Ouganda : le Comité des droits de l'homme salue des mesures pour améliorer le respect des droits de l'homme mais est préoccupé par la « loi antihomosexualité », les violences policières, la corruption dans le système judiciaire, les pratiques coutumières néfastes
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Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique de l'Ouganda sur l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant le rapport de son pays, le Représentant permanent adjoint de l'Ouganda à Genève a souhaité intervenir à propos des réactions suscitées par la « loi antihomosexualité » de 2023, expliquant en particulier qu'elle répondait à « une vaste campagne délibérée et bien orchestrée pour promouvoir l'homosexualité parmi les jeunes ». Si cette loi s'appuie sur les lois coloniales, sa portée a été élargie pour protéger les enfants et les jeunes dans tout le pays, a précisé le représentant, affirmant par ailleurs que cette loi ne discrimine ni ne criminalise une personne qui s'identifie simplement comme homosexuelle. Il a d'autre part fait état de progrès en ce qui concerne les mesures de lutte contre la traite des personnes. Des efforts considérables ont également été menés pour améliorer l'accès à la justice et garantir l'indépendance et l'équité du système judiciaire. Des élections libres et équitables continuent d'être organisées dans le pays. Le Gouvernement attache une grande importance à la liberté d'expression, le représentant assurant que les lois relatives à la liberté d'expression ne sont pas adoptées dans l'intention de cibler des catégories spécifiques de personnes en fonction de leur inclination politique. L'Ouganda a par ailleurs mis en place des mécanismes réglementaires solides pour assurer le « fonctionnement efficace des organisations non gouvernementales ».
Outre le Représentant permanent adjoint de l'Ouganda à Genève, la délégation était également composée d'autres membres de la mission ainsi que de représentants de la police nationale, des services pénitentiaires et du bureau national des organisations non gouvernementales. Elle a fourni des informations complémentaires sur la lutte contre la violence sexiste et familiale, sur les mesures prises contre la surpopulation carcérale, sur la pratique du sacrifice d'enfants dont elle a affirmé qu'aucun cas récent n'avait été relevé, ou encore sur la loi antihomosexualité. Elle a notamment expliqué que la peine de mort n'était appliquée en Ouganda que « de manière exceptionnelle et avec parcimonie ». Elle a aussi insisté sur la nécessité de veiller à ce que le travail des organisations non gouvernementales soit réglementé.
Les membres du Comité ont notamment salué les mesures visant la mise en place d'un cadre institutionnel renforcé pour améliorer le respect des droits de l'homme dans le pays mais regrettent que l'application des lois reste inefficace. On continue de constater par ailleurs une opposition entre les systèmes de droit coutumier et la législation écrite, notamment la persistance de pratiques coutumières néfastes. La délégation a aussi été interrogée sur les mesures anti-corruption prises par l'Ouganda et sur leurs résultats. Des préoccupations ont été exprimées s'agissant d'un usage disproportionné de la force par les forces de l'ordre. Quant à la loi antihomosexualité, elle viole pratiquement tous les droits civils et politiques protégés par le Pacte, a déploré le Comité. Préoccupé par des informations faisant état d'une persécution généralisée de la population LGBTIQ+, le Comité a porté beaucoup d'attention à la loi antihomosexualité, entrée en vigueur le 30 mai 2023, « dont les dispositions violent pratiquement tous les droits civils et politiques protégés par le Pacte », en plus d'entretenir délibérément la confusion entre l'orientation sexuelle, la pédophilie, la pédopornographie et la prostitution d'enfants.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de l'Ouganda et les rendra publiques à l'issue de la session, qui se termine le 26 juillet prochain.
Le Comité des droits de l'homme entame cet après-midi l'examen du cinquième rapport périodique de Chypre qui se poursuivra vendredi matin. Demain, jeudi 29 juin, est un jour férié à l'ONU, à l'occasion de l'Aïd al-Adha.
Examen du rapport de l'Ouganda
Le Comité des droits de l'homme était saisi du rapport périodique de l'Ouganda (CCPR/C/UGA/2), ainsi que ses réponses à une liste de points à traiter qui lui avait été adressée par le Comité.
Présentation du rapport
M. ARTHUR KAFEERO, Représentant permanent adjoint de l'Ouganda auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a souhaité souligner les faits nouveaux et autres mises à jour survenus depuis la soumission du rapport au Comité, le 19 novembre 2020, et les réponses soumises en janvier 2023. Il a notamment indiqué que l'Ouganda avait promulgué plusieurs lois pour assurer la transposition et la mise en œuvre des dispositions du Pacte. La loi de 2020 sur les élections parlementaires a permis de mettre en œuvre les articles 32.1 et 78.1 de la Constitution visant l'élection de cinq représentants des personnes âgées au Parlement. L'Ouganda a également adopté la loi de 2020 sur les partis et organisations politiques qui leur prescrit un code de conduite, comme l'exige l'article 71.2 de la Constitution.
S'agissant de la récente loi antihomosexualité de 2023, M. Kafeero a reconnu qu'elle avait suscité différentes réactions. Mais, a-t-il poursuivi, il est très important que ce comité entende des informations de première main sur les circonstances qui ont mené à l'adoption de cette loi. L'Ouganda a l'une des populations les plus jeunes au monde : 44 % de ses citoyens ont moins de 14 ans et 78 % moins de 30 ans. Or, récemment, une vaste campagne délibérée et bien orchestrée pour promouvoir l'homosexualité parmi les jeunes, en particulier les enfants dans les écoles, a été mise au jour et a retenu l'attention de tout le pays. Le Gouvernement, conformément à toutes les structures démocratiques, a répondu par la promulgation de cette loi, qui s'appuie sur les lois coloniales, mais dont la portée a été élargie pour protéger les enfants et les jeunes dans tout le pays.
Le représentant ougandais a ajouté que son gouvernement avait la responsabilité primordiale de protéger les enfants contre tout abus, comme l'exigent les lois du pays et la Convention relative aux droits de l'enfant, à laquelle le pays est partie, et il continuera de le faire. Contrairement au récit selon lequel la loi est discriminatoire sur la base de l'orientation sexuelle, la loi ne discrimine ni ne criminalise une personne qui s'identifie simplement comme homosexuelle. Il s'est dit convaincu que les membres du Comité le confirmeront lorsqu'ils liront le texte de loi.
M. Kafeero a fait valoir que le Gouvernement ougandais avait fait des progrès significatifs en ce qui concerne les mesures de lutte contre la traite des personnes. Il a notamment adopté un Plan d'action national pour la prévention de la traite des personnes couvrant la période 2019-2024. Ce plan décrit des mécanismes complets pour lutter contre toutes les formes de traite et sert de guide aux institutions gouvernementales et aux organisations de la société civile. Une coordination interministérielle est assurée dans ce domaine par le biais d'une équipe spéciale qui comprend des organismes gouvernementaux et la Coalition des sociétés civiles contre la traite des personnes (UCATIP). L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) participe en tant qu'observateur dans ce groupe de travail.
En ce qui concerne l'administration de la justice, le Gouvernement ougandais a entrepris des efforts considérables pour améliorer l'accès à la justice et garantir l'indépendance et l'équité du système judiciaire. La loi de 2020 sur l'administration de la magistrature a facilité l'augmentation du nombre d'officiers de justice et amélioré leurs conditions de service. Cette campagne de recrutement a abouti à la nomination de 72 juges de la Haute Cour, 394 magistrats et 54 greffiers. Les efforts se poursuivent pour recruter du personnel supplémentaire.
Par ailleurs, des élections libres et équitables continuent d'être organisées dans le pays. Le Gouvernement reconnaît l'importance du droit de réunion pacifique tel qu'énoncé à l'article 21 du Pacte et prévu dans la Constitution ougandaise.
De même, le Gouvernement attache une grande importance à la liberté d'expression, en dépit des défis croissants que les médias sociaux continuent de poser, avec les fausses nouvelles et autres incitations. La mise en œuvre de l'accréditation des journalistes, menée en vertu de la loi sur la presse et les journalistes, a fait l'objet d'un processus de consultation avec les parties prenantes de l'industrie des médias. Le représentant a ajouté que les lois relatives à la liberté d'expression ne sont pas adoptées dans l'intention de cibler des catégories spécifiques de personnes en fonction de leur inclination politique.
En matière de liberté d'association, l'Ouganda a mis en place des mécanismes réglementaires solides pour assurer le fonctionnement efficace des organisations non gouvernementales. La loi sur les ONG, conjointement avec les règlements d'application, énonce les exigences nécessaires à leur enregistrement, y compris la soumission d'états financiers, de rapports annuels et de livres de comptes vérifiés. L'engagement du Gouvernement à lutter contre le blanchiment d'argent est illustré notamment par la désignation des ONG comme personnes responsables en vertu de la loi anti-blanchiment, imposant des obligations de déclaration pour les transactions monétaires dépassant des seuils spécifiés. Ces mesures soulignent l'engagement de l'Ouganda à maintenir la transparence, la responsabilité et l'intégrité dans les activités des ONG.
Bien que le Gouvernement ait pris des mesures décisives pour remédier au non-respect de la loi sur les ONG, une procédure régulière a été prévue pour garantir l'équité et le respect de l'état de droit. Au cours des cinq dernières années, 63 ONG au total ont été suspendues pour diverses pratiques non-conformes, 31 d'entre elles ayant réussi à résoudre leurs problèmes et à reprendre leurs activités. Pour les ONG qui n'ont pas encore obtenu d'autorisation, un processus diligent est en cours, démontrant l'engagement du Gouvernement à assurer le respect des dispositions légales et à favoriser un secteur des ONG dynamique et responsable.
M. Kafeero a reconnu que, comme tout autre pays, l'Ouganda rencontre des difficultés à garantir le plein exercice de certains droits de l'homme. Néanmoins, son gouvernement est fier des progrès accomplis et qu'il entend poursuivre dans le respect, la promotion et la protection des droits de l'homme de son peuple. Nous le faisons, non par pression, mais parce que nous croyons fermement que c'est bon pour notre peuple, à la lumière de notre histoire mouvementée, a-t-il conclu.
Questions et observations des membres du Comité
Un membre du Comité a reconnu que l'Ouganda avait pris des mesures concrètes pour mettre en place plusieurs politiques et instruments juridiques, y compris un cadre institutionnel renforcé pour améliorer le respect des droits de l'homme dans le pays. C'est une avancée encourageante, a-t-il dit, relevant toutefois des informations préoccupantes soumises au Comité, s'agissant notamment de la faible mise en œuvre et de l'application inefficace des lois en vigueur. Il a demandé à la délégation ce que le Gouvernement entendait faire pour accélérer la promulgation des projets de loi en instance afin d'assurer la protection effective des droits civils et politiques de ses citoyens, conformément au Pacte. Il a également souhaité obtenir des informations sur la fréquence à laquelle le Pacte avait été invoqué et appliqué par les tribunaux.
L'expert s'est également intéressé à l'opposition entre les systèmes de droit coutumier et la législation écrite. Ainsi, bien que des mesures juridiques aient été prises pour interdire la pratique des sacrifices d'enfants et d'autres normes et pratiques coutumières néfastes, davantage d'efforts s'imposent car ces pratiques persistent. L'expert a demandé à connaître les autres mesures politiques, administratives ou institutionnelles envisagées pour répondre aux exigences et dispositions du Pacte.
Ce membre du Comité a aussi relevé que le plan d'action national sur les droits de l'homme, préparé en 2014, n'avait pas encore été approuvé par le Gouvernement. Il a souhaité en connaître les raisons et a voulu savoir quelles mesures étaient envisagées pour en accélérer la finalisation, l'approbation et la mise en œuvre.
S'agissant de la Commission ougandaise des droits de l'homme, le Comité est informé que son budget a encore été réduit, en dépit de sa demande d'augmentation. Elle est de plus confrontée à de sérieux défis pour décentraliser ses services et recruter le personnel nécessaire. La délégation a été invitée à dire les mesures envisagées par l'Ouganda pour augmenter les ressources budgétaires et le personnel de la Commission. Il a également demandé des chiffres sur les l'arriéré d'affaires à traiter par la Commission et son impact sur l'accès à la justice pour les victimes de violation des droits de l'homme.
L'expert a ensuite salué l'adoption de la politique nationale de justice transitionnelle, en juin 2019, qui constitue une étape bienvenue dans les efforts de l'Ouganda pour rendre justice aux victimes dans les situations post-conflit. Pour autant, les progrès accomplis vers la promulgation du projet de loi sur la question sont encore très limités, a-t-il relevé, avant de demander à la délégation de préciser quelles autres mesures concrètes étaient envisagées pour accélérer la promulgation du projet de loi.
La délégation a aussi été interrogée sur les mesures anti-corruption prises par l'Ouganda, dont le cadre politique, juridique et institutionnel est présenté dans le rapport. Le Comité a souhaité connaître les principales réalisations de ces politiques, et en particulier le bilan des lois de 2015 sur la lutte contre la corruption, de 2017 sur le blanchiment d'argent, de 2021 sur la passation des marchés publics et de la cession d'actifs, et de 2010 sur les lanceurs d'alerte. Combien d'affaires ont été engagées, a demandé un expert, souhaitant aussi avoir des exemples d'affaires de corruption complexes et de haut niveau qui se sont retrouvées devant les tribunaux. Il a aussi souhaité connaître les principales compétences du tribunal anticorruption.
En matière de violence à l'égard des femmes, les données montrent que la violence domestique était le troisième crime en importance dans le pays en 2020. Elle représentait 9% du nombre total de crimes signalés. Selon le rapport annuel sur la criminalité publié par la police ougandaise, la tendance s'est accentuée avec la pandémie de COVID-19. Une enquête menée en 2021 par ONU-Femmes et le Bureau ougandais des statistiques a révélé que 56 % des femmes ayant déjà vécu en couple avaient subi des violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie.
Dans ce contexte, il a été demandé à la délégation de détailler les mesures prises pour renforcer les capacités des forces de l'ordre et des magistrats (juges et procureurs) sur les questions de violences fondées sur le genre. Le Comité a également voulu connaître le nombre de tribunaux dédiés qui ont été créés, ainsi que le nombre d'affaires traitées et pendantes, les condamnations et le type de sanctions infligées aux auteurs.
S'agissant de la violence sexiste, il a été relevé que le projet de loi sur le mariage de 2022 ne criminalise le viol conjugal que dans les situations spécifiques, laissant entendre que le viol conjugal dans toute autre situation ne constitue pas une infraction pénale.
Le Comité dispose d'informations selon lesquelles la police aurait souvent recours et de manière inutile et disproportionnée à la force, entraînant parfois la mort. En 2021, à la suite de deux incidents terroristes à Kampala, au moins huit personnes ont été tuées alors qu'elles auraient résisté à leur arrestation. Quatre autres personnes, soupçonnées d'avoir des liens avec le groupe rebelle Allied Democratic Forces (ADF) auraient été tuées. D'autres informations fiables indiquent que l'opération de désarmement « Usalama Kwa Wote », menée le 13 juillet 2021 pour désarmer les voleurs de bétail dans la région du nord-est de Karamoja, a également entraîné des exécutions extrajudiciaires d'au moins 12 personnes, dont une âgée de 80 ans, assise devant son domicile. Combien d'enquêtes, tant disciplinaires que pénales, ont été lancées sur ces meurtres et quelle a été l'issue de ces poursuites, a interrogé un membre du Comité.
Le Comité reçoit également de nombreuses informations selon lesquelles les forces de sécurité pratiquent la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris la détention au secret, notamment contre des opposants politiques, réels ou présumés, des journalistes, des défenseurs des droits de l'homme, des travailleurs du sexe, des membres de la communauté LGBTQI+. Il a été demandé à la délégation de donner des statistiques sur le nombre d'enquêtes ouvertes, de poursuites engagées et de déclarations de culpabilité ou d'acquittements prononcés en lien avec ces actes.
Le Comité a pris note du fait que la discrimination est interdite en Ouganda par la Constitution et que le pays a mis en place une Commission pour l'égalité des chances (Equal Opportunities Commission) dont le mandat est d'élimination de la discrimination. Le pays dispose en outre d'une législation anti-discrimination complète. Dans ce contexte, le Comité a été intéressé d'apprendre davantage sur le fonctionnement de ladite commission, ses actions concrètes et les résultats auxquels elle est parvenue pour lutter contre les stéréotypes en tous genres, y compris ceux basés sur l'origine ethnique, le genre, la maladie, le statut migratoire et l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
À cet égard, le Comité a reçu des informations faisant état d'une persécution généralisée de la population LGBTIQ+, aggravée par l'adoption de la loi antihomosexualité, entrée en vigueur le 30 mai 2023, dont les dispositions violent pratiquement tous les droits civils et politiques protégés par le Pacte, en plus d'entretenir délibérément la confusion entre l'orientation sexuelle, la pédophilie, la pédopornographie et la prostitution d'enfants, s'est alarmée une experte. Dans ce contexte, elle a souhaité savoir si l'État partie envisage d'abroger cette loi en attendant d'adopter un moratoire pour en empêcher la mise en œuvre. L'Ouganda entend-il par ailleurs décriminaliser les relations sexuelles entre personnes adultes de même sexe et lutter efficacement contre les actes de menaces, violences – y compris sexuelles –, arrestations arbitraires, intimidations – en particulier de la part des forces de sécurité – pour des motifs liés à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre.
La délégation a aussi été interrogée sur les mesures mises en place pour réglementer le droit coutumier et les pratiques coutumières en matière d'accès et de propriété foncière et sur les retards concernant la promulgation du projet de loi sur le mariage et le divorce. Des préoccupations ont également été soulevées par la loi antiterroriste qui permet toujours l'exercice de pouvoirs discrétionnaires et habilite en particulier les agences de renseignement à effectuer une surveillance sans un contrôle indépendant. Des questions ont également tourné autour de la peine de mort.
S'agissant du droit de réunion pacifique, le Comité a reçu des informations selon lesquelles, pendant la pandémie de COVID-19, le Gouvernement a adopté un certain nombre de mesures qui ont eu pour effet d'interdire des réunions pacifiques de manière sélective et discriminatoire. Il a été demandé ce qu'envisage l'Ouganda pour clarifier le cadre juridique applicable aux rassemblements pacifiques, au regard de l'article 21 du Pacte.
Entre autres questions, le Comité s'est aussi intéressé à l'administration de la justice, alors que le système judiciaire ougandais est perçu comme corrompu. La délégation a été invitée à donner les principaux objectifs et réalisations du Plan d'action judiciaire de lutte contre la corruption.
Réponses de la délégation
Répondant aux questions et observations des membres du Comité, la délégation a assuré que la Commission des droits de l'homme de l'Ouganda était fonctionnelle et indépendante, y compris financièrement. Mais en raison des conséquences économiques et financières de la pandémie de COVID-19, son budget a été resserré en raison des coupes budgétaires dans les administrations publiques. Cela dit, la délégation espère que la situation viendra à changer, dès lors que l'économie du pays repartira. C'est le Gouvernement ougandais qui assume l'essentiel du budget de la commission, avec plus de 20 milliards de shillings ougandais. Répondant à une question sur les arriérés dans les affaires qui lui sont soumises, la délégation a indiqué que l'on comptait 1750 cas en attente en 2021 et 1396 en 2022. En ce qui concerne l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme, environ 1 322 822 shillings ougandais ont été versés, 820 millions devant encore être versés. La priorité va à ceux qui attendent depuis longtemps d'être indemnisés, a indiqué la délégation.
Quant à la mise en œuvre du Pacte dans les juridictions du pays, il a entièrement été transposé dans de nombreuses dispositions juridiques en Ouganda, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de citer le Pacte lui-même devant les tribunaux.
En matière de violence sexiste, conjugale et familiale, le bureau du Procureur a mis en place, dès 2017, un département chargé de la question et a élaboré un manuel sur le traitement judiciaire de ces cas. Des stratégies de prévention et de formation destinées aux personnels judiciaires et de police ont également été élaborées, avec l'appui notamment d'ONU-femmes et de la société civile. En 2018, plus de mille cas ont été traités dans les différentes juridictions du pays. Selon les chiffres, 20% des femmes ont subi cette violence sexiste. Les auteurs ont été condamnés à verser des réparations, la difficulté étant que la plupart sont pauvres et ne peuvent pas toujours effectuer les versements requis. Il existe également des refuges pour les femmes victimes de violences sexistes, a indiqué la délégation.
S'agissant de la loi antihomosexualité, la délégation a dit ne pas vouloir y consacrer trop de temps. L'Ouganda est un pays qui a comme principe la primauté du droit et qui a la volonté de protéger sa jeunesse. La délégation a de nouveau insisté sur le fait que la promotion de différentes orientations sexuelles dans les écoles a heurté la population et la culture ougandaises. Toujours est-il que tous les aspects de cette loi relèvent des tribunaux. De plus, ce n'est pas l'homosexualité qui est incriminée, mais seulement certains actes, dont la promotion dans les écoles et dans le seul but de protéger les enfants ougandais ciblés par ces campagnes. Les personnes LGBTI peuvent vivre librement en Ouganda, aller et venir sans entraves, a encore assuré la délégation, invitant de nouveau les membres du Comité à d'abord lire le texte de loi.
La délégation a expliqué que la peine de mort n'était appliquée que de manière exceptionnelle et avec parcimonie. Elle est également le fruit de l'histoire du pays. Mais avant toute ratification du Protocole facultatif sur l'abolition de la peine de mort, il faudra de plus amples débats au Parlement. C'est également le cas pour la loi sur la protection des témoins, en cours de finalisation, mais dont l'application a des implications financières et nécessitera un accord au Parlement.
Le plan d'action national sur les droits de l'homme est en cours de mise en œuvre, même s'il a pris du retard. Mais le gouvernement reste déterminé à poursuivre sur cette voie, tout comme sur la mise en œuvre du plan d'action national sur les entreprises et les droits de l'homme, a assuré la délégation. Le projet de loi sur le mariage est encore en cours d'examen au Parlement. En matière de lutte contre la corruption, la délégation ne dispose pas de données. Elle les fournira ultérieurement au Comité.
Répondant aux questions des experts sur les sacrifices d'enfants, la délégation a souligné que le pratique était illégale et sanctionnée, ajoutant que, ces dernières années, aucun signalement n'avait été porté à la connaissance des autorités.
Le système carcéral en Ouganda est l'un des plus performants en Afrique, étant même devenu un modèle pour d'autres pays de la région, a déclaré la délégation. Le pays compte 266 prisons, avec une population carcérale de 75 737 détenus. Les prisons sont supervisées et inspectées par différentes institutions comme la Commission nationale des droits de l'homme et une commission parlementaire. Contre la surpopulation carcérale, le Gouvernement augmente la capacité d'accueil des prisons. En 2012 et 2013, de nouvelles prisons ont été construites et les établissements existants ont été agrandis. En outre, sur la base d'une loi de 2016, les condamnés pour délits mineurs peuvent ne pas être privés de liberté et purger leurs peines au sein de leurs communautés. La délégation a également fait valoir qu'entre 2021 et 2022, environ 1 533 détenus ont bénéficié d'un programme de remise de peine.
La délégation a nié toute détention au secret en Ouganda, un pays démocratique, respectueux de l'état de droit. La Commission nationale des droits de l'homme a réalisé une enquête sur la prétendue existence de prisons clandestines, concluant, dans son dernier rapport, à leur inexistence. Tout citoyen ougandais en détention est incarcéré dans une prison officielle. Certaines personnes allèguent de persécution politique pour tout simplement tenter d'échapper à la justice, a estimé la délégation.
S'agissant de la traite des personnes, 1 200 incidents ont été enregistrés en 2022, dont 526 concernent des cas d'exploitation, contre 400 cas en 2021. La délégation a estimé que cette progression était le résultat d'une politique de sensibilisation et d'incitation à la dénonciation. Elle a indiqué que 73 auteurs ont été condamnés en 2022, contre 30 en 2021.
La délégation a aussi justifié la suspension de l'Internet lors de la période électorale – qui s'est déroulée pendant la pandémie de COVID-19 – dans le but d'endiguer les messages haineux qui circulaient et le risque d'insurrection. Des dirigeants politiques ont cherché à contourner les règles, alors que le Gouvernement avait à cœur de protéger les citoyens pour faire infléchir la courbe des infections. Que doit donc faire un Gouvernement responsable lorsque dans la rue certains acteurs politiques agissent contre les directives et les lois dans le but de diffuser des messages haineux, a demandé le chef de la délégation, estimant que la violation de ces mesures a eu des conséquences, y compris sur l'utilisation d'internet.
Par ailleurs, le Gouvernement est très attaché à la protection de la liberté d'expression, celle de la presse et des médias en général. En février 2021, une commission a incriminé des membres de la police militaire qui avaient agressé des journalistes. Les auteurs ont été sanctionnés car cela est pris très au sérieux.
Concernant les activités des organisations non gouvernementales, le Gouvernement Ougandais les considère comme des partenaires, mais elles doivent respecter les règles pour pouvoir travailler. Une ONG ne peut travailler dans aucun pays sans que l'on connaisse ses sources de financement, les noms de ses employés, l'adresse de ses locaux, a-t-il illustré, prenant exemple d'une ONG installée à Genève. Selon la délégation, la communauté internationale ferait mieux de travailler en collaboration pour éviter que les règles qui sont dans l'intérêt de tous soient utilisées à mauvais escient par ces ONG.
La délégation a en outre répondu à toute une autre série de questions portant sur les forces de police, la gestion de l'ordre public, les opérations de désarmement dans la région de Karamoja.
Conclusions
M. KAFEERO a déclaré que la délégation de l'Ouganda était disposée à fournir au Comité des compléments d'information par écrit. Il a réitéré que, dans son pays, les membres du judiciaire sont nommés conformément à la loi. Il a regretté certains commentaires de la part du Comité à ce propos. La délégation reste toutefois à la disposition du Comité pour tout travail futur en commun, a-t-il conclu.
MME TANIA MARÍA ABDO ROCHOLL, Présidente du Comité, a rappelé que le Comité attendait des réponses à ses questions dans la perspective de la rédaction de ses observations finales, dont le but est d'aider l'Ouganda à mettre en œuvre ses obligations au titre du Pacte.