TRIPOLI (AFP) - Les infirmières et le médecin bulgares, accusés depuis huit ans d'avoir délibérément inoculé le virus du sida à des enfants, ont échappé à la peine de mort, la sentence ayant été commuée mardi en peine de prison à vie par la plus haute instance judiciaire de Libye.
Cette décision, qui sonne comme un dénouement heureux dans une affaire ayant empoisonné les relations de la Libye avec la communauté internationale, a été immédiatement saluée par les Etats-Unis, l'Union européenne et la France.
Elle pourrait permettre l'extradition en Bulgarie des condamnés pour qu'ils y purgent leur peine en vertu d'un accord bilatéral datant de 1981 (bien 1981). Le Conseil supérieur des instances judiciaires libyennes, qui dépend directement du ministre de la Justice, n'a cependant pas clarifié le sort immédiat des six condamnés.
Il s'agit d'"un grand pas dans la bonne direction", mais le dossier ne sera clos qu'avec le rapatriement des six praticiens, a commenté le chef de la diplomatie bulgare Ivaïlo Kalfine.
Les Etats-Unis se sont dits "rassurés" et le président français Nicolas Sarkozy a salué "la décision sage et courageuse des familles des enfants contaminés de renoncer à la peine capitale pour les six personnels médicaux bulgares, dans le cadre de la tradition du pardon islamique".
M. Sarkozy a indiqué qu'il comptait se rendre les "prochains jours" en Libye, dans un entretien téléphonique avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, a rapporté l'agence officielle libyenne Jana.
Le parquet général de Sofia a annoncé qu'une demande d'extradition serait lancée dès mercredi, précisant que "la présidence bulgare aurait le pouvoir de gracier" les condamnés une fois ceux-ci sur son sol.
"Le Conseil supérieur a décidé de commuer la peine de mort en prison à vie", a indiqué à l'AFP une source officielle libyenne sous couvert de l'anonymat.
Cette instance avait le pouvoir de modifier ou d'annuler le verdict de la Cour suprême qui avait confirmé le 11 juillet la condamnation à mort des six praticiens, accusés d'avoir inoculé le virus du sida à 438 enfants de Benghazi, deuxième ville de Libye, dont 56 sont décédés.
Deux heures auparavant, les familles des victimes, qui ont "reçu" des "dédommagements" d'un million de dollar par victime, avaient indiqué avoir renoncé à la peine de mort, selon leur porte-parole, Idriss Lagha.
"Nous avons renoncé à la peine de mort, après que toutes nos conditions ont été remplies", a insisté M. Lagha.
Certaines familles avaient commencé dès le matin à retirer l'argent à la banque. Le nombre de victimes s'éleverait à près de 460, dont une vingtaine de mères ayant été contaminées par leurs enfants, selon le porte-parole.
Un document signé a été transmis à la Fondation Kadhafi, cheville ouvrière des négociations avec les familles, qui l'a ensuite remis au Conseil supérieur des instances judiciaires.
Cette Fondation, présidée par le fils de M. Kadhafi, Seif al-Islam, a précisé que l'argent provenait du Fonds spécial d'aide de Benghazi, créé en 2005 par Tripoli et Sofia, sous l'égide de l'UE. Les Etats-Unis y participent également, selon la Fondation.
Depuis lundi, le dernier acte de cette affaire était repoussé d'heure en heure dans l'attente de l'indemnisation des familles, ou "diya", le prix du sang.
En effet, les familles avaient jusque-là refusé de signer le moindre document tant que l'argent ne leur serait pas effectivement versé. La Fondation Kadhafi avait assuré que "toute la procédure devrait être achevée mardi".
Les infirmières Kristiana Valtcheva, Nassia Nenova, Valia Tcherveniachka, Valentina Siropoulo et Snejana Dimitrova, ainsi que le médecin Achraf Joumaa Hajouj --un Palestinien qui a obtenu la nationalité bulgare en juin--ont toujours clamé leur innocence, affirmant que leurs aveux avaient été arrachés sous la torture.
Ils ont reçu le soutien de deux des chercheurs les plus éminents sur le virus, les spécialistes français Luc Montagnier et italien Vittorio Colizzi, pour qui la contamination résultait des mauvaises conditions d'hygiène de l'hôpital.
Toutefois, pour mettre toutes les chances de leur côté, les accusés avaient déposé une "demande de pardon et de clémence" auprès du Conseil supérieur des instances judiciaires, demande signée samedi en présence d'ambassadeurs de pays européens accrédités à Tripoli.
Ils se sont en outre engagés par écrit à ne pas poursuivre l'Etat pour leurs années passées dans les geôles libyennes.