Des experts des droits de l'homme indépendants des Nations Unies * ont condamné la peine de mort prononcée par un tribunal pakistanais a l'encontre du professeur d'université Junaid Hafeez, accusé de blasphème.
La condamnation a été prononcée, malgré l'arrêt-clé de la Cour suprême lors du procès pour blasphème d'Asia Bibi l'année dernière et l'appel urgent d'experts du système des Nations Unies lancé au gouvernement, soulevant des inquiétudes quant au fond de l'affaire.
« La décision de la Cour suprême dans l'affaire Asia Bibi aurait dû créer un précédent permettant aux juridictions inférieures de rejeter toute affaire de blasphème qui n'a pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable », ont déclaré les experts.
« À la lumière de cette décision, le verdict de culpabilité contre M. Hafeez est une parodie de justice et nous condamnons la peine de mort qui lui a été infligée. Nous prions instamment les cours supérieures du Pakistan d'entendre rapidement son appel, d'annuler la peine de mort et de l'acquitter », ont-ils ajouté.
Le droit international n'autorise la peine de mort que dans des circonstances exceptionnelles et exige des preuves incontestables de meurtre intentionnel, ont noté les experts
« La condamnation à mort prononcée contre M. Hafeez n'a aucun fondement ni en droit ni en preuves, et est donc contraire au droit international. L'exécution de la peine équivaudrait à un meurtre arbitraire », ont-ils déclaré.
Les experts se sont dit très préoccupés par le fait que des accusations de blasphème sont toujours portées contre des personnes qui exercent légitimement leurs droits à la liberté de pensée, de conscience, de religion et d'expression.
M. Hafeez, professeur de 33 ans à l'Université Bahauddin Zakariya de Multan, a été arrêté le 13 mars 2013 et inculpé en vertu des articles 295-B et -C du Code pénal pakistanais pour avoir prétendument fait des remarques blasphématoires lors de conférences et sur son compte Facebook. Il est incarcéré en isolement depuis le début de son procès en 2014, ce qui affecte gravement sa santé mentale et physique. La peine de mort a été prononcée par un tribunal du district de Multan le 21 décembre 2019.
« Le régime d'incarcération en isolement prolongé pourrait bien être considéré comme de la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », ont déclaré les experts.
Le cas de M. Hafeez a fait l'objet de longs procès à Multan, l'accusation n'ayant pas fourni de preuves convaincantes de sa culpabilité. « Nous notons également que certaines preuves documentaires soumises au tribunal n'ont jamais fait l'objet d'un examen médico-légal indépendant malgré les allégations selon lesquelles elles auraient été inventées, et qu'un avocat représentant M. Hafeez en 2014, Rashid Rehman, a été assassiné et que les tueurs n'ont pas été traduits en justice », ont-ils dit.
« Il semble y avoir un climat de peur parmi les membres de la magistrature qui traitent cette affaire, ce qui peut expliquer pourquoi au moins sept juges ont été transférés au cours de ce long procès », ont constaté les experts.
NOTE :
Les experts indépendants font partie de la division des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, l'organe le plus important d'experts indépendants du Système des droits de l'homme de l'ONU, est le terme général appliqué aux mécanismes d'enquête et de suivi indépendants du Conseil qui s'adressent aux situations spécifiques des pays ou aux questions thématiques partout dans le monde.
Les experts des procédures spéciales travaillent à titre bénévole ; ils ne font pas partie du personnel de l'ONU et ils ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants des gouvernements et des organisations et ils exercent leurs fonctions à titre indépendant.
* Les experts des Nations Unies sont : Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction ; Agnès Callamard, Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; Nils Melzer, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les membres du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire - José Antonio Guevara Bermúdez (Président), Leigh Toomey (Vice-présidente chargée des communications) ), Elina Steinerte (Vice-présidente chargée du suivi), Seong-Phil Hong et Sètondji Adjovi.