(Genève, 24 février 2010)
La France regarde comme un vrai privilège d'ouvrir avec vous ce 4ème congrès organisé par « Ensemble contre la peine de mort » dont elle accueille à Paris le siège permanent.
Je crois à la symbolique des lieux. Il ne m'est pas indifférent de souligner que c'est ici, à Genève, au Palais des Nations, que vous avez choisi d'organiser ce congrès. Genève, dont le peuple admirable - avec le renfort décisif de Victor Hugo - ouvrit la voie de l'abolition le 7 décembre 1862. Genève donc, et aussi ce Palais des Nations, là même où, en 1933 la société internationale se heurtait au mur des souverainetés, là ou Goebbels pouvait lancer aux défenseurs des droits que « charbonnier est maître chez soi », mais un Palais où désormais chaque État doit répondre devant le monde du respect des droits de l'Homme sur son propre sol, un lieu qui consacre donc les progrès encore fragiles mais décisifs de la responsabilité en politique internationale.
Vous le savez, la France est aujourd'hui totalement engagée dans cette campagne pour l'abolition universelle de la peine de mort. Elle est de toutes les initiatives, partante pour toutes les démarches, ouverte à toutes les audaces.
Elle le fait, consciente qu'il y a là un enjeu qui dépasse de loin le champ des intérêts bien compris des Etats, un enjeu qui touche à l'essentiel, le respect de la dignité humaine. Elle le fait dans l'esprit même de Victor Hugo écrivant au peuple de Genève : « il ne suffit pas d'être la république, il faut encore être la liberté ; il ne suffit pas d'être la démocratie, il faut encore être l'humanité. Un peuple doit être un homme, et un homme doit être une âme ». Ce combat, la France le porte instruite par sa propre expérience, celle que lui dicte sa longue histoire et sans prétendre aucunement donner de leçons au monde. Car que nous inspirent notre histoire et notre expérience ? si ce n'est ce qu'il aura fallu de temps entre le cri du premier supplicié et l'engagement de l'écrivain, entre l'inspiration et le projet, entre le moment où la loi fut imposée et celui où elle devint acceptée par le corps social. Aujourd'hui, l'abolition de la peine de mort est inscrite dans l'identité française. Mais de cette histoire je tire aussi l'enseignement que le courage politique est une vertu plus rare encore que le courage physique, et je veux saluer le rôle essentiel de Robert Badinter. En vous voyant je me dis que si les droits de l'Homme sont d'abord un droit de victimes, c'est dans la défense des coupables qu'ils trouvent leur accomplissement le plus élevé.
Mesdames et Messieurs, nous sommes entrés dans un monde nouveau, lourd de dangers et de menaces, un monde où la seule certitude est que les fondamentaux de demain seront différents de ceux que nous avons connus, un monde où l'on sent bien que les nouvelles technologies de l'information, les progrès de la science portent de nouvelles exigences, un monde où la notion même de preuve judiciaire va continuer d'évoluer, faisant apparaître la peine de mort comme de plus en plus inadaptée, décalée par rapport aux attentes de notre temps.
Mais aussi un monde marqué par de nouveaux défis que l'humanité s'est elle-même infligée : le réchauffement climatique et toutes ses conséquences, la surpopulation, l'urbanisation forcée, qui tous rehaussent le risque de violences, de tensions, de tragédies, autant de défis aux droits de l'Homme et à la dignité. Car la question de la peine de mort n'est pas séparable des autres débats où la dignité est en jeu. Je pense en particulier au respect de la présomption d'innocence dans la procédure pénale, et, bien sûr, à l'état des prisons, dont le nom même est parfois synonyme de traitement inhumain et dégradant. En abolissant la peine de mort, nous avons fait une partie du chemin, mais beaucoup reste à parcourir. Le nombre effarant de suicides dans les prisons atteste qu'il ne suffit pas d'avoir aboli la peine de mort pour l'avoir réellement supprimée ?
Aujourd'hui, la peine de mort est en recul mais des milliers d'hommes et de femmes dans le monde attendent leur exécution. La France se tient à leurs côtés. Aux peuples qui hésitent encore, à ceux qui croient à la vertu dissuasive de la peine de mort, à ceux qui ne doutent pas des arrêts de leur justice, elle leur redit ces mots que Victor Hugo adressa au peuple de Genève à la veille du vote historique : « vous ne l'abolirez peut-être pas aujourd'hui, mais n'en doutez pas, demain vous l'abolirez ou vos successeurs l'aboliront ».