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Constatations du Comité des droits de l'homme - Affaire Kindler [Canada] - Opinions individuelles

CCPR/C/48/D/470/1991.
constatations du 18 novembre 1993 - Comité des droits de l'homme
Pays :
Suite et fin des constatations du Comité des droits de l'homme sur l'affaire Kindler - 1993

APPENDICE*
Opinions individuelles, présentées conformément au paragraphe 3 de l'article 94 du règlement intérieur du Comité des droits de l'homme, concernant les constatations du Comité


A. Opinion individuelle de MM. Kurt Herndl et Waleed Sadi




(concordante quant au fond/dissidente quant à la recevabilité)

Nous souscrivons pleinement à la conclusion du Comité selon laquelle les faits qui lui ont été exposés ne révèlent pas de violation par le Canada d'une disposition quelconque du Pacte. Nous tenons toutefois à réitérer les préoccupations que nous avons exprimées dans l'opinion dissidente que nous avons jointe à la décision concernant la recevabilité prise par le Comité le 31 juillet 1992.

"[...]
3. Cette communication dans son essence crée une menace à l'exercice par un Etat de ses obligations en droit international, en vertu d'un traité d'extradition valide. En fait, un examen des travaux préparatoires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques révèle que les rédacteurs ont examiné avec attention la question complexe de l'extradition et décidé de l'exclure du Pacte, non par accident, mais parce que de nombreuses délégations étaient opposées à toute atteinte aux obligations de leurs gouvernements en droit international en vertu de traités d'extradition.

4. Cependant, compte tenu de l'évolution du droit international, notamment en matière de droits de l'homme, depuis l'entrée en vigueur du Pacte en 1976, la question se pose de savoir si, dans certaines circonstances exceptionnelles, le Comité des droits de l'homme peut ou même doit examiner des questions directement liées à l'application par un Etat partie d'un traité d'extradition. Des circonstances exceptionnelles de ce genre existent si, par exemple, une personne risque d'être extradée arbitrairement vers un pays où il existe des motifs importants de croire qu'elle peut être soumise, par exemple, à la torture. En d'autres termes, le Comité pourrait déclarer recevables ratione materiae et ratione loci, les communications concernant l'extradition d'une personne d'un Etat partie vers un autre Etat (partie ou non), à condition que l'auteur ait étayé son affirmation selon laquelle ses droits seraient violés par le pas qui requiert son extradition; pour cela, il faut faire état d'un motif raisonnable de croire qu'une violation de ce genre se produirait probablement. Dans la communication considérée, l'auteur n'a pas montré cela, et l'Etat partie a fait valoir que le Traité d'extradition avec les Etats-Unis n'est pas incompatible avec les dispositions du Pacte et est conforme aux exigences du Traité type d'extradition élaboré au huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le châtiment des délinquants, tenu à La Havane en 1990.

5. L'opinion majoritaire a néanmoins été que cette communication était recevable, bien qu'à titre provisoire, parce que l'extradition de l'auteur par le Canada vers la Pennsylvanie a été considérée comme pouvant soulever des questions en rapport avec les articles 6 et 7 du Pacte. Pourtant les faits présentés au Comité ne révèlent aucune probabilité de violations des droits de l'auteur en vertu du Pacte par un Etat partie au Protocole facultatif. En tant qu'étranger entré illégalement en territoire canadien, le seul lien de l'auteur avec le Canada est qu'en 1985 il a été détenu en vue de son extradition et que la légalité de cette extradition a été vérifiée par les tribunaux canadiens et, après examen approprié de ses arguments, confirmée par la Cour suprême du Canada en septembre 1991. L'auteur ne présente aucune plainte concernant une atteinte à la régularité de la procédure au Canada. Ses allégations concernent des violations hypothétiques de ses droits par les Etats-Unis, qui ne sont pas un Etat partie au Protocole facultatif. A notre avis, le "lien" avec l'Etat partie est beaucoup trop ténu pour que le Comité puisse déclarer la communication recevable. De plus, M. Kindler, qui a été extradé vers les Etats-Unis en septembre 1991, a sa condamnation toujours en appel devant les tribunaux de Pennsylvanie. A cet égard, une responsabilité déraisonnable est imposée au Canada en demandant à ce pays de défendre, d'expliquer ou de justifier devant le Comité le système d'administration de la justice des Etats-Unis.

6. A ce jour, le Comité a déclaré de nombreuses communications irrecevables lorsque les auteurs n'ont pas pu étayer leurs allégations aux fins de la recevabilité. Un examen soigneux des renseignements présentés par l'avocat de l'auteur dans sa lettre initiale et de ses commentaires sur les observations de l'Etat partie révèle que l'on est essentiellement en présence d'une affaire où une tentative délibérée est faite pour éviter l'application de la peine de mort, qui demeure un châtiment légal en vertu du Pacte. Dans le cas présent, l'auteur n'a pas étayé son affirmation selon laquelle ses droits en vertu du Pacte seraient, avec un degré raisonnable de probabilité, violés par son extradition vers les Etats-Unis.

7. En ce qui concerne les questions qui, selon les affirmations de l'auteur, peuvent se poser en rapport avec l'article 6, le Comité reconnaît que le Pacte n'interdit pas l'application de la peine de mort pour les crimes les plus graves. En fait, s'il l'interdisait, le deuxième Protocole facultatif, relatif à l'abolition de la peine de mort, serait superflu. Etant donné que ni le Canada ni les Etats-Unis ne sont parties à ce protocole, on ne peut pas attendre de ces Etats que l'un demande et que l'autre donne des assurances de la non-application de la peine de mort. La question de savoir si le paragraphe 2 de l'article 6, lu en rapport avec le paragraphe 1, peut amener à une conclusion différente est, au mieux, une question théorique, qui ne constitue pas un sujet d'examen approprié conformément au Protocole facultatif.

8. Quant aux questions dont il est prétendu qu'elles peuvent se poser en rapport avec l'article 7 du Pacte, nous nous associons à la référence faite par le Comité à sa jurisprudence dans ses constatations sur les communications Nos 210/1986 et 225/1987 (Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque) et Nos 270 et 271/1988 (Barrett et Sutcliffe c. Jamaïque), dans lesquelles le Comité a décidé que le phénomène dit du "couloir de la mort" ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant, même si une procédure judiciaire prolongée peut être une cause de tension nerveuse pour les détenus. A cet égard, il importe de noter que les périodes prolongées de détention dans des quartiers de condamnés à mort résultent des recours des détenus. Dans le cas présent, l'auteur n'a pas présenté d'argument justifiant que le Comité s'écarte de sa jurisprudence établie.

9. Une deuxième question qui se poserait en rapport avec l'article 7 est de savoir si la méthode d'exécution - par injection mortelle dans l'Etat de Pennsylvanie - peut être considérée comme constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Evidemment, on peut considérer que toutes les formes d'application de la peine capitale entraînent un déni de la dignité humaine; toutes les formes d'exécution peuvent être conçues comme cruelles et dégradantes. Cependant, étant donné que la peine capitale n'est pas interdite par le Pacte, l'article 7 doit être interprété à la lumière de l'article 6; il ne peut pas être invoqué contre cet article. La seule exception concevable serait que la méthode d'exécution soit délibérément cruelle. Il n'y a cependant pas d'indication que l'exécution par injection cause plus de douleur ou de souffrance que d'autres méthodes acceptées d'exécution. Ainsi l'auteur n'a pas apporté de preuve concluante que l'exécution par injection peut soulever une question en rapport avec l'article 7.

10. Nous concluons que l'auteur n'a pas pu étayer l'affirmation selon laquelle il était victime d'une violation de ses droits au sens de l'article 2 du Protocole facultatif, que la communication ne soulève que des questions lointaines en rapport avec le Pacte; et qu'en conséquence, elle devrait être déclarée irrecevable, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif, en tant qu'abus du droit de présenter des communications."
Kurt Herndl
Waleed Sadi[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]


B. Opinion individuelle de M. Bertil Wennergren (dissidente)




Je ne peux souscrire aux constatations du Comité qui a conclu qu'il n'y avait pas de violation de l'article 6 du Pacte. A mon avis, le Canada a violé le paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte en extradant l'auteur vers les Etats-Unis sans s'être assuré que sa vie ne serait pas en danger, c'est-à-dire que la sentence de mort prononcée contre lui ne serait pas exécutée. Mes raisons sont les suivantes :

Premièrement, je voudrais expliquer comment j'interprète l'article 6 du Pacte. La Convention de Vienne sur le droit des traités stipule qu'"un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but". L'objet des dispositions de l'article 6 est la vie de la personne humaine et leur but, la protection de cette vie. C'est ce que souligne le paragraphe 1 qui garantit à chaque être humain le droit inhérent à la vie. Les autres dispositions de l'article 6 ont un objet secondaire et subsidiaire, à savoir autoriser les Etats parties qui n'ont pas aboli la peine capitale à y recourir jusqu'à ce qu'ils se sentent prêts à l'abolir. Au cours des travaux préparatoires du Pacte, un grand nombre de représentants de gouvernements et d'organes participant au processus de rédaction ont vu dans la peine de mort une "anomalie" ou un "mal nécessaire". Dans cette perspective, il semblerait logique d'interpréter au sens large le principe fondamental énoncé au paragraphe 1 de l'article 6 et d'interpréter de manière restrictive le paragraphe 2 qui traite de la peine de mort. La différence principale entre les constatations du Comité et mon opinion sur cette communication réside dans l'importance que j'attache au principe fondamental énoncé au paragraphe 1 de l'article 6 et dans ma conviction que ce qui est stipulé au paragraphe 2 au sujet de la peine de mort a un objectif limité qui ne peut en aucun cas l'emporter sur le principe essentiel consacré par le paragraphe 1.

Les dispositions du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte occupent une place prédominante par rapport aux autres dispositions de cet article; de plus, il ressort clairement de l'article 4 que ces dispositions ne souffrent aucune dérogation même dans le cas où un danger public menace l'existence de la nation. Cependant, aucune société n'a posé en postulat un droit absolu à la vie. Tous les droits de l'homme, y compris le droit à la vie, sont soumis au principe de la nécessité. Si la nécessité absolue l'exige, mais seulement dans ce cas, il peut être légitime de priver un individu de la vie pour l'empêcher de tuer d'autres personnes ou de provoquer une catastrophe. Pour la même raison, il est légitime d'envoyer des citoyens à la guerre et de les exposer ainsi au risque réel d'être tués. D'une façon ou d'une autre, le principe de la nécessité fait partie intégrante de tous les systèmes juridiques; le système juridique qui découle du Pacte ne fait pas exception.

Le paragraphe 2 de l'article 6 prévoit une exception pour les Etats parties qui n'ont pas aboli la peine de mort. Le Pacte les autorise à continuer à l'appliquer. Cette clause dérogatoire ne doit pas être interprétée comme justifiant le fait de priver des personnes de la vie même si elles ont été légalement condamnées à la peine de mort, et ne rend pas l'exécution d'une sentence de mort à proprement parler légale. Elle donne simplement la possibilité aux Etats parties d'être libérés de leurs obligations en vertu des articles 2 et 6 du Pacte, à savoir "respecter et garantir le droit à la vie de tous les individus qui se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur compétence, sans distinction aucune", et leur permet d'établir une distinction en ce qui concerne les personnes coupables des "crimes les plus graves".

Le moyen le plus courant d'assurer la protection du droit à la vie est de sanctionner pénalement l'acte qui consiste à tuer des êtres humains. Cet acte est normalement désigné par les termes "homicide involontaire ou volontaire" ou "assassinat". En outre, il peut y avoir des omissions qui peuvent être placées dans la catégorie des crimes impliquant la privation volontaire de la vie comme l'inaction ou l'omission qui entraîne la mort d'une personne, par exemple le fait pour un médecin de laisser mourir un malade en omettant délibérément de brancher un appareil de maintien en vie, ou le fait de ne pas porter secours à une personne dans une détresse telle que sa vie soit en danger. La responsabilité pénale des particuliers et des représentants de l'Etat est engagée au même titre en cas de privation de la vie. La législation pénale fournit certaines orientations pour déterminer les limites à l'obligation qui incombe à tout Etat partie, en vertu du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte, de protéger le droit à la vie des personnes relevant de sa juridiction.

Ce que le paragraphe 2 de l'article 6 ne fait pas, à mon avis, c'est de permettre aux Etats parties qui ont aboli la peine de mort de la rétablir ultérieurement. De cette façon, le caractère "dérogatoire" du paragraphe 2 a pour effet positif d'empêcher une prolifération des exécutions de condamnés à mort dans les Etats parties au Pacte. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte a été élaboré et adopté afin d'encourager les Etats parties qui ne l'ont pas encore fait à abolir la peine de mort.

Les Etats-Unis n'ont pas aboli la peine de mort et peuvent donc, conformément au paragraphe 2 de l'article 6, priver des individus de la vie en exécutant les sentences de mort légalement prononcées contre eux. L'applicabilité du paragraphe 2 de l'article 6 aux Etats-Unis ne devrait pas toutefois être interprétée comme s'étendant à d'autres Etats lorsqu'ils doivent examiner des questions en rapport avec l'article 6 du Pacte conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte. La clause "dérogatoire" qui figure au paragraphe 2 ne s'applique qu'au niveau interne et ne concerne en l'espèce que les Etats-Unis, en tant qu'Etat partie au Pacte.

En revanche, d'autres Etats sont, à mon avis, tenus de s'acquitter de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 de l'article 6, c'est-à-dire de protéger le droit à la vie. Qu'ils aient ou n'aient pas aboli la peine capitale ne fait à mon avis aucune différence. La clause "dérogatoire" qui figure au paragraphe 2 ne s'applique pas dans ces conditions. Seul le principe énoncé au paragraphe 1 est applicable et doit être strictement appliqué. Un Etat partie ne doit pas aller à l'encontre du but du paragraphe 1 de l'article 6 en ne garantissant pas à toute personne la protection nécessaire pour que son droit à la vie ne soit pas menacé. Et, selon le paragraphe 1 de l'article 2, cette protection doit être garantie à tous les individus sans distinction aucune. Aucune distinction ne doit donc être établie sous prétexte par exemple qu'une personne a commis un "crime très grave".

La valeur de la vie est incommensurable pour tout être humain et le droit à la vie consacré par l'article 6 du Pacte est le droit suprême. Les Etats parties au Pacte ont l'obligation de protéger la vie de tous les êtres humains qui se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur compétence. Si des questions en rapport avec la protection du droit à la vie se posent, la priorité ne doit pas être accordée aux lois internes d'autres pays ou aux articles de traités (bilatéraux). Le pouvoir discrétionnaire, de quelque nature qu'il soit, prévu dans un traité d'extradition ne peut être exercé car les obligations découlant du Pacte l'emportent. Il convient de répéter qu'aucun Etat ne peut déroger aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l'article 6. C'est la raison pour laquelle, à mon avis, le Canada a violé le paragraphe 1 de l'article 6 en acceptant d'extrader M. Kindler vers les Etats-Unis sans avoir obtenu l'assurance que la peine de mort prononcée contre lui ne serait pas appliquée.
B. Wennergren[Texte en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]


C. Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah (dissidente)




1. Je ne puis souscrire aux constatations du Comité selon lesquelles les faits qui lui ont été exposés ne révèlent pas de violation par le Canada de l'une quelconque des dispositions du Pacte.

2.1 Je commencerai par dire que je partage l'avis du Comité, exprimé au paragraphe 13.1 du texte des constatations, selon lequel ce qui est en jeu ce n'est pas de savoir si les droits de M. Kindler ont été ou risquent d'être violés aux Etats-Unis et un Etat qui est partie au Pacte est tenu de veiller à s'acquitter de tous les autres engagements juridiques qu'il pourrait avoir contractés en vertu d'un traité bilatéral d'une manière qui soit compatible avec ses obligations en vertu du Pacte. Je partage aussi le point de vue du Comité, exprimé au paragraphe 13.2, selon lequel si un Etat partie procède à l'extradition d'une personne dans des circonstances telles qu'il en résulte un risque réel que les droits de l'intéressé au regard du Pacte soient violés dans la juridiction vers laquelle il est extradé, l'Etat partie lui-même peut être coupable d'une violation du Pacte.

2.2 Je me demande toutefois si le Comité a raison de conclure qu'en extradant M. Kindler et en l'exposant ainsi au risque réel d'être privé de la vie, le Canada n'a pas violé ses obligations au titre du Pacte. La question de savoir si l'auteur courait ce risque au regard du Pacte dans son application concrète au Canada doit être examinée, comme le Comité le fait, à la lumière de la décision du Canada d'abolir la peine de mort pour tous les délits civils par opposition aux infractions militaires, décision à laquelle il a été donné effet dans le droit canadien.

2.3 La question qui se pose est de savoir quelles sont exactement les obligations du Canada en ce qui concerne le droit à la vie garanti par l'article 6 du Pacte même lu séparément et peut-être, éventuellement, à la lumière d'autres dispositions pertinentes du Pacte telles que l'article 26 qui garantit l'égalité de traitement devant la loi et des obligations découlant de l'article 5 (2) qui n'admet aucune restriction ou dérogation aux droits énoncés dans le Pacte sous prétexte que celui-ci ne les reconnaîtrait qu'à un moindre degré. Ce dernier élément aurait, à mon avis, toute son importance étant donné que le droit à la vie est un droit auquel le Canada accorde une protection plus large que celle qui pourrait être exigée par l'article 6 du Pacte, interprété de manière très restrictive.

2.4 Il serait utile d'examiner chacune des conditions énoncées aux articles 6, 26 et 5 (2) du Pacte et leur rapport avec les faits exposés au Comité.

3.1 Selon l'article 6 (1) du Pacte, le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Il en découle que ce droit doit être protégé par la loi et également, que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Il est certain que conformément à l'article 2 du Pacte, la législation interne doit normalement stipuler que toute violation de ce droit entraînera des sanctions pénales et des recours devant les juridictions civiles. Un Etat partie peut en outre accorder une protection appropriée à ce droit en abolissant la peine que constitue la privation de la vie par l'Etat lui-même, lorsque la loi prévoyait auparavant une peine de ce type. Ou alors, dans le même but, l'Etat partie qui n'a pas aboli la peine de mort doit en limiter l'application aux cas prévus dans les autres paragraphes de l'article 6, en particulier au paragraphe 2. Mais, fait important, le paragraphe 6 a pour objet d'empêcher les Etats d'invoquer les dispositions de l'article 6 pour retarder ou empêcher l'abolition de la peine capitale. Et le Canada a décidé d'abolir cette peine pour les délits civils par opposition aux infractions militaires. On peut donc dire qu'en ce qui concerne les délits civils, les dispositions du paragraphe 2 ne sont pas applicables au Canada puisque le Canada n'est pas un Etat qui, aux termes de ce paragraphe, n'a pas aboli la peine de mort.

3.2 Il me semble, en tout état de cause, que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 constituent en quelque sorte une dérogation au droit inhérent à la vie proclamé au paragraphe 1 et qu'elles doivent donc être interprétées au sens strict. On ne saurait à juste titre invoquer ces dispositions pour prendre des mesures ayant des effets négatifs sur le degré de respect et de protection à accorder à ce droit inhérent à la personne humaine que le Canada s'est engagé, en vertu du Pacte, "à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence". Conformément à cet engagement, le Canada a promulgué des mesures législatives en ce sens, allant jusqu'à abolir la peine de mort pour les délits civils. Dans le cas considéré, trois observations s'imposent.

3.3 Premièrement, les obligations contractées par le Canada en vertu de l'article 2 du Pacte valent pour "tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence". Bien que M. Kindler ne soit pas citoyen canadien, le Canada a des obligations envers lui en sa qualité d'être humain se trouvant sur le territoire canadien. Deuxièmement, la notion même de "protection" exige l'adoption de mesures préventives préalables, en particulier en cas de privation de la vie. Lorsqu'on ôte la vie à quelqu'un, on ne peut pas la lui rendre. Ces mesures comprennent nécessairement la prévention de tout risque réel de privation de la vie. En extradant M. Kindler sans chercher à obtenir l'assurance que la peine de mort ne lui serait pas appliquée, comme il était en droit de le faire en vertu du Traité d'extradition, le Canada a réellement mis sa vie en danger. Troisièmement, on ne peut pas soutenir que le Canada applique des critères différents, par opposition à d'autres Etats. Il ressort du libellé même de l'article 6 que certaines de ses dispositions s'appliquent aux Etats où la peine de mort n'existe plus et d'autres à ceux qui ne l'ont pas encore abolie. En outre, l'application de critères différents peut malheureusement résulter des réserves que les Etats peuvent formuler à l'égard de tel ou tel article du Pacte, mais je m'empresse d'ajouter qu'il n'est pas certain que toutes les réserves puissent être considérées comme valides.

3.4 Une autre question se pose à propos du paragraphe 1 de l'article 6 aux termes duquel nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. C'est la question de savoir s'il y a compatibilité entre le principe selon lequel les Etats doivent respecter et garantir d'égale façon le droit à la vie de tout individu et le fait que ce droit sera pleinement respecté et protégé conformément au droit canadien considéré dans son application globale, même s'il est énoncé sous différentes formes (législation pénale et loi sur l'extradition), tant que l'individu en question se trouvera sur le territoire canadien mais que le Canada pourrait très bien mettre fin à cet engagement en contraignant cet individu à quitter son territoire pour un autre Etat où l'acte fatal risque réellement d'être perpétré. Peut-on conclure de cette incompatibilité qu'il y a un risque réel de privation "arbitraire" de la vie au sens du paragraphe 1 de l'article 6 dans la mesure où un traitement inégal est en fait réservé à différentes personnes relevant pourtant de la même juridiction? Il semblerait que l'on puisse répondre par l'affirmative à cette question puisque le Canada n'a pas pu, par la voie judiciaire, condamner un individu à mort en vertu du droit canadien mais qu'il a pu en revanche, par le biais de l'exécutif et conformément à sa loi sur l'extradition, l'extrader vers un autre pays où il risque réellement d'être condamné à une telle peine.

3.5 Pour toutes ces raisons, je pense que le Comité était fondé à conclure à une violation par le Canada de l'article 6 du Pacte.

4. Un examen de l'applicabilité des articles 26 et 5 du Pacte permettrait à mon avis d'étayer cette conclusion.

5. A la lumière des arguments avancés au paragraphe 3.4 ci-dessus, il semblerait que l'article 26 du Pacte qui garantit l'égalité devant la loi a été violé. L'égalité au sens de cet article comprend à mon avis l'égalité réelle en vertu des lois d'un Etat partie considérées dans leur totalité et dans leurs effets sur l'individu. On peut dire effectivement que l'on a réservé à M. Kindler un traitement différent de celui qui aurait été accordé à toute autre personne ayant commis le même délit au Canada. L'organe particulier de l'Etat par l'intermédiaire duquel le Canada a agi ainsi, c'est-à-dire le pouvoir judiciaire ou le pouvoir exécutif, importe peu en l'occurrence. L'article 26 réglemente le comportement du pouvoir aussi bien législatif qu'exécutif ou judiciaire d'un Etat partie. Tel est à mon avis le principe essentiel en matière d'égalité et de non-discrimination en vertu du Pacte, qui garantit l'application des principes de droit dans un Etat partie.

6. Je doute fort que le Canada eût pris la décision d'extrader M. Kindler s'il avait dûment tenu compte des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5 (2), lu conjointement avec les articles 2, 6 et 26, du Pacte. Il semblerait que le Canada se soit plutôt attaché en fait à vérifier s'il existait des circonstances exceptionnelles justifiant l'imposition de la peine de mort à M. Kindler, sachant bien qu'en vertu du droit canadien, cette peine n'aurait pas pu lui être infligée au Canada même, pour le type de délit qu'il avait commis. Le Canada a pris la décision souveraine d'abolir la peine de mort pour les délits civils par opposition aux infractions militaires, garantissant ainsi mieux le respect et la protection du droit à la vie inhérent à la personne humaine. S'il avait appliqué l'article 5 (2), le Canada n'aurait pas, même si l'article 6 était interprété de manière très restrictive, invoqué cette interprétation restrictive pour limiter ce droit ou lui accorder une moindre protection en prenant une décision d'extradition même si celle-ci est en principe autorisée par la loi canadienne sur l'extradition.
R. Lallah[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]




D. Opinion individuelle de M. Fausto Pocar (dissidente)




Tout en approuvant la décision du Comité pour ce qui est de la plainte relevant de l'article 7 du Pacte, je ne puis souscrire aux conclusions du Comité selon lesquelles en l'espèce, il n'y a pas eu de violation de l'article 6 du Pacte. A mon avis, il faut répondre par l'affirmative à la question de savoir si, du fait que le Canada a aboli la peine capitale sauf pour certaines infractions militaires, les autorités canadiennes auraient dû refuser l'extradition ou obtenir des Etats-Unis l'assurance que la peine de mort ne serait pas infligée à M. Kindler.

En ce qui concerne la peine de mort, on se souviendra que, bien que l'article 6 du Pacte ne prescrive pas catégoriquement l'abolition de la peine capitale, il impose toute une série d'obligations aux Etats parties qui ne l'ont pas encore abolie. Comme le Comité l'a souligné dans son observation générale 6 (16), "d'une manière générale, l'abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition est souhaitable". En outre, il ressort clairement des paragraphes 2 et 6 de l'article 6 que - dans certaines limites et en vue de son abolition future - la peine capitale est tolérée dans les Etats parties qui ne l'ont pas encore abolie mais ces dispositions ne doivent en aucun cas être interprétées comme autorisant un Etat partie à retarder l'abolition de la peine de mort ou, a fortiori, à en élargir la portée, à l'introduire, ou à la rétablir. En conséquence, un Etat partie qui a aboli la peine de mort a l'obligation légale, conformément à l'article 6 du Pacte, de ne pas la rétablir. Cette obligation concerne à la fois le rétablissement direct de la peine de mort sur le territoire de l'Etat en question et son rétablissement indirect, comme c'est le cas lorsque l'Etat agit de telle façon - par exemple en prenant une mesure d'extradition, d'expulsion ou de rapatriement forcé - qu'une personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence risque la peine capitale dans un autre Etat. J'en conclus donc que dans le cas considéré, il y a eu violation de l'article 6 du Pacte.
F. Pocar[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]


E. Opinion individuelle de Mme Christine Chanet




Les questions posées au Comité des droits de l'homme par la communication présentée par M. Kindler sont énoncées avec précision au paragraphe 14.1 de la décision du Comité.

Le paragraphe 14.2 n'appelle pas d'observation particulière de ma part.

En revanche, pour répondre aux questions ainsi identifiées au paragraphe 14.1, le Comité, afin de conclure à une non-violation par le Canada de ses obligations au titre de l'article 6 du Pacte, est contraint de procéder à une analyse conjointe des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 du Pacte.

Rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit là d'une interprétation correcte de l'article 6. En effet, chaque paragraphe des articles du Pacte doit pouvoir s'interpréter isolément, sauf indication contraire expressément mentionnée dans le texte lui-même ou se déduisant de la rédaction de celui-ci.

Tel n'est pas le cas en l'espèce.

La nécessité dans laquelle s'est trouvé le Comité de prendre les deux paragraphes à l'appui de son argumentation montre à l'évidence que chaque paragraphe pris isolément conduisait à une conclusion contraire, c'est-à-dire la constatation d'une violation.

Selon le paragraphe 1 de l'article 6, nul ne peut être arbitrairement privé du droit à la vie; ce principe est absolu et ne souffre aucune exception.

Le paragraphe 2 de l'article 6 commence par les termes "Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie...". Cette formule appelle une série de remarques :

- Elle est négative, elle ne vise pas les pays dans lesquels la peine de mort existe, mais ceux dans lesquels elle n'a pas été abolie. L'abolition est la règle, le maintien de la peine capitale, l'exception.

- Le paragraphe 2 de l'article 6 ne concerne que les pays dans lesquels la peine de mort n'a pas été abolie et exclut ainsi l'application du texte aux pays qui ont aboli la peine de mort.

- Enfin, une série d'obligations sont imposées par le texte à ces Etats.

Dès lors, en se livrant à une interprétation "conjointe" des deux premiers paragraphes de l'article 6 du Pacte, le Comité commet, à mon sens, trois erreurs de droit :

- Une erreur, lorsqu'il applique à un pays qui a aboli la peine de mort, le Canada, un texte exclusivement réservé par le Pacte, et ce de manière expresse et dépourvue d'ambiguïtés, aux Etats non abolitionnistes.

- La deuxième erreur, en considérant comme une autorisation de rétablir la peine de mort dans un pays qui l'aurait abolie, la simple reconnaissance implicite de son existence. Il s'agit là d'une interprétation extensive qui se heurte au démenti apporté par le paragraphe 6 de l'article 6 en vertu duquel "aucune disposition du présent article ne peut être invoquée à l'encontre de l'abolition de la peine capitale". Cette interprétation extensive, restrictive de droits, se heurte également aux dispositions de l'article 5, paragraphe 2, du Pacte selon lequel "Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l'homme reconnus ou en vigueur dans tout Etat partie au présent Pacte, en application de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré". L'ensemble de ces textes interdit à un Etat de se livrer à une application distributive de la peine de mort. Rien dans le Pacte ne contraint un Etat à l'abolition, mais s'il a choisi d'abolir la peine capitale, le Pacte lui fait interdiction de la rétablir de manière arbitraire, fût-ce indirectement.

- La troisième erreur commise par le Comité dans la décision Kindler est la conséquence des deux premières. En effet, considérant le Canada comme implicitement autorisé par l'article 6 (2) du Pacte à, d'une part, rétablir la peine capitale et, d'autre part, à l'appliquer dans certains cas, le Comité, aux paragraphes 14.3, 14.4 et 14.5, comme s'il s'agissait d'un pays non abolitionniste, soumet le Canada à la vérification des obligations imposées aux Etats non abolitionnistes : peine applicable aux crimes les plus graves, jugement prononcé au terme d'un procès équitable, etc.

Cette analyse montre que selon le Comité, en extradant M. Kindler vers les Etats-Unis, le Canada qui a aboli la peine de mort sur son territoire, l'a rétablie "par procuration" à l'égard d'une certaine catégorie de personnes placées sous sa juridiction.

Je partage cette analyse mais, à la différence du Comité, j'estime que ce comportement n'est pas autorisé par le Pacte.

De plus, après avoir ainsi rétabli la peine de mort par procuration, le Canada limite son application à une certaine catégorie de personnes : celles qui sont extradables vers les Etats-Unis.

Le Canada reconnaît son intention de pratiquer ainsi afin de ne pas constituer un refuge pour les délinquants venant des Etats-Unis. Son intention se manifeste par son abstention à solliciter des assurances selon lesquelles la peine de mort ne serait pas exécutée en cas d'extradition vers les Etats-Unis, comme le lui permet son traité bilatéral d'extradition avec ce pays.

C'est donc délibérément que lorsqu'il extrade des personnes dans la situation de M. Kindler, le Canada les expose à l'application de la peine capitale dans l'Etat requérant.

En agissant ainsi, le choix opéré par le Canada à l'égard d'une personne relevant de sa juridiction selon qu'elle soit extradable vers les Etats-Unis ou non, constitue une discrimination en violation des articles 2 (1) et 26 du Pacte.

Un tel choix portant sur le droit à la vie et laissant celui-ci "in fine" entre les mains du gouvernement qui pour des raisons de politique pénale décide ou non de solliciter des assurances que la peine de mort ne sera pas exécutée constitue une privation arbitraire du droit à la vie interdite par l'article 6 (1) du Pacte et en conséquence, une méconnaissance par le Canada de ses engagements au titre de cet article du Pacte.
Ch. Chanet[Texte établi en anglais, espagnol et français; version originale en français.]




F. Opinion dissidente de M. Francisco José Aguilar Urbina



I. Impossibilité de souscrire à l'opinion de la majorité


1. J'ai demandé au secrétariat de m'expliquer plusieurs points du projet dans lesquels je voyais une lacune et auxquels aucune explication ni aucune correction n'avait été apportée (bien que j'aie déjà demandé des éclaircissements). J'avais demandé, entre autres choses, des précisions sur la procédure suivie dans l'Etat de Pennsylvanie pour condamner un individu. Il est dit au paragraphe 2.1 du projet que "le jury s'est prononcé pour la peine de mort". Dès ma première intervention dans le débat, j'ai fait observer que trois cas de figure pouvaient se présenter - et que, selon la procédure qui était suivie, entre autres choses, je pourrais ou ne pourrais pas m'associer à l'opinion de la majorité; ces trois cas sont les suivants :

a) Le jury peut se prononcer uniquement sur la culpabilité de l'accusé et il appartient au juge, conformément à la loi, de fixer la peine;

b) Le jury se prononce non seulement sur l'innocence ou sur la culpabilité de l'accusé mais recommande également la peine, le juge demeurant entièrement libre d'imposer la peine, selon l'appréciation qu'il a faite de l'affaire conformément au droit (à en juger par le libellé du paragraphe 2.1 du projet, il semblerait que ce soit ce système qui est appliqué dans l'Etat de Pennsylvanie);

c) Le jury se prononce sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé et dans le même temps détermine la peine, non pas simplement à titre de recommandation mais en tant que décision que le juge doit suivre obligatoirement. Le juge ne peut en aucun cas modifier cette peine, il sert simplement de porte-parole au jury.

Ainsi, vu qu'il était essentiel de déterminer si, en extradant M. Kindler, le Canada avait exposé celui-ci, de façon nécessaire et prévisible, à une violation de l'article 26 du Pacte, il m'était impossible d'émettre un avis tant que ce point n'avait pas été élucidé, oralement et dans le texte de la décision. J'avais besoin de connaître avec certitude les conditions dans lesquelles la peine de mort pouvait être imposée. Le secrétariat a précisé que, selon les indications de l'auteur, la recommandation du jury avait force obligatoire pour le tribunal (comme il est dit au paragraphe 2.1 des constatations) Constatations, par. 2.1. [...] et que la question avait été examinée par les tribunaux canadiens, qui avaient établi que tel était bien le système suivi en Pennsylvanie.

2. J'ai aussi demandé des explications sur les pouvoirs conférés au Ministre canadien de la justice en vertu du Traité d'extradition entre le Canada et les Etats-Unis d'Amérique, explications d'autant plus nécessaires qu'il ne ressortait pas clairement de la traduction espagnole de l'article 6 du Traité d'extradition figurant dans le projet si l'Etat requérant (en l'espèce les Etats-Unis d'Amérique) devait ou ne devait pas, d'office, donner l'assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée. J'ai également cherché à avoir [...] la possibilité de prendre connaissance du texte de l'article 25 de la loi d'extradition de 1985, mentionné au paragraphe 2.3 du projet, mais cité nulle part.

3. J'avais aussi demandé au secrétariat de quelle infraction exactement l'auteur de la communication avait été reconnu coupable, car plusieurs points n'étaient pas clairs, en particulier dans la version espagnole du texte :

a) au paragraphe 2.1 du projet, il était dit que Joseph John Kindler avait été "déclaré coupable d'assassinat et d'enlèvement" ("homicidio premeditado y secuestro") Projet, par. 2.1 (non souligné dans le texte).. Néanmoins dans d'autres passages du projet - ainsi que dans les modifications apportées au texte - il était uniquement question d'une condamnation pour "assassinat" ("asesinato"). Le premier point obscur était la nature de l'homicide; en effet, il y avait une telle confusion dans les termes qu'il était impossible de savoir pour quel crime l'auteur de la communication avait été condamné. Dans certaines parties, il était question d'un "homicidio premeditado", ("homicide avec préméditation"), dans d'autres d'un "asesinato" ("assassinat") ou encore d'un "asesinato con circunstancias aggravantes" ("assassinat avec circonstances aggravantes"); dans l'un des paragraphes du projet il était même indiqué qu'il avait été condamné "pour un crime très grave" Projet, par. 14.4.. Devant une telle confusion, j'ai estimé que le Comité ne pouvait pas prendre de décision tant que tout ce qui concernait les actes pour lesquels M. Kindler avait été condamné n'était pas absolument clair. S'il n'appartient pas au Comité des droits de l'homme de se prononcer sur la procédure suivie pour juger l'auteur de la communication dans un pays qui n'est pas partie au Protocole facultatif et qui n'a pas aboli la peine de mort, il est en revanche important de savoir si les actes qui lui sont imputés constituent en soi les "crimes les plus graves" visés au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte;

b) A ce sujet, j'ai demandé tout d'abord si l'homicide pour lequel l'auteur de la communication avait été condamné avait été le résultat de l'enlèvement (acte dont il avait également été reconnu coupable) ou s'il s'agissait de deux délits distincts. Cette dernière possibilité s'impose à l'esprit à cause du traitement différent donné, dans les constatations, aux deux infractions (en particulier le fait que l'"enlèvement" ne soit mentionné qu'une fois, au paragraphe 2.1) Constatations, par. 2.1.. J'ai alors demandé si l'homicide pour lequel M. Kindler avait été condamné avait résulté de l'enlèvement. A ce sujet, il ne faut pas oublier qu'il peut exister principalement trois cas de figure applicables à l'affaire de l'auteur de la communication s'agissant de l'homicide - qui serait qualifié dans les deux premiers cas - qui diffèrent en gravité aux fins de l'application du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte :

1) M. Kindler aurait commis un homicide connexe du fait du dessein. En ce cas, au moment de tuer, il aurait eu pour dessein de préparer, faciliter ou exécuter le délit d'enlèvement. L'un des résultats que l'auteur de l'homicide peut rechercher est de s'assurer l'impunité. Ce qui importe en pareil cas c'est que la mort de la victime apparaît, aux yeux de l'homicide, comme un moyen nécessaire - ou simplement commode ou favorable - pour perpétrer un autre délit ou pour échapper à la punition pour cet autre délit;

2) M. Kindler aurait commis un homicide connexe du fait de l'existence d'une relation de cause à effet. L'homicide en pareil cas résulterait du fait de ne pas avoir atteint l'objectif visé en tentant de commettre un autre délit - pour l'auteur de la communication, l'enlèvement. L'homicide dont la connexité résulte de la relation de cause à effet est dû à un échec (à la différence de celui dont la connexité résulte du dessein, qui est provoqué par une attente illicite);

3) La troisième possibilité est que la mort de la victime de l'enlèvement ne soit pas le fait de l'acte de M. Kindler mais le résultat d'actions qui auraient été accomplies pour éviter que l'auteur ne commette un acte délictueux : l'enlèvement. En ce cas la mort résulte des actes délictueux de l'auteur de la communication, encore que ce ne soit pas lui qui ait commis directement l'homicide;

c) La confusion augmente encore quand on s'aperçoit que dans les constatations il est question d'"assassinat" ("asesinato"), d'"assassinat avec circonstances aggravantes" ("asesinato con circunstancias aggravantes") et de "meurtre avec préméditation" ("homicidio premeditado"). La première chose qu'il faut voir c'est que (en droit) l'"assassinat" ou "homicide qualifié" est le fait de causer la mort accompagné de circonstances aggravantes, de sorte que qualifier l'assassinat de commis avec "circonstances aggravantes" est redondant. Il est clair en revanche que l'homicide commis par M. Kindler présente des éléments qui justifient de le qualifier. Or, en premier lieu tous les homicides qualifiés (assassinat) ne constituent pas les "crimes les plus graves" au sens de l'article 6 du Pacte.

d) En deuxième lieu, en indiquant que M. Kindler avait commis un meurtre avec préméditation - sans préciser qu'il avait commis d'autres actes qu'un assassinat - le Comité éliminerait le cas de figure où l'auteur aurait commis d'autres types d'homicide qualifié. J'ai demandé au secrétariat sur la foi de quels renseignements on affirmait que les éléments constitutifs du meurtre avec préméditation étaient réunis. Le meurtre avec préméditation est une forme spécifique, qualifiée, de l'homicide, distincte des autres formes d'assassinat telles que celles qui sont évoquées plus haut aux paragraphes 1 et 2. Il s'agit d'un homicide commis après réflexion "froide" de la part de l'auteur de l'acte, lequel non seulement décide de commettre le crime mais, une fois prise sa décision, se met à prévoir les détails de son exécution. Donc dans le meurtre avec préméditation il y a une double réflexion : premièrement l'homicide décide de commettre l'acte et deuxièmement il réfléchit aux moyens de commettre cet acte.

e) Donc s'il s'agit d'un meurtre avec préméditation, toutes les autres formes d'assassinat liées avec l'enlèvement sont éliminées. Il ne s'agirait donc plus d'un fait délictueux lié à la perpétration de l'autre délit (homicide connexe, dont la connexité résulte du dessein) ou à l'échec de la tentative qui n'a pu être menée à bonne fin (homicide connexe du fait de l'existence d'une relation de cause à effet) mais d'un homicide autonome, commis après réflexion "froide" - circonstance aggravante - sur les moyens à utiliser pour l'exécuter;

f) Par conséquent, s'il s'agissait d'un meurtre avec préméditation, il n'y avait pas lieu de faire état de l'enlèvement; mais si au contraire il s'agissait d'un homicide connexe (dont la connexité résultait du dessein ou de la relation de cause à effet) alors il ne fallait pas utiliser l'expression de "meurtre avec préméditation" et imputer à l'auteur l'élément de réflexion froide sur les moyens de mener à bien l'assassinat qui caractérise la préméditation.

4. Je suis contrarié de constater que la plupart des questions que j'ai posées au secrétariat n'ont à aucun moment été élucidées avant que le Comité ne prenne une décision à la majorité. Le seul doute qui ait été levé était celui qui portait sur la méthode d'exécution des condamnés pratiquée dans l'Etat de Pennsylvanie mais le renseignement a été tiré des indications de l'auteur et non d'une source sûre Voir le paragraphe 2.1 des constatations..


II. Décision de rédiger une opinion dissidente concernant le fond de la communication


5. Après avoir réfléchi à la question de la remise sans condition de l'auteur aux autorités américaines, je suis arrivé à la conclusion que le Gouvernement canadien avait commis une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.


III. L'extradition et la protection accordées par le Pacte.


6. En analysant le rapport entre le Pacte et l'extradition, il est hasardeux - voire dangereux pour le plein exercice des droits consacrés par le Pacte - d'indiquer qu'il ressort des travaux préparatoires que "l'article 13 du Pacte, qui prévoit des droits spécifiques en ce qui concerne l'expulsion des étrangers se trouvant légalement dans le territoire d'un Etat partie, ne vise pas à s'écarter des arrangements normaux d'extradition" Constatations, par. 6.6. (non souligné dans le texte).. En premier lieu, il faut bien voir que même si, prise au sens large, l'extradition pourrait constituer une forme d'expulsion, au sens strict, elle relèverait davantage des procédures régies par l'article 14 du Pacte. Les procédures d'extradition d'un individu vers un Etat requérant diffèrent certes d'un pays à l'autre, mais on peut toutefois - grosso modo - les classer en trois grandes catégories : 1) procédure judiciaire pure, 2) procédure exclusivement administrative, 3) procédure mixte avec intervention du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. Le Canada applique la troisième formule. Ce qui est important toutefois c'est que les autorités chargées d'examiner la demande d'extradition représentent, au moins dans le cas d'espèce, un "tribunal" qui applique une procédure devant être conforme aux dispositions du Pacte, en particulier à son article 14.

7. Il est assez logique que les rédacteurs du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n'aient pas prévu l'extradition dans les cas visés à l'article 13. Ce n'est pas une raison pour affirmer que leur intention était de laisser les procédures d'extradition en dehors de la protection accordée par le Pacte. Ce qui se passe en réalité c'est que la définition juridique de l'extradition n'entre pas dans le cadre des cas visés à l'article 13. A mon avis, la différence essentielle réside dans le fait que cette disposition vise exclusivement l'expulsion de l'étranger "qui se trouve légalement sur le territoire d'un Etat partie" Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 13.. L'extradition est une forme d'"expulsion" qui dépasse celle qui est prévue dans cette disposition. Premièrement, l'extradition est une procédure spécifique alors que l'article 13 énonce une règle générale; toutefois, l'article 13 stipule seulement que l'expulsion doit faire l'objet d'une décision prise conformément à la loi et - s'il y a des raisons impérieuses de sécurité nationale - cette disposition permet que l'étranger ne soit pas entendu par l'autorité compétente et que son cas ne puisse être réexaminé. Deuxièmement, alors que l'expulsion représente une décision unilatérale d'un Etat, fondée sur des raisons qui appartiennent à cet Etat seul - à condition qu'elles ne soient pas contraires à ses obligations internationales, comme celles qui découlent du Pacte -, l'extradition se fonde sur la requête d'un autre Etat. Troisièmement, l'article 13 vise exclusivement les étrangers qui se trouvent sur le territoire d'un Etat partie au Pacte, alors que l'extradition peut porter sur des étrangers aussi bien que sur des nationaux; même, s'agissant de l'expulsion en général (et non à la suite d'une décision d'extradition), le Comité a estimé que l'expulsion de nationaux (par exemple l'exil) était contraire à l'article 12, et c'est dans le cadre de cet article que le Comité a examiné la question A cet égard, voir les comptes rendus analytiques se rapportant à l'examen par le Comité des rapports du Zaïre et du Burundi (au sujet de l'expulsion de nationaux) et du Venezuela (au sujet du maintien dans la législation pénale de la peine d'exil).. Quatrièmement, l'article 13 vise les personnes qui se trouvent légalement sur le territoire d'un pays; les personnes qui font l'objet d'une mesure d'extradition ne se trouvent pas nécessairement sur le territoire du pays de façon licite; tout au contraire - surtout si l'on tient compte du fait qu'en vertu de l'article 13 la question de la licéité du séjour reste du ressort de la législation nationale -, très souvent les personnes qui font l'objet d'une procédure d'extradition sont entrées illégalement sur le territoire de l'Etat à qui elles sont réclamées; tel est le cas de l'auteur de la communication.

8. Si l'extradition ne peut pas être considérée comme une forme d'expulsion au sens de l'article 13, cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit exclue du champ d'application du Pacte. L'extradition doit être strictement conforme, et dans tous les cas, aux règles prévues dans le Pacte. Ainsi, la procédure d'extradition doit respecter les garanties judiciaires telles qu'elles sont énoncées à l'article 14 et de plus ses conséquences ne doivent pas entraîner une violation d'une quelconque autre disposition. Ainsi, un Etat ne peut prétendre que l'extradition n'entre pas dans le champ d'application du Pacte afin de se soustraire à la responsabilité qui lui incomberait du fait de l'absence éventuelle de protection sur un territoire étranger.


IV. L'extradition de M. Joseph Kindler vers les Etats-Unis d'Amérique


9. En l'espèce, le Canada a extradé l'auteur de la communication vers les Etats-Unis d'Amérique où il avait été reconnu coupable d'homicide qualifié. Il faut déterminer - comme l'a indiqué le Comité dans sa décision sur la recevabilité de la communication - si le Canada, en accordant l'extradition de M. Kindler, a exposé celui-ci, de façon nécessaire et prévisible, à une violation de l'article 6 du Pacte.

10. L'Etat partie lui-même a indiqué que "l'auteur ne saurait être considéré comme une victime au sens du Protocole facultatif, puisque ses allégations se fondent sur des conjectures concernant l'éventualité d'événements futurs, qui ne se réaliseront pas nécessairement et qui dépendent de la législation des Etats-Unis et de décisions des autorités de ce pays Constatations, par. 4.2 (non souligné dans le texte).. Il est certes impossible de prédire l'avenir, mais il faut comprendre que la qualification de victime dépend du caractère prévisible de l'événement - c'est-à-dire de la possibilité, induite par la simple logique, que l'événement se produise, sauf si des circonstances exceptionnelles l'empêchent de survenir - ou du caractère nécessaire - c'est-à-dire de l'inéluctabilité de l'événement, en l'absence de circonstances exceptionnelles qui l'empêcheraient de se produire. Un premier aspect qu'il faut élucider est par conséquent la nature de la décision du jury selon la loi de procédure pénale de l'Etat de Pennsylvanie. La condamnation prévisible ou nécessaire de M. Kindler dépend de la faculté du juge de modifier la "recommandation" du jury. Si le secrétariat a indiqué simplement que l'auteur de la communication avait fait savoir que la recommandation du jury devait être obligatoirement suivie par le juge, il disposait de documents démontrant qu'il y avait dans cette affirmation davantage qu'une simple appréciation subjective de M. Kindler Voir plus haut, par. 8.. Devant la Cour suprême du Canada, l'auteur a affirmé - sans que le pouvoir exécutif canadien réfute cette affirmation ni que le contraire soit établi d'une manière quelconque - que la "recommandation is binding and the judge must impose the death sentence" Appel formé par Joseph John Kindler devant la Cour suprême du Canada, par. 1, p. 1.. Il faut donc tenir pour établi que l'auteur, de façon nécessaire et prévisible, sera condamné à mort et qu'il pourra par conséquent être exécuté à tout moment. C'est donc la loi de l'Etat de Pennsylvanie qui oblige le juge à suivre la décision du jury. Le Gouvernement canadien n'est pas fondé à prétendre comme il le fait qu'il s'agit d'un événement qui peut ne pas se matérialiser parce qu'il dépend de la loi et des actes des autorités. S'agissant de la loi de procédure pénale de la juridiction dans laquelle M. Kindler a été condamné, l'imposition de la peine de mort est un fait certain puisque le juge n'a pas la faculté de modifier la décision du jury.

11. Il reste donc la possibilité que l'auteur fasse appel de la décision du jury; cette possibilité pourrait avoir une incidence sur le caractère prévisible et nécessaire de l'exécution de l'auteur, au point de pouvoir modifier l'issue pour M. Kindler. Or il faut tenir compte de quatre points pour pouvoir déterminer si la condamnation à mort ne sera pas appliquée de façon nécessaire ou prévisible :

a) L'auteur a-t-il encore la possibilité de faire appel de la sentence rendue en première instance et par laquelle il a été condamné à mort?

b) Si cette possibilité est encore ouverte, le tribunal de deuxième instance - s'il est reconnu coupable du délit précis d'homicide qualifié pour lequel il a été condamné - doit-il respecter la décision du jury de première instance ou peut-il imposer une autre peine protégeant davantage la vie de l'auteur de la communication?

c) Il faut tenir compte de la tendance aux Etats-Unis qui est d'empêcher les recours en cas de condamnation à mort. L'intention de ne pas recevoir les recours formés contre des condamnations à mort a déjà été manifestée, à tout le moins s'agissant de la Cour suprême de justice des Etats-Unis;

d) D'après les documents disponibles, il semblerait que l'imposition de la peine de mort soit de plus en plus une réalité dans l'Etat de Pennsylvanie. Ainsi, alors que dans la plaidoirie de l'auteur devant la Cour suprême du Canada, en mai 1990, il est dit que la peine de mort n'a pas été appliquée dans cet Etat depuis longtemps - encore qu'un grand nombre de condamnés soient en attente d'exécution par la chaise électrique -, l'Etat partie, en défendant la position favorable à l'extradition devant le Comité indique que la méthode d'exécution utilisée actuellement en Pennsylvanie "est l'injection d'un produit mortel, méthode préconisée par les défenseurs de l'euthanasie..." Constatations, par. 9.7.. Cette affirmation (par ailleurs inacceptable, car elle apparaît comme une apologie de la peine de mort de la part d'un Etat qui l'a abolie pour tous les délits à l'exception de certaines infractions à caractère militaire) semblerait cacher le fait que, dans la juridiction vers laquelle M. Kindler a été extradé, des méthodes plus efficaces d'exécution ont été recherchées, ce qui pourrait conduire à penser que les exécutions ont repris dans l'Etat de Pennsylvanie.

Par conséquent et en application du principe in dubio pro reo, il faut supposer que l'exécution de l'auteur de la communication est un fait prévisible qui, de surcroît, se réalisera nécessairement en l'absence de faits exceptionnels Ici j'entends par "faits exceptionnels" (on notera qu'il s'agit d'autre chose que les "circonstances exceptionnelles") les faits ou actes qui pourraient empêcher l'exécution de l'auteur de la communication. D'ordinaire, il s'agirait de faits d'ordre politique, comme la grâce ou l'entrée en vigueur d'une loi portant abolition de la peine capitale. Or, étant donné qu'il s'agit de décisions à caractère politique, prises par des personnalités tributaires de la volonté des électeurs et qu'une majorité importante de la population des Etats-Unis est favorable à la peine de mort, il est extrêmement peu probable que de tels faits exceptionnels se produisent..

12. En ce qui concerne les "circonstances exceptionnelles" évoquées par l'Etat partie dans sa réponse du 2 avril 1993 à la communication de Joseph John Kindler à la suite de la décision de recevabilité prise par le Comité des droits de l'homme (ci-après appelée la "réponse") Réponse, par. 22 et 23., la majorité des membres du Comité ont estimé qu'elles désignaient des situations qui auraient influé sur la décision du jury au sujet de la culpabilité de M. Kindler. Il s'agirait donc d'une évaluation que les autorités canadiennes auraient dû faire au sujet de la façon dont le procès s'était déroulé aux Etats-Unis.

13. Quant à moi, je ne peux m'associer à la majorité du Comité dans son interprétation de ce que représentent ces "circonstances exceptionnelles". En premier lieu, le Gouvernement canadien n'a pas expliqué en quoi elles consistaient; la seule chose qu'il ait dite c'est que "the evidence showing that a fugitive would face certain and foreseeable violations of the Covenant" Réponse, par. 23 (non souligné dans le texte). constituerait un exemple de circonstances exceptionnelles. On voit bien que l'Etat partie lui-même reconnaît que les circonstances exceptionnelles se rapportent aux conséquences de l'extradition. Ainsi, la perception erronée de la majorité du Comité l'a conduite à croire que les circonstances exceptionnelles visent le procès et la condamnation de M. Kindler en Pennsylvanie. Ainsi la majorité dit-elle que les tribunaux canadiens "ont examiné tous les éléments de preuve qu'on leur avait soumis en ce qui concerne le procès et la déclaration de culpabilité de M. Kindler" Constatations, par. 14.4., alors qu'en réalité la Cour suprême du Canada a pour jurisprudence de considérer que le juge qui connaît de la demande d'extradition ne peut pas évaluer les preuves ni se prononcer sur leur force probante, de telles attributions étant du ressort exclusif du jury ou du juge chargé de déterminer s'il y a eu délit Cour suprême du Canada, U.S.A. c. Shepard [1977] 2 R.C.S. 1067, p. 1083 à 1087..

14. En deuxième lieu, le Comité (opinion de la majorité) indique que la possibilité de demander des garanties "serait normalement exercée dans les cas où il existait des circonstances exceptionnelles" et que "la possibilité de s'en prévaloir avait été examinée avec attention" Constatations, par. 14.5.. Ici encore il y a une perception fausse de la part du Comité. Le Canada lui-même, dans sa réponse, n'évoque que dans deux paragraphes les circonstances exceptionnelles, et encore de façon très succincte; de plus, il indique que "there was no evidence presented by Kindler during the extradition process in Canada and there is no evidence in this communication to support the allegations that the use of the death penalty ... violates the Covenant" Réponse, par. 23 (non souligné dans le texte). L'Etat partie se réfère également aux circonstances exceptionnelles au paragraphe 86 du même document.. Cette affirmation contient deux éléments qui ne me permettent pas de partager l'opinion de la majorité :

a) Premièrement - et je renvoie ici à mon objection du paragraphe précédent - les circonstances exceptionnelles se rapportent à l'application de la peine capitale et non pas au déroulement du procès et à la condamnation;

b) Deuxièmement, il n'y a pas eu d'examen approfondi et complet de ce que l'Etat partie considère comme des circonstances exceptionnelles, étant donné que M. Kindler n'a présenté aucun élément à ce sujet. D'après ce qu'affirme l'Etat partie, il n'appartenait pas aux tribunaux canadiens, ni au Ministre de la justice, ni au Comité des droits de l'homme, d'examiner d'office les détails du procès et de la condamnation mais c'était à M. Kindler d'apporter, devant tous les organes qui ont eu à connaître de l'affaire, des preuves selon lesquelles la peine de mort constitue une violation de ses droits, auquel cas il existerait une circonstance exceptionnelle. Comme l'auteur n'a pas apporté de telles "preuves", l'Etat partie admet qu'il n'a pas pu examiner cette possibilité de façon approfondie.

15. Toutefois, l'aspect le plus important concernant les "circonstances exceptionnelles" est révélé par l'Etat partie lui-même, qui affirme qu'elles se rapportent à l'application de la peine de mort. J'ai indiqué à plusieurs reprises que les circonstances exceptionnelles devaient être rattachées à la possibilité de l'application de la peine de mort. Mais je ne suis pas le Canada dans le rapport qu'il établit entre ces circonstances exceptionnelles et la peine capitale. A mon avis, l'essentiel est le lien entre l'application de la peine de mort et la protection de la vie des personnes qui se trouvent sous la juridiction de l'Etat canadien. Pour ces personnes, la peine capitale constitue à elle seule une "circonstance spéciale". Pour cette raison - et vu que le jury a décidé que l'auteur de la communication devait mourir - le Canada aurait dû demander l'assurance que Joseph John Kindler ne serait pas exécuté.

16. Le fait que la peine de mort constitue une circonstance exceptionnelle ressort de l'article 6 du Traité d'extradition lui-même. Il n'y a que cette disposition du Traité d'extradition (consacrée à l'extradition des personnes risquant d'être condamnées à mort ou déjà condamnées à mort) qui prévoie que l'une des parties peut demander à l'autre l'assurance que l'individu recherché ne sera pas exécuté. Cet article indique bien que la peine capitale est différente des autres condamnations et qu'elle doit être traitée différemment.

17. Cette disposition reconnaît également que les Etats parties au Traité d'extradition ont des valeurs et des traditions en ce qui concerne la peine de mort que l'Etat requérant doit respecter. Par conséquent, pour garantir le respect de ces valeurs et traditions, les deux pays ont prévu une règle exceptionnelle dans leur traité d'extradition : l'article 6. Ce fait est étroitement lié à l'allégation faite par le Canada au Comité des droits de l'homme selon laquelle il n'y avait pas lieu en l'espèce de demander des garanties car "le Gouvernement du Canada n'a pas recours à l'extradition comme moyen d'imposer sa conception particulière du droit pénal à d'autres Etats" Constatations, par. 8.6.. Une telle affirmation me semble inacceptable pour trois raisons principales :
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