Le Premier ministre Imran Khan rentre lundi au Pakistan, où son gouvernement est fortement critiqué pour avoir passé un accord avec les islamistes ayant paralysé le pays après l'acquittement de la chrétienne Asia Bibi.
L'ex-champion de cricket vient de passer quatre jours en Chine, d'où il espérait ramener une aide financière pour soulager les très précaires finances pakistanaises. Il retrouve un pays divisé autour du sort de Mme Bibi, condamnée à mort en 2010 pour blasphème, après avoir été dénoncée par un imam.
La décision de la Cour suprême d'acquitter cette ouvrière agricole chrétienne âgée d'une cinquantaine d'années, après plus de huit ans passés dans les couloirs de la mort, a provoqué la fureur d'islamistes, qui ont bloqué les principaux axes du pays pendant trois jours.
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible au Pakistan, où l'islam est religion d'Etat. De simples accusations peuvent aboutir à des lynchages.
Les manifestations ne se sont arrêtées qu'après la signature d'un accord controversé avec les manifestants. Le gouvernement s'y engage à lancer une procédure visant à interdire à Asia Bibi de quitter le territoire et à ne pas bloquer une requête en révision du jugement d'acquittement.
Pour de nombreux Pakistanais, le gouvernement a capitulé face à des islamistes qui avaient pourtant appelé à assassiner les juges de la Cour suprême et avaient demandé aux militaires de se mutiner.
"Le gouvernement ne paraît pas avoir de stratégie", observe l'analyste Fasi Zaka. Il a "juste gagné du temps".
- Fin des louanges -
Quelques jours plus tôt, Imran Khan s'était pourtant montré ferme face aux islamistes. "Ne nous forcez pas à agir", avait-il menacé, ajoutant "ne tolérer aucun sabotage".
Son discours avait été loué même par ses détracteurs, qui l'accusent de sympathie avec des extrémistes. Durant la campagne électorale, le candidat Khan avait en outre affirmé soutenir la loi sur le blasphème.
Pour beaucoup, son exécutif s'est incliné pour la deuxième fois face au Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), un parti qui s'est construit autour de la question du blasphème.
En début de mandat, le gouvernement Khan avait déjà éconduit un conseiller économique ahmadi, une minorité persécutée au Pakistan, après des pressions du leader du TLP, Khadim Hussain Rizvi.
"Khan a peut-être remporté les élections, mais c'est Rizvi qui semble diriger le Pakistan aujourd'hui", a estimé ce week-end l'éditorialiste Fahd Husain dans le quotidien the Express tribune.
Asia Bibi, bien que libérée par la justice, reste donc incarcérée. Son mari réclame l'asile pour les siens aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada. Son avocat a fui aux Pays-Bas, poussé par l'ONU et l'UE "contre sa volonté".
La première femme d'Imran Khan, la productrice Jemima Khan, qui l'avait fortement soutenu durant la campagne, s'est jointe au concert de critiques, affirmant que le gouvernement avait signé "l'arrêt de mort" d'Asia Bibi.
"Ce n'est pas le Naya (nouveau) Pakistan que nous espérions, a-t-elle tweeté dimanche.
- "Réussite" -
Le gouvernement a défendu l'accord lundi, arguant qu'il avait empêché davantage de violence.
"Nous les avons dispersés de manière pacifique, ce qui est une réussite", a déclaré le ministre de l'Information Fawad Chaudry.
D'après l'analyste Zahid Hussain, l'exécutif a surtout eu peur d'un "retour de flamme" des extrémistes après les propos d'Imran Khan, alors que les manifestations faisaient boule de neige et que la puissante armée ne semblait pas soutenir un éventuel usage de la force.
Pour ajouter à ses tourments, le Premier ministre est rentré les mains vides de Chine, alors que la Pakistan est au bord de l'insolvabilité.
Imran Khan "fait face à un vrai problème et il est allé en Chine pour obtenir de l'aide, mais il a été reçu froidement", observe Fasi Zaka. "Les partis d'opposition vont lui mener la vie dure", pronostique-t-il.
Les semaines à venir s'annoncent tendues, le TLP ayant à nouveau menacé les autorités lundi, après l'arrestation de dizaines de ses sympathisants. "Si vous violez l'accord, souvenez-vous que tout le pays se lèvera contre vous", a lancé l'un de ses leaders, Afzal Qadri, sur Facebook.