"J'ai souvent vu la mort arriver" : pour la première fois depuis sa libération, la chrétienne pakistanaise Asia Bibi raconte ses dix ans de calvaire, entre maltraitances et menaces, du jour où elle a bu dans le même verre que des musulmanes à sa fuite au Canada, espoir incertain d'échapper à l'emprise des islamistes.
"Mon histoire, vous la connaissez à travers les médias", reconnaît la mère de famille devenue une icône de la liberté religieuse après avoir été condamnée à mort pour blasphème en 2010 au Pakistan, puis acquittée fin 2018 après une vaste campagne internationale de soutien qui lui a permis de trouver refuge au Canada.
"Mais vous êtes loin de vous représenter mon quotidien, en prison, ou dans ma nouvelle vie", confie-t-elle sur la quatrième de couverture d'"Enfin libre!" (Éditions du Rocher). Ce récit exclusif a été reconstitué par la journaliste française Anne-Isabelle Tollet, une ancienne correspondante au Pakistan qui a mené une campagne de soutien à Asia Bibi.
Paru mercredi en français - il sortira en septembre en anglais -, il livre peu de détails sur sa nouvelle vie au Canada, mais revient longuement sur son emprisonnement.
Anne-Isabelle Tollet est la seule journaliste à l'avoir rencontrée au Canada, dans un endroit qui reste secret.
"Moi, Asia Bibi, condamnée à être pendue parce que j'avais soif", commence Asia Bibi dans ce récit. "Je suis devenue prisonnière du fanatisme", raconte l'ancienne ouvrière agricole illettrée sous la plume de la journaliste. Les islamistes, même s'ils ne sont "pas représentatifs", "dictent leur volonté (...) parce qu'ils n'hésitent pas à mettre des bombes", accuse-t-elle, certaine que sa condamnation pour "blasphème" est le fait de juges à la solde d'extrémistes voulant chasser les chrétiens.
Le blasphème est un sujet incendiaire au Pakistan, où de simples accusations suffisent parfois à entraîner des lynchages meurtriers.
Les Chrétiens, qui représentent environ 2% de la population pakistanaise très majoritairement musulmane, souffrent de "toutes sortes de mépris" quand ils ne sont pas purement et simplement éliminés, comme ce couple de chrétiens brûlés vifs dans un village proche de celui d'Asia Bibi, se souvient celle-ci.
Condamnée à mort, la "blasphématrice" est jetée en prison avec, souvent, "les larmes pour seules compagnes de cellule".
- Libre ? -
"Une longue chaîne traîne sur le sol crasseux, elle relie ma gorge à la main menottée du gardien qui me tire comme un chien en laisse. Au plus profond de moi, une peur sourde m'entraîne vers la profondeur des ténèbres. Une peur lancinante qui ne me quittera jamais", écrit-elle.
Derrière les barreaux, ils sont nombreux ceux qui veulent exaucer le souhait des codétenues qui hurlent "à mort !" ou "pendue !" quand Asia Bibi passe dans les couloirs.
Sa compagne de cellule, une musulmane, meurt empoisonnée car jugée "trop gentille" avec la paria. "Si j'étais toi, je ferais attention à ce que je mange...", conseille-t-on à Asia Bibi.
Elle raconte qu'un commando de talibans réussira même à s'introduire dans sa prison avant d'être capturé non loin de sa cellule.
Dans cette "antichambre de la mort" qu'est sa cellule, Asia Bibi ne trouve de salut que dans les prières adressées à la Sainte-Vierge, chassant les pensées suicidaires... et les espoirs déçus.
Le gouverneur qui vient lui rendre visite et lui promet de la "sortir de là" : elle apprendra plus tard qu'il a été assassiné. La gardienne attentionnée : elle se trouve être la personne qui s'introduit la nuit dans sa cellule pour la rouer de coups. Et le pape Benoît XVI qui appelle à sa libération : cela intensifie la haine envers les chrétiens au Pakistan et la tête d'Asia Bibi est mise à prix par un mollah.
Elle n'y croira même pas quand, enfin, la Cour suprême l'acquittera. Le 9 mai 2019, un communiqué officiel tombe : "Asia Bibi a quitté le Pakistan de son plein gré" pour le Canada.
Mais c'est un point d'interrogation qui suit l'"Enfin libre" en tête de l'avant-dernier chapitre. Car la menace ne connaît pas les frontières. A l'arrivée d'Asia Bibi, un islamiste diffuse une vidéo sur les réseaux sociaux assurant s'être lui aussi rendu au Canada... pour tuer la "blasphématrice".