Communication No. 640/1995 : Jamaica. 22/01/1998.
CCPR/C/61/D/640/1995. (Jurisprudence)
Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Soixante et unième session
20 octobre - 7 novembre 1997
ANNEXE*
Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Soixante et unième session -
Communication No 640/1995
Présentée par : Michael McIntosh
[représenté par le cabinet d'avocats londonien de Denton Hall]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 9 janvier 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 novembre 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Michael McIntosh, de nationalité jamaïcaine, qui, à l'époque où la communication a été présentée, attendait d'être exécuté à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). L'auteur se déclare victime de violations par la Jamaïque des articles 6, 7, 10, (par. 1) et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par Cathy Wilcox, du cabinet d'avocats londonien Denton Hall.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 23 novembre 1988, l'auteur a été reconnu coupable avec un coaccusé, Anthony Brown / Anthony Brown, n'ayant pas 18 ans au moment du crime, n'a pas été condamné à mort./, du meurtre d'une certaine Marianne Brown et a été condamné à mort le 29 novembre 1988 par la Home Circuit Court de Kingston. Il a fait appel de la sentence auprès de la cour d'appel de la Jamaïque, qui l'a débouté le 22 octobre 1991. Le 1er mars 1993, sa demande d'autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée.
2.2 Le conseil affirme que dans la pratique son client ne peut pas se prévaloir des recours constitutionnels parce qu'il n'a pas d'argent et que l'aide judiciaire n'est pas prévue pour ce genre de recours. Elle renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme / Communication No 445/1991 (Lynden Champagnie, Delroy Palmer et Oswald Chisholm c. Jamaïque), constatations adoptées le 18 juillet 1994./ à cet égard.
2.3 Le conseil indique qu'à l'époque où la communication a été présentée, une demande de révision de la qualification de l'infraction qui a valu à l'auteur la peine capitale était en cours d'examen. Elle fait valoir toutefois que cette procédure ne représente pas un recours disponible et utile pour les violations qui font l'objet de la présente communication parce que même si la demande aboutit, la conséquence pour l'auteur n'en sera probablement qu'une commutation de la peine en emprisonnement à vie. A la suite d'une audience pour révision de la qualification de l'infraction début 1995, la condamnation à mort de l'auteur a été commuée en peine d'emprisonnement à vie. Les juges ont décidé qu'il lui faudrait avoir purgé 18 ans de sa peine avant d'être habilité à bénéficier d'une libération conditionnelle.
2.4 Au procès, l'accusation a développé la thèse suivante. Le 29 janvier 1987, Michael McIntosh et Anthony Brown ont provoqué la mort de Marianne Brown lors d'un cambriolage; ils avaient ligoté Juliette Fields et l'avaient enfermée dans un placard, ligoté et bâillonné Edna Copeland et bâillonné la victime. L'accusation reposait sur le témoignage de Juliette Fields et sur des preuves indirectes.
2.5 Le seul témoin oculaire appelé au procès - une femme - a déclaré qu'au moment du cambriolage les trois femmes ne se trouvaient pas au même endroit dans la maison et qu'elle-même se trouvait au dernier étage. Elle a déclaré avoir vu deux hommes, qu'elle n'avait jamais vus auparavant, monter l'escalier. Le premier, qu'elle a identifié par la suite comme étant Anthony Brown, l'avait menacée, ligotée et enfermée dans un placard; il lui avait aussi dérobé quelques affaires personnelles. Le témoin affirme en outre avoir aperçu brièvement le deuxième homme, armé d'un couteau, au début du cambriolage, à environ trois mètres de distance. Au bout de cinq à dix minutes, elle avait pu regarder par la porte du placard et avait vu sa tante par alliance, Edna Copeland, gisant à terre, bâillonnée et ligotée. Ayant réussi à obtenir l'aide d'un voisin, elle avait vu les mêmes hommes pénétrer dans la cour à cinq ou six mètres environ. A. Brown aurait proféré de nouvelles menaces. Les deux hommes avaient alors pris des bicyclettes qui se trouvaient là et étaient partis. Le témoin a déclaré aussi qu'après avoir appelé la police depuis la maison d'un voisin, elle était rentrée chez elle et découvert que d'autres personnes avaient trouvé le corps sans vie de sa tante âgée de 83 ans, Marianne Brown.
2.6 Le témoin a affirmé que le cambriolage au troisième étage avait duré environ 20 minutes mais elle aurait dit au juge d'instruction lors de l'audience préliminaire qu'il avait duré trois minutes. Elle a également déclaré avoir vu le deuxième homme de face deux fois, au début du cambriolage et au moment où les agresseurs étaient revenus, pendant cinq à dix minutes, mais elle a reconnu ne pas avoir regardé l'heure.
2.7 Pour ce qui est de la cause de la mort de la victime, le seul témoignage était celui du Detective Sergeant Cassells qui avait trouvé la victime gisant sur le dos, avec un chiffon lui enserrant le cou et un autre chiffon enfoncé dans la bouche; elle portait des égratignures au cou. Le policier avait assisté à l'autopsie pratiquée par le docteur Clifford mais le résultat de l'autopsie n'a pas été produit comme preuve au tribunal.
2.8 Le témoin a pris part à trois séances d'identification. La première fois, elle n'a reconnu personne. La deuxième fois, le 19 février 1987, elle a reconnu l'auteur disant qu'il s'agissait du deuxième homme. Elle a désigné Anthony Brown comme le premier homme la troisième fois, le 23 mars 1987.
2.9 Le conseil affirme que le témoin avait un souvenir très imprécis du physique des cambrioleurs et n'avait donné aucun détail. Elle indique en outre que le policier chargé de l'enquête a parlé au témoin avant les séances d'identification.
2.10 Lors de la séance d'identification, aucun avocat ne représentait l'auteur. Le policier qui menait la confrontation a témoigné au procès que l'auteur lui avait dit ne pas souhaiter la présence d'un avocat ni d'aucune autre personne pour le représenter. D'après le policier, un juge de paix était présent.
2.11 Dans une déclaration faite depuis le banc des accusés sans prêter serment, l'auteur a affirmé qu'il avait demandé à ce même policier à voir un avocat ou à pouvoir bénéficier des services du Bureau d'aide juridictionnelle. On lui avait répondu qu'il n'y avait pas d'avocat pour le représenter parce que le téléphone ne marchait pas. Il s'est également plaint d'avoir été brutalisé par la police quand il avait fait remarquer qu'il y avait des différences dans l'aspect physique des hommes qui défilaient pour la confrontation.
2.12 L'auteur a toujours affirmé qu'il ne savait rien du cambriolage et qu'il ne connaissait absolument pas son coaccusé. A. Brown aurait fait une déclaration incriminant un certain "Mickey" dans le cambriolage.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir qu'il y a eu violation de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parce que le juge du fond n'a pas accordé l'attention voulue aux conditions dans lesquelles l'auteur avait été reconnu par les témoins. Elle ajoute que le juge a manqué d'impartialité dans son exposé final. Le conseil fait valoir que le juge n'a pas fait suffisamment cas des conditions dans lesquelles l'auteur avait été reconnu parce qu'il a donné des instructions au jury au sujet de l'identification seulement quand le défenseur lui a rappelé qu'il fallait le faire. De plus, le juge n'avait peut-être pas à l'esprit toutes les considérations dont il pouvait être tenu compte dans le cas de l'auteur et dans celui de son codéfendeur, par exemple le fait que le témoin n'ait pas observé chacun des deux hommes pendant la même durée. D'après le conseil, le juge aurait dû prévenir le jury des risques qu'il y avait à se fonder sur le témoignage non corroboré d'un unique témoin.
3.2 De plus, le conseil fait valoir que la séance d'identification proprement dite s'est déroulée sans aucun respect du règlement en vigueur, qui exige la présence d'un avocat. Le juge a certes dit au jury de ne pas tenir compte de la confrontation s'il pensait qu'elle s'était déroulée de manière inéquitable, mais il n'a pas expliqué l'importance de la garantie de procédure que constitue la présence de représentants indépendants à la séance d'identification. Il n'a pas davantage rappelé au jury l'importance potentielle de l'absence de reconnaissance des deux défendeurs par les autres témoins.
3.3 Le conseil fait valoir aussi que, même si le juge a laissé au jury la possibilité de rendre un verdict d'homicide, il ne lui a rien dit au sujet des autres causes possibles de la mort de la victime et ne lui a pas donné la possibilité de s'interroger sur la question de savoir si la mort pouvait avoir eu des causes naturelles et si l'intention des cambrioleurs pouvait avoir été non pas de provoquer des lésions corporelles graves mais de réduire la victime au silence. A cet égard, le conseil note que le juge n'a pas appelé l'attention du jury sur le fait que l'accusation n'a pas produit le résultat de l'autopsie à titre de preuve et n'a pas non plus expliqué cette omission.
3.4 Le conseil affirme que le juge a invité le jury à réfléchir aux raisons pour lesquelles les deux défendeurs avaient demandé à ne pas être soumis au contre-interrogatoire, dans un sens favorable à l'accusation, ainsi qu'à l'absence d'empreintes digitales, ce qu'il n'aurait pas dû faire.
3.5 Le défenseur a objecté qu'il n'y avait pas matière à poursuites mais le juge a rejeté sa requête en présence du jury. D'après le conseil, eu égard aux irrégularités et failles dans l'administration des preuves, le juge du fond aurait dû ouvrir droit à la demande d'abandon de poursuites et retirer l'affaire au lieu de la soumettre à l'examen du jury (sic).
3.6 De plus, le conseil fait valoir que la cour d'appel de la Jamaïque s'est fourvoyée en affirmant que le juge avait donné des instructions justes au jury au sujet de l'identification et des séances d'identification, ce qui constitue une violation supplémentaire de l'article 14.
3.7 Le conseil fait valoir en outre que les "affres de l'attente" endurées pendant plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort représentent un traitement cruel, inhumain ou dégradant en violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10. Il renvoie à la décision prise par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan / Earl Pratt and Ivan Morgan c. Attorney-General of Jamaica; recours auprès du Conseil privé No 10 de 1993; décision rendue le 2 novembre 1993./. De plus, le conseil fait valoir que les conditions de surpeuplement et d'insalubrité qui règnent dans la prison du district de St. Catherine représentent une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Il se réfère à des rapports de Human Rights Watch et d'Amnesty International qui font état notamment de l'absence de matelas et du manque d'hygiène et de soins médicaux.
Observations de l'Etat partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations du 17 octobre 1995, l'Etat partie évoque la question de la recevabilité de la communication et déclare que l'auteur n'est pas fondé à invoquer une violation de ses droits en vertu du Pacte car aucun de ceux-ci n'a été violé.
4.2 L'Etat partie renvoie à la jurisprudence du Comité en ce qui concerne l'évaluation des faits et des éléments de preuve dans le cas de plaintes concernant l'article 14 du Pacte. En ce qui concerne les allégations de l'auteur portant sur l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, l'Etat partie déclare que le fait que l'auteur ait passé six ans dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas une violation du Pacte.
5.1 Dans des observations datées du 22 décembre 1995, le conseil réitère ses allégations et déclare que le fait que l'auteur ait bénéficié d'une commutation de peine ne change rien au fait que la peine de mort a été prononcée contre lui à l'issue d'un procès irrégulier, en violation du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle sa détention dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation des articles 7 et 10 du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence en la matière et réaffirme que la détention dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant en violation de l'article 7 du Pacte, en l'absence d'autres circonstances impérieuses / Voir communications Nos 270/1988 et 271/1988 (Randolph Barrett et Clyde Sutcliffe c. Jamaïque), constatations adoptées par le Comité le 30 mars 1992; communication No 541/1993 (Errol Simms c. Jamaïque) déclarée irrecevable le 3 avril 1995; communication No 588/1994 (Errol Johnson c. Jamaïque), constatations adoptées le 22 mars 1996, paragraphes 8.1 à 8.6./. Le Comité fait observer que ni l'auteur ni son conseil n'ont montré que l'auteur avait été traité d'une manière qui constitue une "autre circonstance impérieuse" en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l'article 2 du Protocole facultatif, l'allégation qu'elle contient étant insuffisamment étayée.
6.3 Le Comité note que les allégations de l'auteur concernant l'article 14 portent essentiellement sur la façon dont le procès a été mené par le juge et sur l'exposé final que celui-ci a présenté au jury. Il rappelle que c'est généralement aux tribunaux des Etats parties au Pacte qu'il appartient d'examiner les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce. De même, c'est aux juridictions d'appel des Etats parties et non au Comité qu'il appartient d'examiner les instructions données par le juge au jury ou la conduite du procès, à moins qu'il ne soit clair que les instructions données par le juge au jury aient été manifestement arbitraires ou aient représenté un déni de justice, ou encore que le juge ait failli à ses obligations d'impartialité. Les allégations de l'auteur et les minutes du procès dont le Comité a été saisi ne révèlent pas que la conduite du procès de M. McIntosh ait été entachée de telles irrégularités. En particulier, rien ne montre que le juge aurait dû demander au jury de se retirer alors que le conseil de l'auteur avait fait valoir qu'il n'y avait pas matière à poursuites, ni que ses instructions quant à la conduite de la séance d'identification aient été incorrectes ou en contradiction avec son devoir d'impartialité. En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible avec les dispositions du Pacte, est irrecevable, conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie, à l'auteur de la communication et à son conseil.
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* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin et M. Danilo Türk./
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]