Communication No 447/1991 : Trinidad and Tobago. 26/04/1995.
CCPR/C/53/D/447/1991. (Jurisprudence)
Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Cinquante-troisième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-troisième session -
Communication No 447/1991
Présentée par : Leroy Shalto (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Date de la décision concernant la recevabilité : 17 mars 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 4 avril 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 447/1991 présentée au Comité par M. Leroy Shalto en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Leroy Shalto, citoyen de la Trinité-et-Tobago qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d'exécution à la prison d'Etat de Port of Spain. Il se déclare victime d'une violation par la Trinité-et-Tobago du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sans préciser quelles dispositions du Pacte auraient été violées.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté et inculpé du meurtre de sa femme, Rosalia, le 28 septembre 1978. Le 26 novembre 1980, il a été déclaré coupable de ce chef et condamné à la peine de mort. Le 23 mars 1983, la cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité et la condamnation et ordonné la révision du procès. A l'issue du second procès, le 26 janvier 1987, l'auteur a été de nouveau déclaré coupable de meurtre et condamné à mort. Le 22 avril 1988, il a été débouté de son recours devant la cour d'appel; sa demande ultérieure d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 9 novembre 1989. Le 2 décembre 1992, la condamnation à mort a été commuée en peine d'emprisonnement à vie.
2.2 D'après la thèse que l'accusation a développée au procès, le 28 septembre 1978, à la suite d'une altercation avec sa femme dans le magasin où celle-ci travaillait, l'auteur avait sorti un revolver, l'avait braqué sur elle et l'avait abattue alors qu'elle s'éloignait. Plusieurs personnes qui avaient assisté à la scène avaient témoigné au procès.
2.3 Dans une déclaration écrite remise à la police après son arrestation et dûment signée de sa main, l'auteur dit qu'il parlait avec sa femme dans le magasin lorsque, apercevant un homme derrière un refrigérateur, il a cru reconnaître l'agent de police E. Il a sorti un revolver, et sa femme s'est précipitée dans la direction de l'homme. L'auteur a tiré et le coup de feu a atteint sa femme. Au procès, l'auteur a affirmé qu'il avait signé cette déclaration sous la contrainte, alors qu'il souffrait d'une blessure à la jambe reçue lors de son arrestation. Il a affirmé que la partie de la déclaration qui avait trait à la scène dans le magasin était inexacte et inventée par la police. Après un interrogatoire préliminaire (procédure de voir dire), le juge a toutefois retenu la déclaration comme preuve à charge.
2.4 Dans une déclaration faite sans prestation de serment au procès, l'auteur d affirmé que sa femme et lui s'étaient séparés un mois environ avant les faits et que, ce jour-là, il était allé la voir pour s'enquérir de leurs deux enfants. Il a ajouté qu'il voulait aussi lui demander de s'expliquer au sujet d'un revolver de la police qu'il avait trouvé chez lui dans un panier à linge. Après une brève conversation, sa femme lui avait dit que ses enfants n'étaient pas de lui et que "ce policier" (apparemment l'agent de police E.) valait mieux que lui. L'auteur s'était alors mis en colère et avait sorti le revolver qu'il avait trouvé chez lui. Sa femme avait voulu s'en emparer, ils s'étaient battus, le coup était parti et elle avait été mortellement blessée. L'auteur a déclaré en outre qu'avant cet incident, il avait été harcelé par l'agent de police E., qui l'avait injustement arrêté deux jours auparavant.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que son deuxième procès, qui a eu lieu en janvier 1987, s'est déroulé dans des conditions inéquitables dans la mesure où, pour chacune des trois versions différentes des faits, le juge a mal renseigné le jury en déclarant qu'en droit, "les mots seuls ne peuvent constituer une provocation", le privant ainsi de la possibilité d'un verdict d'homicide en réponse à une provocation. A cet égard, l'auteur fait valoir qu'en 1985, la législation pertinente de la Trinité-et-Tobago a été modifiée en vertu d'un amendement à la loi relative aux atteintes à la vie et à l'intégrité des personnes (Offences against the Person Act) et prévoit désormais que la question de la provocation doit être laissée à l'appréciation du jury. Il ressort cependant des documents fournis par l'auteur que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux affaires dans lesquelles l'acte d'accusation a été délivré après le 21 mai 1985 et ne sont donc pas applicables en l'espèce.
3.2 L'auteur n'invoque aucun article précis du Pacte mais la longueur des délais écoulés avant qu'il ne soit rejugé semble soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14.
Observations de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations du 30 janvier 1992, l'Etat partie rappelle la jurisprudence du Comité d'où il ressort que c'est aux cours d'appel des Etats parties au Pacte et non au Comité qu'il incombe d'apprécier les faits et moyens de preuve dont sont saisis les tribunaux internes et d'examiner l'interprétation donnée par ces derniers de la législation interne. Il rappelle également la jurisprudence du Comité selon laquelle il incombe aux cours d'appel et non au Comité d'examiner les instructions particulières données au jury par le juge, sauf s'il est évident que lesdites instructions étaient incontestablement tendancieuses ou équivalentes à un déni de justice, ou encore que le juge a manifestement manqué à son devoir d'impartialité.
4.2 L'Etat partie soutient qu'il ne ressort pas des faits présentés par l'auteur que tel a été le cas. Il affirme par conséquent que la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5. Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, l'auteur invite le Comité à tenir compte du fait qu'il a passé plus de 14 ans en prison, dont les six dernières années sous la menace de l'exécution.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6. A sa cinquantième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que, bien qu'il le lui ait expressément demandé, l'Etat partie ne lui avait pas fourni de renseignements supplémentaires sur le délai écoulé entre l'arrêt de la cour d'appel du 23 mars 1983 ordonnant la révision du procès et l'ouverture du nouveau procès le 20 janvier 1987. Le Comité a jugé que ce délai pouvait soulever des questions au regard du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte, qui devraient être examinées quant au fond. En conséquence, le 17 mars 1994, il a déclaré la communication recevable à ce titre.
Délibérations du Comité
7.1 Le Comité a examiné la communication au regard de toutes les informations fournies par les parties. Il note avec préoccupation qu'une fois communiquée à l'Etat partie sa décision concernant la recevabilité, aucune nouvelle information n'a été reçue de celui-ci pour élucider la question soulevée par la communication. Le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, un Etat partie est implicitement tenu d'examiner de bonne foi toutes les allégations formulées contre lui et de présenter au Comité toutes les informations dont il dispose. Etant donné que l'Etat partie n'a pas coopéré avec le Comité sur la question à l'examen, il convient de donner tout leur poids aux allégations de l'auteur dans la mesure où leur bien-fondé a été établi.
7.2 Le Comité observe qu'il ressort des informations qui lui ont été communiquées que le 23 mars 1983, le cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité condamnant l'auteur pour meurtre et ordonné la révision du procès, que le nouveau procès s'est ouvert le 20 janvier 1987 et qu'il a abouti à la condamnation pour meurtre de l'auteur. Celui-ci est demeuré en détention pendant toute cette période. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte dispose que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à être jugée sans retard excessif, et que le paragraphe 3 de l'article 9 dispose par ailleurs que tout individu détenu du chef d'une infraction pénale doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Le Comité constate qu'un délai de près de quatre ans entre le jugement rendu par la cour d'appel et le début du nouveau procès, période pendant laquelle l'auteur est demeuré en détention, ne saurait être considéré comme compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie n'ayant aucunement justifié ce délai.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des dispositions du paragraphe 3) de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte l'Etat partie est tenu d'accorder à l'auteur un recours utile. Le Comité a noté que l'Etat partie avait commué la peine de mort et, vu que l'auteur a passé plus de seize ans en réclusion, il recommande à l'Etat partie d'envisager de le libérer rapidement. L'Etat partie a l'obligation de veiller à ce que de semblables violations ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'Etat partie a reconnu la compétence du Comité s'agissant de déterminer s'il y a eu violation du Pacte, et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, notamment un recours utile et exécutoire dans le cas où une violation a été établie, le Comité entend recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur les mesures qu'il aura prises pour donner effet à ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]