Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a décidé jeudi, malgré l'opposition de Téhéran et de Pékin, d'ouvrir une enquête internationale sur la répression des manifestations en Iran après la mort de Mahsa Amini, pour rassembler des preuves des violations et éventuellement poursuivre les responsables.
Et c'est en plein débat devant le Conseil, que l'agence de presse iranienne Fars a annoncé l'arrestation du célèbre footballeur Voria Ghafouri, accusé d'avoir "insulté et sali la réputation de l'équipe nationale (Team Melli) et de s'être livré à de la propagande" contre l'Etat.
Réunis d'urgence à l'initiative de l'Allemagne et de l'Islande, les 47 Etats membres de l'instance onusienne la plus élevée en matière de droits humains ont décidé de nommer une équipe d'enquêteurs de haut niveau pour faire la lumière sur toutes les violations de ces droits liées à la répression des manifestations.
Le texte a été voté à une majorité légèrement plus large qu'attendue, malgré une manoeuvre dilatoire de dernière minute de Pékin : 25 pays ont voté oui, six non (Arménie, Chine, Cuba, Erythrée, Pakistan et Venezuela) et 16 se sont abstenus.
Le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, voit dans le vote "la démonstration claire de l'engagement international croissant à faire rendre des comptes au régime iranien pour sa répression brutale du peuple iranien", selon un tweet.
"Le courage et la détermination des manifestants nous obligent", a souligné la représentation française auprès de l'ONU, saluant également la création de ce mécanisme d'enquête.
L'ONG Amnesty International s'est félicitée d'"une résolution historique" qui marque "une étape importante vers la fin de l'impunité !", tandis que Lucy McKernan, de Human Rights Watch, qualifiait la décision du Conseil d'"étape bienvenue".
- "Changement inévitable" -
Pendant les débats, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, dont la demande de visite en Iran est restée jusqu'à présent lettre morte, a appelé Téhéran à "cesser" son "usage inutile et disproportionné de la force".
"La situation actuelle est intenable", a prévenu M. Türk, qui réclame "un moratoire sur la peine de mort" et demande que le gouvernement "s'engage dans un processus de réformes car le changement est inévitable".
Pendant la session qui a duré toute la journée, de nombreux diplomates occidentaux - et parmi eux la ministre allemande des Affaires étrangères et son homologue islandaise - ont dénoncé la répression des manifestations qui, en plus de deux mois, a fait au moins 416 morts, dont 51 enfants, selon l'ONG Iran Human Rights (IHR), dont le siège est en Norvège.
Cette vague de contestation - née de revendications sur les droits des femmes après la mort de Mahsa Amini, arrêtée pour avoir mal porté le voile islamique, qui se sont mues en contestation du pouvoir - est sans précédent depuis la Révolution islamique de 1979.
Selon le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'Iran, plus de 15.000 personnes ont été arrêtées.
La justice iranienne a déjà prononcé six condamnations à mort en lien avec les manifestations et a annoncé cette semaine l'arrestation en deux mois de "40 étrangers" accusés d'implication dans les "émeutes" en Iran.
- "Justice pour le peuple" -
S'exprimant devant les journalistes à Genève avant le vote, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, avait encouragé les pays qui en général votent avec l'Iran à avoir le courage de s'abstenir.
"Nous ne savons pas si (cette résolution) peut sauver des vies demain. Mais ce que nous savons avec certitude, c'est que cela signifiera la justice, justice pour le peuple", avait-elle déclaré.
Cette mission d'enquête internationale indépendante - qui n'a guère de chance de pouvoir se rendre en Iran en raison de l'opposition de Téhéran - devra collecter les preuves des violations et les conserver de manière à ce qu'elles puissent servir à d'éventuelles poursuites.
Téhéran voit dans la plupart de ces manifestations des "émeutes" et accuse notamment des forces étrangères d'être derrière ce mouvement pour chercher à déstabiliser la République islamique.
"Le niveau d'extrême violence" des "émeutiers contre les citoyens et les forces de l'ordre est au-delà de toute description", a encore assuré l'ambassadrice iranienne en Finlande, Foroozandeh Vadiati, qui a participé à la session à Genève.
D'autres comme le Pakistan et le Venezuela ont dénoncé ce qu'ils voient comme une politisation croissante du Conseil des droits de l'homme, devenu à leurs yeux un outil aux mains des démocraties occidentales pour imposer leurs vues et s'ingérer dans les affaires intérieures des pays.