TEHERAN (AFP) - L'intellectuel iranien Hachem Aghajari a été condamné à mort pour "insultes aux prophètes", verdict interprété par ses proches comme le moyen d'impressionner les réformateurs en plein bras de fer avec les conservateurs.
Agé de 45 ans, Hachem Aghajari, proche politiquement du président réformateur Mohammad Khatami, a été condamné mercredi par un tribunal d'Hamédan, malgré sa grande popularité auprès des étudiants et son prestige de combattant de la première heure de la Révolution islamique et de la guerre contre l'Irak, à la suite d'un discours qu'il avait prononcé le 19 juin dans cette ville de l'ouest, a indiqué à l'AFP son avocat Me Saleh Nikbakht.
Il avait alors plaidé pour un "protestantisme de l'islam" et estimé que les musulmans "n'avaient pas à suivre aveuglément (...) un chef religieux". Selon la justice qui l'avait fait arrêter le 8 août, il avait également remis en cause les dogmes de l'islam, ce qui justifie la peine capitale selon la loi islamique.
Le juge l'a aussi condamné à huit ans de prison, à purger dans plusieurs villes de province, 74 coups de fouet et dix années de privation du droit d'enseigner (M. Aghajari est professeur d'histoire à la faculté de formation des enseignants). En vertu de la loi islamique, la condamnation à mort sera exécutée seulement après les autres peines.
L'annonce de cette condamnation a choqué ses proches. "Ce verdict n'a rien à voir avec la justice", a déclaré Ali Chakouri-Rad à l'AFP. Pour le député réformateur, ils (les conservateurs confrontés à une offensive en règle de la part du président Khatami) "cherchent à créer un climat de terreur".
"Les conservateurs croient disposer d'une carte maîtresse pour faire pression sur les amis (réformateurs) de Hachem Aghajari", a abondé un proche qui a requis l'anonymat.
"C'est un verdict d'autant plus lourd que, selon plusieurs dignitaires religieux, il n'a même pas insulté les prophètes", a affirmé son avocat, qui a annoncé qu'il allait faire appel. Plusieurs ayatollahs éminents, tels Hassan Saneï et l'ancien dauphin de l'imam Khomeiny, Hossein Ali Montazéri, avaient estimé que, bien que "maladroites", les déclarations de M. Aghajari n'"insultaient" pas les prophètes et ne valaient pas d'être pendu.
La justice n'a pas pris en compte la personnalité de M. Aghajari. Pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), cet ancien officier a perdu une de ses jambes sur le champ de bataille. Il se déplace aujourd'hui sur une chaise roulante après une opération en prison à la suite d'une infection à la jambe.
Membre de l'Organisation des moudjahidines de la Révolution islamique (OMRI, réformatrice), considérée comme la principale inspiratrice des réformes, auteur de plusieurs livres, il avait, ces dernières années, défendu une vision plus moderne de l'islam.
L'annonce de cette condamnation est survenue au lendemain de l'adoption, par le Parlement, d'un des deux projets de loi de M. Khatami attaquant la mainmise des conservateurs sur le pouvoir. "L'aile dure des conservateurs a décidé d'en découdre avec le président Khatami", a estimé M. Chakouri-Rad.
Le quotidien conservateur Ressalat avait, mardi, imagé la tactique des conservateurs: "Imaginez deux voitures qui se foncent dessus. Ce qui est important, c'est (de savoir) lequel des deux conducteurs, pris de peur, cédera le plus vite et donnera un coup de volant pour éviter l'accident. Si le conducteur A montre une détermination proche de la folie, le conducteur B finira par céder".
Lundi, la justice avait déjà fait arrêter Abbas Abdi, un des dirigeants du Front de la participation, le principal mouvement réformateur. M. Abdi, autre proche du président, est accusé de "collusion" avec l'étranger et d'avoir réalisé un sondage pour le compte de l'institut américain Gallup.
Les réformateurs craignent d'autres arrestations prochaines mais se disent aussi déterminés que leurs adversaires. "Les deux parties sont arrivées à un point de non-retour", estime l'analyste Saïd Leylaz.