WASHINGTON - En pleine rupture de stock nationale de l'anesthésiant indispensable aux exécutions capitales, qui a déjà provoqué plusieurs reports, certains Etats américains ont trouvé un moyen de se procurer des doses du produit tout en refusant d'en divulguer l'origine.
"Dans ce pays, on est tellement habitué aux exécutions que les arrêter rend les responsables locaux fébriles", explique à l'AFP Deborah Denno, professeur à la Fordham University et spécialisée dans les méthodes d'exécution, à moins de deux semaines des élections législatives et de la majorité des gouverneurs qui se tiendront le 2 novembre.
L'anesthésiant en question, appelé thiopental, n'est fabriqué que par un laboratoire pharmaceutique aux Etats-Unis, Hospira, actuellement en rupture de stock et incapable de reprendre la production avant le premier trimestre 2011.
Le dernier lot de thiopental vendu par Hospira est proche de sa date de péremption, en 2011. Certains Etats comme le Texas (sud) ou l'Ohio (nord), ont suffisamment de produit pour poursuivre les exécutions en attendant mais d'autres, comme le Kentucky (centre-est) ont dû les suspendre.
Mais la Californie (ouest) et l'Arizona (sud-ouest) ont annoncé début octobre s'être procuré l'anesthésiant et avoir l'intention de procéder à des injections mortelles, selon des documents judiciaires. Mais les autorités pénitentiaires de ces deux Etats refusent de dire où elles ont acheté le produit.
A Phoenix (Arizona), les avocats de Jeffrey Landrigan, qui doit mourir mardi, ont porté l'affaire devant la justice.
"M. Landrigan a besoin que l'Etat lui donne des détails pour être sûr que le thiopental utilisé pour son exécution est chimiquement conforme et n'est pas périmé", ont-ils assuré dans une requête devant la Cour suprême de l'Etat.
Ils ont rappelé que seul le thiopental fabriqué par Hospira dispose d'une autorisation de mise sur le marché émise par les autorités sanitaires fédérales (Agence de l'alimentation et du médicament, FDA) et que le produit ne peut donc venir que d'un pays étranger.
Mais pour le ministre de la Justice de l'Arizona, les mouvements des produits mortels entourant une exécution doivent rester strictement confidentiels pour des raisons de sécurité.
"Quelle différence cela fait-il ?", a déclaré mercredi lors d'une audience Andrew Hurwitz, un des juges de la Cour suprême de l'Arizona, perplexe sur la nécessité d'une approbation sanitaire pour un médicament "qui va être utilisé afin de tuer quelqu'un".
"Qu'un juge puisse déclarer ça est complètement à côté de la plaque", estime Mme Denno qui rappelle que cet anesthésiant a pour objectif de rendre le condamné inconscient afin qu'il ne souffre pas lors de l'injection des deux autres produits, l'un paralysant ses muscles, l'autre arrêtant son coeur.
Le thiopental trouvé par les deux Etats "peut ne pas avoir la même qualité s'il est fabriqué ailleurs", explique-t-elle. "Par exemple, si ça vient de Chine, (...), nous ne savons pas qui le fabrique là-bas, leur système est complètement occulte", ajoute-t-elle, évoquant une question "très perturbante".
Interrogée par l'AFP, l'Agence fédérale de l'alimentation et des médicaments (FDA) a assuré "n'être au courant d'aucune importation de ce produit". Or, l'accord de la FDA est obligatoire pour toute importation de médicament en rupture de stock aux Etats-Unis.
"Il existe un risque réel pour M. Landrigan que l'Etat ait acquis sans le savoir un médicament contrefait et frelaté", s'inquiètent les avocats du condamné.
La Cour suprême de l'Arizona les a déboutés mais un juge fédéral a ordonné à l'Etat de divulguer l'origine du produit. La procédure est en cours en Californie.