Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 août 1981.
PRÉSENTÉ
AU NOM DE M. PIERRE MAUROY, Premier ministre,
PAR M. ROBERT BADINTER, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
[Peines. - Peine de mort - Code de justice militaire - Code de procédure pénale - Code pénal]
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Un pays épris de libertés ne peut, dans ses lois, conserver la peine de mort. C'est un impératif pour la liberté que de n'accorder a quiconque un pouvoir absolu tel que les conséquences d'une décision soient irrémédiables. C'en est un autre que de refuser l'élimination définitive d'un individu, fût-il un criminel.
Une justice qui se dérobe à cette double exigence avoue son impuissance et réduit son influence civilisatrice. La peine de mort entérine une faillite sociale; son abolition répond à un principe éthique.
Le rejet de la peine capitale, constamment réclamé par les grands courants de pensée et plusieurs fois évoqué devant les Assemblées parlementaires, n'avait jamais pu, encore, s'imposer clairement à la conscience collective, comme si la nation tout entière, agitée depuis deux siècles de ce tourment, n'osait s'en débarrasser. Or le principe en est, désormais, tacitement admis puisque le peuple français s'est prononcé à deux reprises pour des candidats qui se réclamaient de I'abolition. Il faut donc en tirer les conséquences, et traduire dans nos lois un choix auquel les électeurs ont implicitement consenti. En rappelant que les études faites conduisent à la même conclusion : il n'existe entre l'évolution de la criminalité sanglante et I'absence ou la présence de la peine de mort aucune corrélation.
Le moment est venu pour la France, qui fut si souvent à I'avant-garde des libertés et du progrès du droit, de combler le retard qu'elle a pris en ce domaine par rapport aux pays d'Europe occidentale qui refusent un châtiment considéré comme une peine inhumaine, dégradante et cruelle.
Trop longtemps accrochée à cette survivance d'un autre âge, la France se trouve aujourd'hui, du fait d'un profond renouveau intérieur, en mesure de rejoindre une opinion internationale qui, par la voix d'organisations diverses et, tout récemment, par celles du Conseil de l'Europe et de l'Assemblée des Communautés européennes, s'est prononcée sans ambiguïté contre le maintien de la peine de mort.
PROJET DE LOI
Le Premier ministre,
Sur le rapport du Garde des Sceaux, ministre de la Justice,
Vu I'article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi portant abolition de la peine de mort, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat (commission permanente), sera présenté à I'Assemblée nationale par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.
Article premier.
La peine de mort est abolie.
Art. 2.
Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné.
Art. 3.
Les articles 12, 13, 14, 15, 16, 17 du Code pénal et l'article 713 du Code de procédure pénale sont abrogés.
Art. 4.
Le 1° de l'article 7 du Code pénal est supprimé. Les 2°, 3°,
4°, 5° de cet article deviennent en conséquence les 1°, 2°, 3° et 4°.
Art. 5.
Les articles 336 et 337 du Code de justice militaire sont abrogés.
Art. 6.
L'alinéa premier de l'article 340 du Code de justice militaire est remplacé par l'alinéa suivant :
"A charge d'en aviser le ministre des Armées, l'autorité militaire qui a donné l'ordre de.poursuite ou revendiqué la procédure peut suspendre I'exécution de tout jugement portant condamnation; elle possède ce droit pendant les trois mois qui suivent le jour où le jugement est devenu définitif."
Art. 7.
La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer ainsi qu'à la collectivité territoriale de Mayotte.
Fait à Paris, le 29 août 1981.
Signé : PIERRE MAUROY.
Par le Premier ministre
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice,
Signé : ROBERT BADINTER.