Jugé en secret pour "abus de libertés démocratiques" et détenu dans un hôpital psychiatrique contre sa volonté, le journaliste Le Anh Hung sait combien coûte au Vietnam toute critique du pouvoir communiste.
"Ils m'ont forcé à prendre des médicaments. J'ai refusé. Mais ils m'ont attaché les mains, les jambes et même les épaules à un lit, et ils m'ont fait une injection", décrit cet ancien collaborateur régulier du site internet de la radio Voice of America, libéré en juillet.
M. Le, 50 ans, a passé trois ans dans un hôpital psychiatrique contre son gré avant d'être jugé sans que sa famille soit au courant et condamné à cinq ans de prison. Les accusations à son encontre n'ont pas été publiquement détaillées.
Liberté d'expression restreinte, absence d'opposition, arrestations arbitraires... Le président américain Joe Biden se rend dimanche dans un pays dont le bilan en matière de droits de l'homme est "déplorable dans tous les domaines", a relevé l'ONG Human Rights Watch.
Un porte-parole du département d'Etat américain a assuré à l'AFP que "les droits humains sont un sujet que nous soulevons aux plus hauts niveaux avec le Vietnam".
Mais la majorité des activistes attendent peu de la visite du dirigeant démocrate, dictée par sa stratégie de contre-balancer l'influence de la Chine, superpuissance rivale, dans la région.
Depuis 2016, le N°1 du parti communiste Nguyen Phu Trong a orchestré un durcissement de la répression, sans être trop inquiété par la communauté internationale. Le gouvernement a largement réussi à écraser l'opposition, estiment des militants.
- Intérêts stratégiques -
L'incarcération depuis 2022 de cinq défenseurs de l'environnement, pour évasion fiscale, n'a pas empêché Hanoï de recevoir la promesse de quinze milliards de dollars d'aides des pays riches, dont les Etats-Unis, pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles.
"La protection et la promotion des droits humains constitue une politique constante" du Vietnam, a assuré plus tôt cette année le gouvernement. Il n'a pas répondu à une demande récente de l'AFP pour un commentaire sur le sujet.
Au total, 193 militants se trouvent en prison au Vietnam, selon The 88 Project, une ONG de défense de la liberté d'expression au Vietnam.
Parmi eux, Peter Lam Bui, un vendeur de nouilles, détenu pour "propagande anti-Etat".
Son tort? Avoir imité "Salt Bae", en clin d'oeil à la polémique provoquée par un haut responsable vietnamien pour avoir mangé un steak recouvert de feuilles d'or, dans un restaurant londonien propriété du célèbre cuisinier.
"Le Parti communiste a certainement réussi à étouffer la voix de gens comme moi", estime Nguyen Vu Binh, 54 ans, un militant politique emprisonné près de cinq ans au début des années 2000.
La plupart des militants attendent peu de la visite de Biden. "Je n'attends pas de pression sérieuse de la part des Etats-Unis et de l'Union européenne", déclare Le Cong Dinh, ex-avocat d'Hô Chi Minh-ville qui a été incarcéré pour subversion. "Ces pays considèrent le Vietnam comme un partenaire stratégique pour leurs politiques de sécurité et commerciale en Asie du Sud-Est (...). La protection des droits humains n'est plus une priorité dans leur relation, surtout avec le conflit en Ukraine".
Les rares voix restantes du mouvement pro-démocratie dénoncent le manque de transparence du Vietnam, qui continue d'appliquer la peine de mort largement en secret.
- Entre "désespoir" et optimisme -
A 77 ans, Nguyen Truong Chinh se bat pour défendre l'innocence de son fils, Nguyen Van Chuong, arrêté en 2017 et condamné à mort pour le meurtre d'un policier.
Les Nations unies ont appelé début août le Vietnam à ne pas procéder à l'exécution de Nguyen Van Chuong dont l'affaire a été marquée par des accusations de torture et de violations du droit à un procès équitable.
"Je veux aider mais je me sens désespéré" face à un système opaque qui a rejeté ses recours, explique M. Nguyen. "Moi, sa soeur, sa mère, nous mourons à petit feu".
Il est convaincu d'être surveillé par les autorités qui auraient agi en coulisses pour faire rejeter ses demandes de logement dans la capitale Hanoï, où il aurait pu faire campagne pour son fils avec plus d'efficacité.
Malgré tout, il croit toujours qu'il y aura "un Vietnam avec des libertés, la démocratie et des droits humains".