Mariam HAROUTOUNIAN
EREVAN (AFP) - L'Arménie est déchirée entre les pressions occidentales pour abolir la peine de mort et le désir de venger le pire acte de violence politique dans l'histoire de la jeune république ex-soviétique à quelques mois d'une échéance fixée par le Conseil de l'Europe.
Le Conseil a donné à Erevan jusqu'en juin prochain pour supprimer la peine capitale de sa législation. En théorie, cela ne devrait être qu'une formalité, les exécutions étant suspendues par un moratoire depuis plus de dix ans.
Mais le débat a été assombri en Arménie par les événements du 27 octobre 1999, le jour où des hommes armés ont attaqué le parlement et tué un Premier ministre populaire, le président de l'Assemblée nationale et six autres personnalités.
Six personnes sont actuellement jugées pour cette attaque, dont le présumé chef du commando, Naïri Ounanian. Quelles que soient les recommandations du Conseil de l'Europe, beaucoup d'Arméniens voudraient les voir exécutés, si leur culpabilité est confirmée par la cour.
"Des criminels comme Naïri Ounanian devraient être physiquement éliminés de manière à ce que tout le monde le voie", pense Souren, un électricien d'Erevan.
"Ce salaud a tué de sang froid huit personnes et a eu le cran de dire qu'il agissait au nom de la justice. On devrait faire un exemple pour tous ceux qui ont envie de le suivre", ajoute cet homme de 62 ans.
Les efforts pour abolir la peine capitale font partie de la politique du gouvernement pro-occidental du président Robert Kotcharian, visant à asseoir l'image de l'Arménie comme pays démocratique et européen.
"Etat de droit, l'Arménie doit tourner le dos à la peine capitale", pense Nikolaï Grigorian, conseiller du ministre de l'Intérieur Haik Haroutounian.
Aidés par des experts du Conseil de l'Europe, les juristes du gouvernement préparent des amendements au code pénal destinés à supprimer la peine de mort.
Lorsqu'ils seront adoptés, ces changements profiteront à 42 condamnés à mort dont les sentences seront commuées en prison à vie.
L'abolition est largement acceptée en Arménie. La culture nationale n'est pas favorable aux punitions sévères: du temps de l'URSS, les condamnés à mort étaient envoyés en Russie pour y être exécutés.
"Personne n'a le droit de prendre la vie que Dieu a donnée", dit le père Bagrat, prêtre de l'Eglise apostolique, confession dominante en Arménie.
"En tant que chrétien, je suis contre la peine capitale, et pour la prison à vie. C'est une peine très sévère, mais elle offre au condamné une chance de reconnaître ses erreurs et de s'amender", explique-t-il.
"Mieux vaut que cent coupables échappent à la justice plutôt qu'un innocent soit exécuté", dit un vendeur quadragénaire, reflétant la méfiance générale de l'opinion face à la justice arménienne.
Cependant, le lobby antiabolitionniste est bruyant et passionné. D'autant qu'il est conduit par des proches des victimes de la fusillade au parlement et compte dans ses rangs des hommes politiques.
Sa cause est renforcée par le sentiment général que le gouvernement a été trop indulgent avec les coupables, dont plusieurs complices présumés ont été graciés.
"Les terroristes qui nous font vivre dans la peur doivent savoir qu'il n'y aura pas de merci, que la riposte sera aussi dure que le crime", déclare un commerçant, Ayik Petrossian.
"Je crois au principe oeil pour oeil, dent pour dent", renchérit un sportif, Artiom Aroutounian. "Je suis contre l'abolition. Il est facile de pardonner quand ce n'est pas vous qui avez été frappé".
Avec des passions aussi déchaînées, lorsque le projet de loi arrivera finalement devant les députés, le résultat du vote ne sera pas acquis d'avance.