Malgré des « progrès fragmentaires » dans la lutte contre le racisme systémique à l'égard des personnes d'ascendance africaine, un nouveau rapport de l'ONU fait état de la persistance d'allégations de traitement discriminatoire, de recours excessif à la force et de décès de migrants africains par les forces de l'ordre ou de l'absence d'obligation de reddition des comptes dans des faits impliquant des personnes d'ascendance africaine.
« Lorsqu'elles sont disponibles, les données récentes montrent des taux disproportionnés de décès de personnes d'ascendance africaine par les forces de l'ordre dans différents pays », indique le rapport.
Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme (HCDH) a ainsi continué de recevoir des informations concernant des incidents ayant entraîné la mort et la blessure d'Africains et de personnes d'ascendance africaine, y compris des enfants, pendant ou après des rencontres avec des agents des forces de l'ordre. Mais seuls de rares incidents impliquant les forces de l'ordre sont souvent ventilées par origine raciale ou ethnique.
« Seule une fraction des cas de décès ou de blessures de personnes d'ascendance africaine aux mains des forces de l'ordre était signalée ou attirait l'attention du public ou des médias », a détaillé le rapport, relevant que « des cas de classification erronée et de sous-déclaration ont été signalés au Brésil et aux États-Unis ».
George Floyd et Adama Traoré des cas emblématiques
Selon le forum brésilien pour la sécurité publique, près de 80% des victimes d'opérations de police en 2020 au Brésil étaient d'origine africaine. Le HCDH et d'autres organisations ont ainsi exprimé leur inquiétude quant aux décès survenus lors d'opérations de maintien de l'ordre à grande échelle.
Il s'agit notamment de la mort de 23 personnes en un seul incident en mai 2022 à Vila Cruzeiro - un quartier marginalisé et majoritairement d'ascendance africaine de Rio de Janeiro, au Brésil - sur lequel une enquête aurait été ouverte.
Par ailleurs, le rapport s'est concentré en détail sur des cas emblématiques de violence policière contre les populations d'ascendance africaine. Il s'agit notamment de sept cas de décès de personnes d'origine africaine liés à la police : George Floyd et Breonna Taylor aux États-Unis ; Adama Traoré en France ; Luana Barbosa dos Reis Santos et João Pedro Matos Pinto au Brésil ; Kevin Clarke au Royaume-Uni ; et Janner (Hanner) García Palomino en Colombie.
Concernant la réponse apportée à ces violences policières, le rapport indique que si des progrès ont été accomplis en matière de responsabilisation dans certaines de ces affaires emblématiques, « malheureusement, aucune de ces affaires n'a encore été menée à son terme, les familles cherchant toujours à obtenir la vérité, la justice et des garanties de non-répétition, ainsi que la poursuite et la sanction de tous les responsables ».
Surreprésentation de personnes d'ascendance africaine dans les prisons
Les familles d'origine africaine ont continué à faire état des immenses des obstacles et des processus prolongés auxquels elles ont été confrontées dans leur quête de vérité et de justice pour la mort de leurs proches aux mains des forces de l'ordre.
« Les États à doivent redoubler d'efforts pour faire en sorte que les responsabilités soient établies et qu'il y ait réparation chaque fois que des Africains et des personnes d'ascendance africaine sont morts dans le cadre de l'application des lois, et à prendre des mesures pour faire face aux héritages qui perpétuent et entretiennent ce racisme systémique », a déclaré dans un communiqué Nada Al-Nashif, la Haute-Commissaire aux droits de l'homme par intérim.
D'une manière générale, le rapport fait état de la persistance d'allégations de traitement discriminatoire, d'expulsions illégales, de l'impact disproportionné de la peine de mort ou des politiques punitives en matière de drogues. Le document pointe du doigt des arrestations et de la surreprésentation dans les prisons, ainsi que de l'absence d'obligation de reddition des comptes et de réparation en cas de décès d'Africains et de personnes d'ascendance africaine pendant ou après une rencontre avec les forces de l'ordre.
Meilleure reconnaissance de la nature systémique du racisme
Des rapports ont également souligné l'impact disproportionné de la peine de mort, des politiques punitives en matière de drogues, des arrestations, de la surreprésentation dans les prisons et d'autres aspects du système de justice pénale sur les personnes d'ascendance africaine dans différents pays.
Aux États-Unis, l'ONU s'est inquiétée du fait que « de nombreux cas de personnes qui ont été condamnées à mort en 2021 étaient également concernés par des problèmes de discrimination raciale et de partialité ». Au Canada, des appels de plus en plus nombreux ont été lancés en faveur de la dépénalisation, notamment de la simple possession de drogue, y compris pour remédier aux disparités raciales dans l'application de la politique pénale en matière de drogues dans ce pays d'Amérique du Nord.
Plus globalement, l'activisme mené par les personnes d'ascendance africaine, rejointes par de nombreuses autres personnes, a permis une meilleure reconnaissance de la nature systémique du racisme et a donné lieu à des initiatives concrètes dans certains pays.
Le rapport décrit des initiatives internationales, nationales et locales, notamment, aux États-Unis, l'adoption d'un décret présidentiel visant à promouvoir des « pratiques efficaces en matière de maintien de l'ordre et de justice pénale ». Au Canada, il y a l'adoption d'une loi sur les données antiracistes en Colombie-Britannique.
Démanteler le racisme structurel
En Suède, ce sont des mesures visant à évaluer l'utilisation du profilage ethnique par la police. De son côté, la Commission européenne a adopté des lignes directrices sur la collecte de données fondées sur l'origine raciale ou ethnique ; ainsi que la recherche visant à évaluer les liens avec l'esclavage et le colonialisme dans plusieurs pays.
Mais pour l'ONU, il est urgent d'adopter des approches globales pour démanteler les systèmes profondément enracinés qui perpétuent la discrimination raciale dans tous les domaines de la vie, selon le nouveau rapport.
La Haute-Commissaire aux droits de l'homme par intérim a donc appelé les États à faire preuve d'une plus grande volonté politique pour accélérer l'action.
« Des initiatives prises dans différents pays ne sont pas à la hauteur des approches globales fondées sur des données probantes qui sont nécessaires pour démanteler le racisme structurel, institutionnel et sociétal enraciné qui existe depuis des siècles et continue d'infliger de graves dommages aujourd'hui », a déclaré Mme Al-Nashif, qui présentera, lundi à Genève, ce rapport au Conseil des droits de l'homme de l'ONU.