ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 juillet 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer une journée nationale pour l'instauration d'un moratoire universel sur les exécutions capitales en vue de leur abolition totale dans le monde.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Bernard BIRSINGER, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Claude BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Patrice CARVALHO, Alain CLARY, Christian CUVILLIEZ, René DUTIN, Daniel FEURTET, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Guy HERMIER, Robert HUE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. André LAJOINIE, Jean-Claude LEFORT, Patrick LEROY, Félix LEYZOUR, François LIBERTI, Patrick MALAVIEILLE, Roger MEÏ, Ernest MOUTOUSSAMY, Bernard OUTIN, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER, Michel VAXÈS et Jean VILA (1),
Députés.
(1) Constituant le groupe communiste et apparentés.
Droits de l'homme et libertés publiques.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En 1999, la peine de mort a été appliquée au nom de la justice dans 37 pays et territoires.
Il est inadmissible, en cette fin de millénaire, que la justice ait encore dans certains pays le droit de tuer et de porter atteinte à l'intégrité physique et morale de l'individu jusqu'à lui supprimer même la vie. Peut-on parler de justice alors que la peine de mort s'apparente, en fait, à un crime d'Etat qui traumatise la conscience humaine, comme le déclarait déjà en son temps Victor Hugo? Le fait qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une procédure légale rend au contraire, plus intolérable encore, le caractère profondément inhumain de cette peine.
La peine de mort a été et reste aujourd'hui, quel que soit le contexte, un châtiment cruel et injuste qui porte atteinte de façon inacceptable aux droits fondamentaux et à la dignité humaine. Les arguments justifiant cette peine ne s'avèrent pas convaincants. Son caractère irréversible entraîne inévitablement l'exécution d'innocents, et rend impossible au système judiciaire et pénal de corriger ses erreurs. Or tout système, quel que soit le pays concerné, est faillible. Considérée comme " seule réponse valable à des taux de criminalité élevés " par ses défenseurs, l'application de la peine de mort n'entraîne aucune baisse de criminalité car il est prouvé qu'elle n'a aucun effet dissuasif. Elle ne protège pas la société. Au contraire, en tant que solution expéditive, elle entretient le climat de violence, de vengeance et de brutalité. Et elle détourne des questions de fond qui devraient être posées sur l'augmentation de la criminalité et de la violence dans les sociétés.
A son caractère profondément inhumain et à son inefficacité, s'ajoute une application où la ségrégation et l'inégalité devant la loi sont reconnues. De très nombreux détenus qui ont été condamnés à mort n'ont pas bénéficié de procès véritablement équitables. Aux Etats-Unis, la grande majorité des condamnés sont des Noirs et, comme le dit lui-même un élu républicain du New Hampshire qui vient de voter l'abolition de la peine de mort: " Il n'y a jamais eu aucun milliardaire dans les couloirs de la mort! "
Le cas de Mumia Abu Jamal, journaliste noir américain militant pour la cause de la minorité noire, est révélateur à ce sujet. La mobilisation internationale pour que son procès - inéquitable selon toute vraisemblance- soit réouvert, ne cesse de s'amplifier. Dans un pays -les Etats-Unis - qui se proclame chantre des droits de l'homme dans le monde, il serait inadmissible que Mumia Abu Jamal subisse le même sort qu'Odell Barnes dont " l'assassinat légal " a bien eu lieu malgré une enquête contradictoire apportant des éléments tangibles d'erreurs judiciaires.
Le caractère discriminatoire et les inégalités dans son prononcé en fonction de l'origine ethnique, de la pauvreté ou des opinions politiques, renforcent encore l'urgence de remettre en cause, dans le monde entier, la légitimité de la peine de mort et d'instaurer de façon urgente un moratoire sur les exécutions capitales. Doit-on tolérer, en cette fin de xxe siècle, que justice soit encore rendue de telle façon dans certains pays? De nombreux textes internationaux affirment le contraire. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 reconnaît le droit de chaque individu à la vie et stipule que " nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ". Or, la peine de mort viole ces droits.
Elle doit être abolie. C'est une question de principe, incontournable à l'heure où la volonté de construire un droit et une justice internationaux s'affirme. Trop de pays, comme les Etats-Unis nous l'avons dit, mais aussi la Chine, l'Iran, l'Arabie saoudite... persistent à les appliquer au mépris des droits humains fondamentaux. Parvenir à l'abolition de la peine de mort partout dans le monde est un objectif ambitieux. Elle doit néanmoins constituer une priorité pour tous les défenseurs des droits de l'homme, pour tous ceux qui veulent construire un monde qui privilégie l'être humain et son épanouissement.
Des signes encourageants témoignent d'une prise de conscience et de la montée de la tendance abolitionniste au niveau mondial. La commission des droits de l'homme des Nations unies a voté une résolution en 1997 qui considère que " l'abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et à l'élargissement des droits fondamentaux ". Elle a, depuis, adopté des résolutions successives prônant l'abolition de la peine de mort et qui ont été parrainées par un nombre croissant d'Etats. Cette tendance est sensible aussi au niveau européen avec les nombreuses résolutions du Parlement européen pour l'établissement d'un moratoire universel des exécutions capitales.
Parallèlement, la société civile internationale se mobilise de plus en plus fortement au travers des ONG, des associations. Ce mouvement qui s'étend aujourd'hui provient de pays et de cultures très divers. Même dans des pays comme les Etats-Unis où l'opinion publique est traditionnellement favorable à ce châtiment, les mentalités évoluent. La publication de chiffres témoignant du nombre de condamnés à mort innocents qui ont été exécutés a ébranlé une partie de la société américaine.
La France, en tant que berceau des droits de l'homme, s'honorerait d'appuyer et de contribuer fortement à renforcer le mouvement qui se développe pour un moratoire universel sur les exécutions capitales tendant à leur abolition totale. Cet engagement pourrait s'affirmer notamment dans le cadre des relations de notre pays avec les pays tiers, ainsi qu'au sein des organes des Nations unies, dans le souci du respect du caractère universel et indissociable des droits humains.
Les auteurs proposent l'instauration d'une journée nationale, en France, pour permettre la mobilisation de toutes les énergies en faveur de ce moratoire universel sur les exécutions capitales.
Dix-neuf ans après l'abolition de la peine de mort dans notre pays, cette journée nationale sera un outil pour permettre, au-delà de nos propres frontières, l'affirmation de cet acte démocratique fondateur qu'est l'abolition.
Le Parlement, l'Assemblée nationale en particulier, peut contribuer efficacement à la prise de conscience internationale contre la peine de mort en instaurant cette journée nationale et c'est dans cet esprit qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Une journée nationale pour l'instauration d'un moratoire universel sur les exécutions capitales en vue de leur abolition totale est créée.
2554 - Proposition de loi de M. Bernard Birsinger : création d'une journée nationale pour l'instauration d'un moratoire universel sur les exécutions capitales en vue de leur abolition totale dans le monde (affaires culturelles).