Islamabad - Un tribunal pakistanais a gelé de facto lundi l'exécution du condamné à mort Mumtaz Qadri, considéré comme un héros par les cercles islamistes pour avoir assassiné un homme politique favorable à une révision de la loi sur le blasphème.
La décision, saluée par les partisans de Mumtaz Qadri, a été amèrement critiquée par les défenseurs locaux des droits de l'homme, qui y ont vu un encouragement au meurtre incontrôlé de toute personne accusée de blasphème, même à tort.
Mumtaz Qadri avait abattu en 2011 Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab, car ce dernier avait apporté son soutien à Asia Bibi, une chrétienne accusée de blasphème, et s'était déclaré favorable à une révision de la loi sur ce sujet, défendue bec et ongles par les islamistes au Pakistan.
Policier affecté à la protection de M. Taseer, Qadri avait avoué l'avoir criblé de 28 balles dans le centre de la capitale, Islamabad, geste pour lequel il a été qualifié de héros par des islamistes et des avocats, qui l'avaient même couvert de pétales de roses à sa première arrivée au tribunal.
Ce meurtre, qui a pétrifié une classe politique locale déjà très frileuse sur toute controverse impliquant l'islam, religion d'Etat, a valu à Mumtaz Qadri d'être condamné à la peine capitale pour meurtre et terrorisme, à la grande fureur de ses partisans.
Lundi, les juges Noor ul-Haq Qureshi et Shaukat Aziz Siddiqui, de la Haute cour d'Islamabad, ont confirmé en appel la peine de mort pour meurtre. Mais ils ont en même temps annulé la même peine prononcée pour fait de terrorisme, repoussant sine die sa pendaison.
Dans la foulée du raid des talibans contre une école de Peshawar (nord-ouest), qui avait fait 153 morts à la mi-décembre, le Pakistan a partiellement levé son moratoire sur les exécutions judiciaires en vigueur depuis 2008.
Depuis décembre, 24 condamnés à mort ont ainsi été exécutés. Mais la reprise des exécutions ne concerne que les condamnés à mort pour terrorisme.
N'étant plus condamné à mort pour ce motif, Mumtaz Qadri devrait donc échapper à l'échafaud, à moins que les autorités ne décident un jour de lever entièrement le moratoire sur les exécutions.
Nous sommes soulagés par cette décision, s'est réjoui son avocat, Mian Nazeer. Il n'a pas commis d'actes de terrorisme, il n'a fait que sacrifier sa vie pour défendre l'honneur du prophète, a-t-il ajouté, tandis qu'environ 150 manifestants célébraient la décision devant le tribunal.
Dans son jugement, la Haute cour d'Islamabad souligne que si Mumtaz Qadri a bien prémédité son meurtre, il n'a à cette occasion visé ni blessé personne d'autre.
N'ayant par conséquent ni créé de vent de panique ni terrorisé la population, il ne peut donc être condamné pour terrorisme, font valoir les magistrats dans ce jugement dont l'AFP a obtenu copie.
Cette décision a été critiquée par I. A. Rehman, un cadre de la Commission indépendante des droits de l'Homme du Pakistan. Si abattre un gouverneur en plein jour avec une arme automatique n'est pas du terrorisme, alors qu'est-ce qui peut-bien être du terrorisme ?, s'est-il interrogé.
Avec cette décision, nous acceptons le droit à la violence de la partie non négligeable de la population, dont des juges et des avocats, qui estime qu'un musulman peut tuer un autre musulman qu'il accuse de blasphème, a-t-il ajouté.
La loi sur le blasphème, qui prévoit jusqu'à la peine de mort pour les coupables d'offense à l'islam, est critiquée en Occident et par quelques rares responsables pakistanais, qui l'estiment souvent instrumentalisée, via de fausses accusations, pour régler des conflit locaux.