de ce mode d'exécution, la décision de ne pas extrader sans obtenir d'assurances ne devrait pas constituer pour le Canada une violation des obligations contractées par le traité conclu avec les États-Unis ni une ingérence abusive dans le droit interne et les pratiques de ce pays. En outre, il note que l'asphyxie au gaz de cyanure est l'unique mode d'exécution dans seulement trois États des États-Unis (Arizona, Maryland et Californie) et que rien ne permet d'affirmer que ce mode d'exécution de la peine capitale ordonnée par la justice ait l'approbation d'autres États dans la communauté internationale.

11.11 À propos du "syndrome de l'antichambre de la mort", l'auteur souligne qu'il a l'intention d'user de toutes les voies de recours disponibles aux États-Unis et que les autorités canadiennes en avaient clairement connaissance lors de la procédure d'extradition. En ce qui concerne les délais à prévoir pour les procédures pénales en Californie, le conseil se réfère à des estimations selon lesquelles il faudrait 16 ans à la Cour suprême de Californie pour venir à bout de l'arriéré actuel des appels de condamnations à la peine capitale. L'auteur réaffirme que la Cour suprême du Canada dans ses jugements n'a pris en considération aucun élément concernant les procédures relatives à la peine capitale en Californie, les conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort de la prison de San Quentin, ni les conditions de l'exécution par gaz de cyanure, en dépit du fait qu'il lui a été présenté des pièces concernant ces questions. Il se réfère au mémoire qu'il a présenté à la Cour suprême, dans lequel il était dit :

"À l'heure actuelle, il y a approximativement 280 détenus dans le quartier des condamnés à mort à San Quentin. Les cellules dans lesquelles il se trouvent ne laissent que peu de place pour se mouvoir. Il est virtuellement impossible de prendre de l'exercice. Les trois jours qui précèdent la date fixée pour son exécution, le condamné à mort est placé dans l'une des trois cellules, entièrement nues, réservées à cet effet, sous bonne garde 24 heures sur 24. Cela peut se reproduire de nombreuses fois pendant toute la durée des procédures de révision ou d'appel ... La possibilité de prendre de l'exercice est extrêmement limitée dans une cour petite et surpeuplée. L'atmosphère est toujours tendue et cette tension ne cesse de croître à mesure que la date d'exécution approche. À cela s'ajoutent la tension et l'anxiété que ressentent certains détenus à l'approche des dates d'appel et d'exécution de leurs codétenus. Rien pratiquement ne permet d'alléger cette tension. Les programmes concernant cette catégorie de détenus sont extrêmement limités. Ils ne bénéficient d'aucun programme d'éducation. La prison ne sert pratiquement que d'entrepôt où les condamnés attendent parfois leur exécution pendant des années ... Les condamnés à mort ont peu de visiteurs et peu de moyens financiers, ce qui accroît la sensation d'isolement et leur désespérance. Il se produit des suicides qui peuvent être attribués à ces conditions de détention, à l'absence de programmes, à l'extrême insuffisance de soins psychiatriques et physiologiques et au climat de tension, d'appréhension, de dépression et de désespoir dans lequel baigne le quartier des condamnés à mort."

11.12 Enfin, l'auteur décrit les conditions du régime de détention auquel il est soumis actuellement à la prison de Folsom en Californie, conditions qui - soutient-il - resteraient les mêmes s'il était condamné. Il affirme qu'alors que les autres détenus, tous délinquants condamnés, ont un passé bien établi de violences carcérales et appartiennent à des gangs, il fait lui, alors qu'il est en régime de détention préventive en attendant que s'ouvre son procès, l'objet d'un traitement pénitentiaire beaucoup plus strict qu'aucun d'entre eux. Ainsi, lorsqu'il a à se déplacer à l'intérieur de la prison, il est toujours mis aux fers complètement (poignets, ceinture et chevilles); il est forcé de garder les fers aux chevilles lorsqu'il prend sa douche; il n'est pas autorisé à avoir le moindre contact social avec les autres détenus; on lui octroie moins de cinq heures par semaine pour prendre de l'exercice dans la cour; et il est en butte en permanence à l'hostilité du personnel pénitentiaire, en dépit de sa bonne conduite. M. Ng ajoute que des conditions inhabituelles et très onéreuses ont été imposées pour les visites de ses avocats et des autres personnes qui s'occupent de son affaire; il lui est impossible de s'entretenir directement avec eux et les conversations qu'il a avec eux soit par téléphone, soit de part et d'autre d'une vitre, peuvent être entendues par le personnel pénitentiaire. Ces restrictions compromettraient gravement la préparation de sa défense pour son procès. En outre, ses comparutions devant le tribunal provincial de Calaveras s'accompagnent de mesures de sécurité exceptionnelles : par exemple, à chaque suspension de séance, on le fait sortir de la salle du tribunal pour l'amener dans une pièce adjacente réservée au jury et il est placé, toujours aux fers, dans une cage de 90 cm sur 90 cm, construite spécialement pour l'occasion. L'auteur prétend qu'aucun prévenu en détention provisoire n'a jamais été soumis à des mesures de sécurité aussi rigoureuses en Californie.

11.13 L'auteur conclut que les conditions de son emprisonnement ont eu pour lui de lourdes conséquences, physiquement et mentalement. Il a perdu beaucoup de poids, souffre d'insomnie, d'anxiété et autres désordres nerveux. Cette situation, souligne-t-il, est préjudiciable "à la préparation d'une défense convenable".



Déclaration supplémentaire de l'auteur et réponse de l'État partie




12.1 Dans une déclaration datée du 5 juin 1993, signée par l'auteur et présentée par son conseil, M. Ng fournit des renseignements détaillés sur les conditions de sa détention au Canada entre 1985 et septembre 1991, date de son extradition. Il note qu'après son arrestation, le 6 juillet 1985, il a été détenu au secret au centre de détention provisoire de Calgary et gardé dans les conditions prétendument prévues pour prévenir une tentative de suicide, c'est-à-dire qu'il était 24 heures sur 24 sous la surveillance d'une caméra, tandis qu'un garde se tenait derrière les barreaux de sa cellule. Il n'était autorisé à prendre de l'exercice que pendant une heure de promenade solitaire, encadré de deux gardes, dans la courette du centre. Tandis que la procédure d'extradition suivait son cours au Canada, l'auteur a été transféré dans une prison à Edmonton; il se plaint d'y avoir été soumis à des "restrictions encore beaucoup plus rigoureuses" de février 1987 à septembre 1991, ce qui lui paraît être lié à la publicité constante et de plus en plus tapageuse que les médias donnaient à son affaire. Il prétend que les gardes de la prison ont commencé à l'espionner; il était maintenu dans le plus complet isolement et ses contacts avec des visiteurs étaient très limités.

12.2 Pendant la période 1987-1991, l'auteur a été tenu informé du déroulement de la procédure d'extradition; ses avocats lui ont parlé des "formidables problèmes" qui l'attendaient s'il retournait en Californie pour y être jugé, ainsi que du "climat politique et judiciaire de plus en plus hostile qui régnait dans cet État d'une manière générale à l'égard des prévenus passibles de la peine capitale". Il en est résulté pour lui un état de tension extrême, des insomnies et de l'angoisse, qui n'ont cessé d'empirer à mesure que les dates des décisions judiciaires dans la procédure d'extradition approchaient.

12.3 Enfin, l'auteur se plaint des manoeuvres déloyales dont il a fait l'objet de la part des autorités pénitentiaires canadiennes une fois que la Cour suprême du Canada eût rendu sa décision, le 26 septembre 1991. Au lieu d'être autorisé à ce moment-là à prendre contact avec son conseil pour obtenir son avis quant aux recours éventuels dont il pourrait se prévaloir, ainsi qu'il avait été convenu entre le conseil et le directeur de la prison, il prétend qu'on l'a extrait de sa cellule en lui faisant miroiter qu'il allait être autorisé à rencontrer son conseil, pour s'entendre dire ensuite qu'on le remettait entre les mains de la police des États-Unis.

12.4 L'État partie objecte que ces nouvelles allégations sont "distinctes de celles présentées dans la communication initiale et n'ont d'autre but que de retarder l'examen de celles-ci par le Comité des droits de l'homme". Il demande par conséquent au Comité de ne pas les prendre en considération.

Réexamen de la décision de recevabilité et examen quant au fond



13.1 Dans sa lettre initiale, le conseil de l'auteur soutient que M. Ng a été victime de violations au regard des articles 6, 7, 9, 10, 14 et 26 du Pacte.

13.2 Lorsque le Comité, à sa quarante-sixième session, a examiné la question de la recevabilité de la communication et adopté la décision correspondante (décision du 28 octobre 1992), il a noté que cette communication qui concerne un cas d'extradition dans lequel l'intéressé est passible de la peine de mort, soulevait des questions complexes, ratione materiae, en particulier quant à savoir si une telle situation relevait des articles 6 et 7 du Pacte et si ceux-ci s'appliquaient en l'espèce. Il a aussi noté, cependant, que des questions continuaient à se poser quant à savoir si l'auteur pouvait être considéré comme une "victime" au sens de l'article premier du Protocole facultatif, mais a jugé que seul l'examen quant au fond de l'ensemble des circonstances qui avaient entraîné le déclenchement de la procédure d'extradition et des effets de celle-ci permettrait au Comité de déterminer si M. Ng était effectivement une victime au sens dudit article. L'État partie a communiqué de nouvelles observations longuement développées concernant à la fois la question de la recevabilité et le fond de l'affaire et réaffirmé que la communication n'était pas recevable car "de toute évidence Ng n'avait été victime au Canada d'aucune violation des droits énoncés dans le Pacte". Le conseil, de son côté, a réfuté en détail les affirmations de l'État partie.

13.3 Lorsqu'il a réexaminé la question de la recevabilité, le Comité a pris note des affirmations de l'État partie et des arguments du conseil. Il a noté que ce dernier, dans les observations qu'il lui avait présentées à la suite de la décision du 28 octobre 1992, avait soulevé des questions qui ne l'avaient pas été dans la communication initiale et qui avaient trait aux conditions de détention de M. Ng dans les prisons canadiennes, à la tension psychologique à laquelle celui-ci avait été exposé pendant que la procédure d'extradition suivait son cours et aux manoeuvres déloyales dont son client aurait fait l'objet de la part des autorités des établissements pénitentiaires canadiens.

13.4 Ces nouvelles allégations, si elles étaient vérifiées, soulèveraient d'autres questions au regard des articles 7 et 10 du Pacte, ce qui permettrait à l'auteur de se réclamer de l'article premier du Protocole facultatif. La décision du 28 octobre 1992 n'est pas libellée dans des termes qui interdisaient au conseil de soulever ces questions à ce stade de la procédure, néanmoins le Comité estime, qu'il n'y a pas lieu qu'il prenne ces nouveaux éléments en considération, car les recours internes dont l'intéressé pouvait se prévaloir devant les tribunaux canadiens n'ont pas été épuisés en ce qui les concerne. Il semblerait, d'après les éléments dont dispose le Comité, que l'auteur n'ait pas porté plainte à propos des conditions de sa détention au Canada ni des irrégularités dont se seraient rendues responsables les autorités pénitentiaires canadiennes, pas plus au cours de sa détention qu'au moment où il a été remis à l'État requérant. Le Comité estime que, même si l'on avait argué que l'auteur ne pouvait plus se réclamer d'aucun recours utile pour faire valoir ses plaintes, c'était à son conseil qu'il appartenait de les porter devant les tribunaux provinciaux ou fédéraux compétents, au moment où les faits s'étaient produits. Les allégations de l'auteur concernant cet aspect de la question sont, par conséquent, déclarées irrecevables au titre du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.

13.5 Il reste au Comité à examiner si l'auteur, comme il le prétend, est une "victime" au sens du Protocole facultatif, en raison de ce qu'il a été extradé en Californie pour y répondre d'accusations pouvant entraîner la peine de mort, en attendant que s'ouvre son procès, sans qu'aient été obtenues les assurances prévues à l'article 5 du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis. Il convient à cet égard de rappeler que a) la Californie a demandé que l'auteur soit extradé pour répondre d'accusations qui, si elles sont vérifiées, le rendront passible de la peine de mort; b) les États-Unis ont demandé l'extradition de M. Ng sur la base des mêmes accusations; c) l'ordonnance d'extradition établit l'existence d'une forte présomption contre l'auteur; d) les procureurs qui se sont occupés de l'affaire aux États-Unis ont déclaré qu'ils réclameraient la peine de mort; et e) l'État de Californie, lorsqu'il s'est adressé à la Cour suprême du Canada, n'a pas désavoué la prise de position de l'accusation. Le Comité estime que ces faits soulèvent des questions quant au champ d'application des articles 6 et 7, au sujet desquels, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la question de la recevabilité, ses précédentes décisions ne font pas jurisprudence. Comme il l'a déjà dit dans l'affaire Kindler c. Canadam, seul l'examen de la communication quant au fond lui permettra de se prononcer sur la portée de ces articles et de déterminer clairement si le Pacte et le Protocole facultatif sont applicables aux affaires d'extradition dans le cas où l'intéressé est passible de la peine de mort.

14.1 Avant de passer à l'examen de la communication quant au fond, le Comité note que la question ne consiste pas à déterminer si les droits de M. Ng ont été ou seront, selon toutes probabilités, violés par les États-Unis, qui ne sont pas partie au Protocole facultatif, mais si en extradant M. Ng aux États-Unis, le Canada a exposé celui-ci à un risque réel de violation des droits que lui reconnaît le Pacte. Il arrivera fréquemment que les États parties au Pacte soient aussi liés par des obligations qu'ils auront assumées en vertu de traités bilatéraux, tels les traités d'extradition. Un État partie au Pacte doit veiller à s'acquitter de toutes les autres obligations qu'il a contractées de manière qui soit compatible avec les obligations assumées en vertu du Pacte. Il faut donc prendre pour point de départ, lorsque l'on examine cette question, l'obligation incombant à l'État partie en vertu du premier paragraphe de l'article 2 du Pacte, à savoir, garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits qui lui sont reconnus par cet instrument. Le droit à la vie est le premier de ces droits.

14.2 Si un État partie procède à l'extradition d'une personne relevant de sa juridiction dans des circonstances telles qu'il en résulte un risque réel que les droits de l'intéressé au regard du Pacte ne soient violés dans une autre juridiction, l'État partie lui-même peut être coupable d'une violation du Pacte.

15.1 En ce qui concerne une violation éventuelle de l'article 6 du Pacte par le Canada, du fait de sa décision d'extrader M. Ng, deux questions se posent, liées l'une à l'autre :

a) L'obligation, formulée dans le paragraphe 1 de l'article 6, de protéger le droit à la vie interdisait-elle au Canada d'exposer une personne relevant de sa juridiction au risque réel d'être condamnée à mort et de perdre la vie en conséquence de l'extradition vers les États-Unis (conséquence nécessaire et prévisible) dans des circonstances incompatibles avec l'article 6 du Pacte?

b) Le fait que le Canada avait aboli la peine capitale sauf pour certains crimes militaires l'obligeait-il à refuser l'extradition ou à demander aux États-Unis des assurances - comme il était en droit de le faire en vertu de l'article 6 du traité d'extradition - que la peine de mort ne serait pas imposée à M. Ng?

15.2 En ce qui concerne le point a), le Comité rappelle son Observation générale concernant l'article 6 du Pacte, où il indique que, si les États parties ne sont pas tenus d'abolir totalement la peine capitale, ils doivent en limiter l'application. Il est signalé en outre dans l'Observation générale que les termes de l'article 6 laissent entendre aussi qu'il est souhaitable d'abolir la peine de mort. C'est là un objectif vers lequel les parties qui ont ratifié le Pacte devraient tendre : "... toutes les mesures prises pour abolir la peine de mort doivent être considérées comme un progrès vers la jouissance du droit à la vie". De plus, le Comité note l'évolution du droit international et la tendance à l'abolition, telles que l'illustre l'adoption, par l'Assemblée générale des Nations Unies, du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. De surcroît, même lorsque la peine capitale est conservée par les États dans leur législation, un grand nombre d'entre eux ne l'appliquent pas en pratique.

15.3 Le Comité fait observer que le paragraphe 1 de l'article 6 doit être lu conjointement avec le paragraphe 2 de ce même article qui n'interdit pas l'imposition de la peine de mort pour les crimes les plus graves. Le Canada n'a pas lui-même accusé M. Ng de crimes entraînant la peine de mort, mais l'a extradé aux États-Unis, où il devra répondre d'accusations pouvant entraîner cette peine et où il est prévisible qu'il risque de se la voir infliger. Si M. Ng avait été exposé, du fait de l'extradition à partir du Canada, à un risque réel de violation aux États-Unis du paragraphe 2 de l'article 6, cela aurait comporté une violation par le Canada, des obligations assumées par ce pays au titre du paragraphe 1 de ce même article. Celui-ci exige, entre autres choses, que la peine capitale ne puisse être imposée que pour les crimes les plus graves, dans des circonstances qui ne soient pas en contradiction avec le Pacte ni d'autres instruments, et que cette peine ne puisse être appliquée qu'en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. Le Comité note que M. Ng a été extradé pour répondre de 19 accusations criminelles, dont 12 chefs d'accusation de meurtre. S'il est condamné à mort, cette sentence se fondera, selon les éléments d'information dont dispose le Comité, sur une conviction de culpabilité de crimes très graves. M. Ng était âgé de plus de 18 ans lorsque les crimes dont il est accusé ont été commis. Enfin, M. Ng a fait valoir devant la Cour suprême du Canada et devant le Comité que son droit à un procès équitable ne serait pas garanti lors de son procès en Californie où des préjugés raciaux interviendraient dans la sélection des membres du jury ainsi que dans l'application de la peine de mort. Toutefois il s'agit là d'affirmations purement hypothé
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