TEHERAN (AFP) - Deux mille étudiants ont protesté lundi pour la troisième journée consécutive à Téhéran contre la condamnation à mort de l'intellectuel Hachem Aghajari, faisant à nouveau de l'université le coeur de la contestation politique trois ans après la violente répression des mouvements estudiantins.
Pour les témoins, le rassemblement pacifique de deux mille jeunes pleurant "la mort de la pensée et l'emprisonnement de la liberté" devant la faculté de formation des enseignants où Hachem Aghajari enseignait l'histoire constituait la manifestation de protestation politique la plus importante en Iran depuis celles de juillet 1999.
A l'époque, l'intervention de la police dans un dortoir de l'université de Téhéran avait jeté des dizaines de milliers d'étudiants dans les rues et déclenché des heurts qui, officiellement, avaient fait un mort et donné lieu à des centaines d'arrestations.
Samedi soir, pour la première fois depuis des mois, trois à quatre cents étudiants ont occupé la chaussée devant le campus. Dimanche, au moment où le parlement à majorité réformatrice exprimait son émotion, ils étaient 1.200 à dénoncer l'action de la justice.
Lundi matin, sous un chaud soleil automnal devant la faculté, la foule a grossi régulièrement, les portraits de Hachem Aghajari portés à bout de bras se sont faits d'heure en heure plus nombreux au-dessus des étudiants et des étudiantes voilées de noir.
Un membre d'une association islamique, sous couvert de l'anonymat, se disait lui-même étonné de la mobilisation de jeunes qui "ne s'intéressaient même plus à la qualité de leur nourriture" depuis 1999.
Devant des étudiants en grève depuis samedi et certains membres de "l'encadrement scientifique" qui a annoncé sa démission en bloc, les orateurs ont montré beaucoup moins de respect que leurs aînés du parlement à l'égard de la justice et du pouvoir. "Exécuter Aghajari, c'est exécuter le renouveau religieux" n'était pas la formule la plus virulente d'étudiants montrant aussi dans leurs chants leurs convictions religieuses et patriotiques.
La manifestation a seulement été perturbée par l'intervention inopinée d'une femme en tchador défendant la condamnation à mort de l'intellectuel. Elle a été fermement éloignée par les étudiants et les étudiantes selon lesquels il devait s'agir d'une "provocation" du Hezbollah.
La police en uniforme est restée à l'écart, se contentant d'une grosse présence de forces spéciales à la sortie de la faculté pour les empêcher de se répandre dans la rue.
La justice, elle, est restée sourde aux cris de l'université et aux instances du parlement.
Le chef du pouvoir judiciaire, l'ayatollah Mahmoud Hachemi Chahroudi, destinataire de l'appel signé par 178 députés à casser le verdict, leur a opposé une fin de non-recevoir, signifiant que le "dossier (devait) suivre son cours normal" et qu'il appartenait à la cour d'appel ou à la cour suprême de trancher.
La justice de Hamedan (ouest) a quant à elle justifié son verdict en faisant valoir que "les propos de Hachem Aghajari constituaient une insulte à l'islam, à la position divine des imams chiites et aux principes sacrés".
L'intellectuel a été condamné à la peine capitale mercredi à huis clos par le tribunal de Hamedan pour avoir, dans un discours en juin, plaidé pour un "protestantisme de l'islam" et déclaré que les musulmans "n'avaient pas à suivre aveuglément un chef religieux". Ce jugement a recueilli une très large réprobation, bien au-delà des rangs réformateurs.
Selon la justice de Hamedan, ces déclarations ont fait de lui un "infidèle".
La justice de Hamedan comme l'ayatollah Chahroudi ont dénigré les protestataires, en particulier les députés, qui "ne connaissent rien au système judiciaire".
"Le parlement est la maison du peuple et doit défendre les intérêts du peuple, et non pas ceux d'un parti", a lancé M. Chahroudi à l'adresse des réformateurs du président Mohammad Khatami, majoritaires au parlement.