BANGKOK, 1er oct (AFP) -
Chaowarate Jarubun a tué 55 personnes dans sa sinistre carrière de bourreau mais est plutôt soulagé d'avoir raccroché son arme automatique grâce à l'adoption par la Thaïlande des injections mortelles pour les condamnés à mort.
"Je me sentais triste avec ce travail. Ce n'était pas difficile, mais j'ai été content d'arrêter", a dit Chaowarate à l'AFP à la prison de haute sécurité de Bang Kwang, près de Bangkok, où il a été pendant 19 ans le chef de l'équipe qui procédait aux exécutions.
Au début "ça faisait un peu peur", se souvient Chaowarate, 55 ans, au sujet de sa première exécution en 1984. "Ensuite, j'ai essayé d'arrêter ce travail, mais je n'ai pas pu, je ne pouvais pas dire non".
Le chef et l'équipe des exécutions ont désormais raccroché leurs armes: la Thaïlande appliquera à partir de ce mois-ci la peine de mort avec des injections, une décision historique pour le royaume.
Depuis 1935, 319 condamnés à mort --dont trois femmes-- ont été tués par balles. Le dernier a été, le 11 décembre, un meurtrier.
"C'était très triste pour tout le monde, toutes ces exécutions. Chacune d'entre elle était triste", dit Chaowarate.
A moins qu'une grâce royale de dernière minute ne soit accordée, chaque prisonnier dans les couloirs de la mort était, le jour venu, sorti de sa cellule, amené dans une salle réservée aux exécutions et attaché à un pilier, une fleur de lotus et un baton d'encens dans la main. On visait la tête.
Un seul bourreau armé d'un fusil automatique se chargeait de l'exécution. Un deuxième homme se tenait prêt à donner le coup de grâce, dans les très rares cas où le condamné survivait à la première salve.
"En général je tirais 10 de mes 15 balles. Les gens peuvent penser que c'était trop, mais c'était la manière d'aider les prisonniers à mourir plus vite", explique Chaowarate.
Nathee Chitsawang, qui devient mercredi directeur géneral du Département pénitentiaire, explique que le passage aux injections mortelles donnera une image moins violente de la Thaïlande, souvent critiquée sur ce chapitre par les défenseurs des droits de l'Homme.
"C'est plus doux. C'est un premier pas vers l'abolition de la peine de mort", assure-t-il, même si celle-ci n'est pas à l'ordre du jour.
En attendant, le nombre des condamnés à mort dans le royaume bouddhiste à doublé entre 2001 et juillet 2002, pour atteindre 649 personnes.
Cette semaine, MM. Chaowarate et Nathee ont expliqué à quelques journalistes les procédures qui seront appliquées à partir du 19 octobre, simulation à l'appui.
La presse a été escortée avec un "condamné" --un gardien-- jusqu'à une salle basse de plafond avec un éclairage fluorescent. Le "condamné" a été attaché sur un lit, une intraveineuse mise en place, et trois assistants ont préparé le cocktail mortel de produit anesthésiant, d'agent paralysant et de chlorure de potassium qui provoque l'arrêt du coeur.
Puis le personnel s'est isolé dans une salle voisine et a regardé le cocktail faire son oeuvre, sur un circuit fermé de télévision.
"Je ne peux pas dire que c'était bien ou mal", dit Chaowarate à propos de toutes les vies qu'il a achevées, "parce que les deux côtés, la famille de la victime, et la famille du prisonnier, ont droit à l'empathie".
Maintenant, Chaowarate doit jouer un rôle moins controversé dans les cinq ans jusqu'à sa retraite. "Il a fait tant de choses que personne ne voulait faire, nous pensons qu'il est temps qu'il s'arrête", explique M. Nathee.
L'ancien bourreau a été affecté auprès des détenus étrangers. Deux ex-membres de l'équipe des exécutions ont fait acte de candidature pour injecter la drogue mortelle à Bang Kwang.
"Moi, non", dit Chaowarate, "c'est fini pour moi, ce boulot".