"Toute ma vie, je combattrai la peine de mort": "fidèle" à cette promesse faite après avoir accompagné un homme à la guillotine, Robert Badinter milite toujours "ardemment" pour que la peine capitale soit abandonnée partout dans le monde.
Quarante ans après avoir fait voter l'abolition de la peine de mort en France, l'ancien garde des Sceaux du président socialiste François Mitterrand se souvient de ce matin du 28 novembre 1972 qui a tout changé.
Robert Badinter est alors avocat depuis 20 ans. Roger Bontemps, un homme qu'il défendait et "dont la cour d'assises a reconnu qu'il n'avait pas donné la mort et n'était que le complice" de Claude Buffet, pour une sanglante prise d'otages, vient d'être exécuté.
Cela "remet en question votre vision de la justice. Je me suis juré, en quittant la cour de la Santé ce matin-là à l'aube, que toute ma vie je combattrais la peine de mort", retrace M. Badinter, 93 ans, dans un entretien écrit à l'AFP.
"J'ai été fidèle à cet engagement", poursuit l'ancien avocat.
Etre abolitionniste dans les années 1970, c'est se confronter à une opinion publique majoritairement hostile, des foules se pressant devant les palais de justice et criant "à mort" au passage du pénaliste. Une atmosphère qu'il décrira dans son livre "L'Abolition".
"Pour moi, seule comptait la vie de l'homme que je défendais et qu'il fallait sauver. Le reste, l'hostilité de la foule, était sans importance", assure l'ancien ministre et ex-sénateur.
Il sauvera de la guillotine six hommes, dont le meurtrier d'enfant Patrick Henry, condamné à la perpétuité en 1977.
- "Grand privilège" -
"Rien dans ma vie publique ne peut se comparer à l'intensité de l'angoisse qui saisissait l'avocat dans ces procès. Pendant des heures, après les parties civiles, l'avocat général demandait, souvent avec talent, la tête de celui qui était derrière vous et que vous entendiez respirer", explique Robert Badinter.
"J'avais compris que l'éloquence classique n'était pas de mise dans ces moments ultimes. Il fallait trouver au plus profond de soi-même les mots qui permettraient d'atteindre les jurés, de changer leur conviction. (...) L'essentiel était d'ouvrir leur cœur et leur esprit et de leur faire partager l'horreur et l'inutilité de la peine de mort", ajoute-t-il.
Menacé de mort, étiqueté "avocat des assassins", ministre parfois détesté, Robert Badinter considère toutefois avoir "eu beaucoup de chance". "Rares sont les vies d'hommes où l'on voit triompher une grande cause qu'on a faite sienne et à la victoire de laquelle vous avez contribué. C'est un grand privilège que j'ai connu", dit-il à l'AFP.
La loi qu'il a portée est promulguée le 9 octobre 1981: la France devient le 35e Etat à abolir la peine de mort, "la dernière démocratie dans la Communauté européenne de l'époque", souligne l'ex-garde des Sceaux.
Au matin même pourtant du débat sur l'abolition à l'Assemblée nationale, un sondage publié dans un quotidien selon lequel 67% des Français sont favorables à la peine de mort est déployé "sur de nombreux pupitres" de parlementaires.
- "Progrès constants" -
Tout cela semble loin maintenant à l'ancien ministre de la Justice: "En France, comme dans toute l'Union européenne, la peine de mort a disparu et personne ne croit sérieusement à son rétablissement, sauf quelques fanatiques", tacle-t-il.
Après l'abolition en France, un nouveau combat a commencé pour lui, celui de l'abolition universelle, et "les progrès dans ce domaine ont été considérables depuis 1981", salue Robert Badinter.
Sur près de 200 états membres de l'ONU, aujourd'hui "144 sont abolitionnistes. C'est dire que l'abolition est devenue majoritaire au sein des Etats du monde", se réjouit-il.
"Même aux Etats-Unis où le président Trump a voulu marquer son départ en faisant exécuter des condamnés à mort par la justice fédérale, contrairement à la tradition depuis des décennies, les progrès de l'abolition (...) sont constants. Tout récemment encore, la Virginie, Etat du Sud traditionnellement favorable à la peine de mort, a décidé d'abolir, de même que le Colorado", détaille l'ex-garde des Sceaux.
"Mais il est exact que la peine de mort est le signe permanent et universel de la barbarie, comme le disait Victor Hugo. Il suffit à cet égard de dresser la liste des Etats qui recourent encore à la peine de mort: le plus grand nombre de ceux-ci vivent sous des régimes dictatoriaux ou fanatiques", estime M. Badinter.