Communication No. 464/1991 : Jamaica. 24/07/1995.
CCPR/C/54/D/464/1991. (Jurisprudence)
Convention Abbreviation: CCPR
Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communications Nos 464/1991 et 482/1991
Présentées par : Garfield Peart et Andrew Peart [représentés par un conseil]
Au nom : Des auteurs
Etat partie : Jamaïque
Date des décisions concernant la recevabilité : 17 mars 1994 et 19 mars 1993
A. Décision d'examiner conjointement les deux communications
Le Comité des droits de l'homme,
Considérant que les communications Nos 464/1991 et 482/1991 se rapportent à des faits étroitement liés intéressant les auteurs,
Considérant en outre qu'il est judicieux d'examiner conjointement les deux communications,
1. Décide, conformément au paragraphe 2 de l'article 88 de son règlement intérieur, d'examiner conjointement ces deux communications;
2. Décide en outre que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et aux auteurs des communications.
B. Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1995,
Ayant achevé l'examen des communications Nos 464/1991 et 482/1991 présentées au Comité des droits de l'homme par MM. Garfield Peart et Andrew Peart en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par les auteurs des communications, leur avocat et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.
1. Les auteurs des communications sont Garfield et Andrew Peart, citoyens jamaïquains qui, au moment où les communications ont été présentées, étaient en attente d'exécution à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque) / Le 18 avril 1995, la peine de mort à laquelle les auteurs avaient été condamnés a été commuée. Ils se déclarent victimes de violations par la Jamaïque des articles 2, 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Andrew Peart a été arrêté le 14 juillet 1986 et inculpé du meurtre d'un certain Derrick Griffiths, perpétré le 24 juin 1986. Garfield Peart a été arrêté le 5 mars 1987 pour le même motif. Le 26 janvier 1988, après un procès qui a duré six jours, les deux frères ont été reconnus coupables et condamnés à mort par la Home Circuit Court de Kingston. La cour d'appel les a déboutés le 18 octobre 1988. Une demande d'autorisation spéciale de faire appel adressée à la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 6 juin 1991. En décembre 1992, le crime pour lequel les auteurs ont été condamnés a été qualifié de meurtre punissable de la peine de mort en vertu de l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes (Offences against the Person (Amendment) Act).
2.2 Au cours du procès, le principal témoin à charge, Lowell Walsh, âgé de 15 ans au moment du procès, a rapporté que le 24 juin 1986, vers 21 heures, il regardait un jeu de loto auquel la victime assistait, en compagnie d'autres personnes. D'après le témoin, Andrew s'est approché d'eux et a interpellé Griffiths. Celui-ci, le témoin et une autre personne, Horace Walker, ainsi qu'Andrew se sont alors rendus au domicile de ce dernier. Le témoin a déclaré qu'une fois là-bas, il avait vu Garfield — qu'il connaissait depuis l'enfance — assis dehors dans la cour. Il faisait nuit et il n'y avait pas d'éclairage. Le témoin a ensuite décrit ce qui semblait être en fait une embuscade; un homme armé avait intimé à Griffiths l'ordre de ne pas bouger. Andrew l'avait terrassé, tandis que Garfield le menaçait avec un revolver. Walsh et Horace avaient couru se cacher dans la maison. Walsh a dit avoir entendu des coups de feu et quelqu'un dire : "Regarde s'il est bien mort". Andrew avait ensuite découvert où se cachait le témoin, l'avait ligoté et menacé. Une autre altercation entre les deux frères et un nouveau venu avait éclaté et le témoin en avait profité pour s'échapper.
2.3 La défense des auteurs était fondée sur l'alibi. Lorsqu'il a été arrêté, Garfield a immédiatement nié toute implication, déclarant qu'il était au cinéma avec des amis au moment du meurtre. Devant le tribunal, il a répété, dans une déposition à la barre faite sans prêter serment, ce qu'il avait déclaré à l'agent de police qui l'avait arrêté. Il a ajouté qu'au cinéma il avait reçu un message de la mère de son enfant lui signalant qu'il y avait eu une fusillade chez lui. Son alibi a été confirmé par Claudette Brown, qui a déclaré sous serment qu'elle avait accompagné l'auteur au cinéma, et par Pamela Walker, qui a confirmé avoir fait passer le message à l'auteur, au cinéma. Déposant depuis le banc des accusés, sans prêter serment, Andrew a affirmé que, la nuit du meurtre, il se trouvait en compagnie de son amie jusqu'à 23 heures, et qu'il était victime d'un coup monté.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment qu'ils n'ont pas bénéficié d'un procès équitable, soulignant qu'ils ont été condamnés sur la foi du témoignage non corroboré de Walsh. Ils signalent qu'il ressort des procès-verbaux de l'audience que l'autre témoin oculaire, Walker, n'a pas été appelé à la barre parce que son témoignage n'aurait pas confirmé celui de Walsh. La nuit du crime, ce dernier aurait fait à la police une déposition écrite qui révélerait des incohérences matérielles par rapport à son témoignage devant le tribunal. Cette déposition n'a pas été communiquée à la défense, alors qu'en vertu de la loi jamaïquaine l'accusation est tenue de fournir à la défense copie de toute déclaration de cette nature. Au procès, le conseil des auteurs a demandé communication de cette déposition initiale, mais le juge a refusé. Le conseil des auteurs n'est entré en possession d'une copie de la déclaration qu'en février 1991. Dans cette déposition, Walsh n'identifie pas Garfield comme étant l'un des agresseurs, mais déclare que Griffiths a été tué par une autre personne. Faute d'avoir eu connaissance des éléments figurant dans cette déclaration, les jurés n'auraient pas été en mesure de rendre un verdict équitable et correct.
3.2 En outre, les auteurs affirment qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une confrontation préalable au sein d'un groupe, comme ils l'avaient demandé, et que le juge aurait donc dû rejeter l'identification faite par le témoin au procès. Le témoin pouvait s'être trompé en identifiant Garfield sur le lieu du crime, puisqu'il savait que celui-ci habitait là.
3.3 Les auteurs soutiennent par ailleurs que le juge n'était pas impartial, mais était favorable à l'accusation. A ce propos, le juge aurait autorisé les jurés à demeurer dans la salle du tribunal lorsque le conseil de Garfield a présenté une requête de non-lieu, requête rejetée en présence des jurés. Ceux-ci auraient alors constaté dans l'argumentation des failles et des incohérences dont seul le juge aurait dû avoir connaissance et, de ce fait, ils auraient eu un parti pris contre les auteurs.
3.4 Les auteurs affirment en outre que les instructions données par le juge aux jurés étaient inadéquates, en particulier en ce qui concerne l'appréciation des éléments en rapport avec l'identification de l'auteur. Le juge n'aurait pas attiré l'attention des jurés sur le fait que l'agent de police ayant enquêté sur les lieux avait témoigné, au procès, qu'il faisait sombre cette nuit-là, qu'il avait eu besoin d'une lampe pour inspecter les lieux et que pour discerner un homme tenant un revolver à la main, il aurait fallu qu'il fût tout près de lui. Les jurés n'auraient pas pu se mettre d'accord initialement sur le verdict concernant Garfield et ils auraient demandé d'autres instructions au juge pour savoir si, au cas où ils penseraient que Garfield était présent sur les lieux, ils étaient tenus de rendre un verdict de culpabilité. Le juge leur avait simplement rappelé le témoignage de Walsh, sans signaler ses failles.
3.5 Les auteurs font valoir de plus qu'ils n'ont eu ni le temps ni les moyens de préparer leur défense et qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge. En outre, le conseil n'a pas obtenu qu'un expert des services de météorologie vienne témoigner, ce qui ajoute à l'inéquité du procès. S'il avait pu avoir un avis sur la clarté lunaire la nuit du crime, le tribunal aurait été mieux à même d'apprécier si Walsh avait pu voir clairement toute la scène.
3.6 Andrew Peart se plaint de ce que des fonctionnaires pénitentiaires aient assisté à un entretien entre lui-même et son avocat, ce qui constitue d'après lui une violation du droit de communiquer librement avec un avocat.
3.7 Garfield Peart se déclare victime d'une privation arbitraire de liberté, en violation de l'article 9 du Pacte, parce qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable et n'a pas davantage obtenu la libération sous caution.
3.8 Andrew Peart se déclare victime de violations de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte, en raison de la lenteur de la procédure judiciaire. Ainsi, alors qu'il avait été arrêté le 14 juillet 1986, il n'a comparu devant le juge d'instruction que le 5 mars 1987 et son procès n'a eu lieu que fin janvier 1988. Andrew Peart estime excessif un intervalle de 18 mois entre la date de son arrestation et celle de son procès. Il fait valoir qu'un délai également excessif s'est écoulé entre le rejet de son appel et le refus de la section judiciaire de lui donner l'autorisation de former un recours, ce délai étant imputable, pour l'essentiel, aux autorités judiciaires jamaïquaines; son conseil explique qu'il lui a été difficile d'obtenir le texte de la déposition et de la déclaration initiale de Lowell Walsh.
3.9 Les auteurs affirment aussi être victimes d'une violation de l'article 6 du Pacte parce qu'ils ont été condamnés à mort à l'issue d'un procès qui n'était pas conforme aux prescriptions du Pacte. Il est fait référence, à cet égard, aux garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort approuvées par le Conseil économique et social, dans sa résolution 1984/50.
3.10 Garfield Peart fait valoir par ailleurs que sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions dégradantes, constitue une violation des articles 7 et 10 du Pacte. D'après les deux auteurs, les conditions de détention à la prison du district de Sainte-Catherine seraient rigoureuses et inhumaines, et aucune possibilité ne leur serait offerte en matière de redressement et de réinsertion. Il ressort d'un rapport établi par une organisation non gouvernementale qu'Andrew a été blessé par des gardiens au cours des émeutes de mai 1990. Garfield mentionne notamment un incident survenu le 4 mai 1993, lors duquel il avait été roué de coups durant une perquisition minutieuse de la prison, apparemment parce que son frère Andrew était témoin dans une affaire d'assassinat impliquant certains gardiens en chef. Toutes ses affaires avaient été détruites. Sur ordre d'un gardien, un soldat l'avait frappé aux testicules avec un détecteur de métal. Par la suite, il avait été emmené à l'infirmerie où on lui avait donné des calmants, mais sans qu'il puisse voir un médecin. Il a rapporté l'incident au Directeur de la prison par intérim, qui a nié toute responsabilité. En septembre 1993, son conseil à Londres a écrit au chef de la police jamaïquaine, toujours en vain. Garfield déclare avoir épuisé tous les recours internes à cet égard et fait valoir que les recours qui consisteraient à adresser une plainte au Directeur de la prison, à l'ombudsman ou au Prison Visiting Committee (Comité de visite dans les prisons) seraient inutiles.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires de l'auteur
4.1 L'Etat partie a objecté que les communications étaient irrecevables au motif que les recours internes n'avaient pas été épuisés. Il a fait valoir que les auteurs avaient aussi la possibilité de chercher à obtenir réparation des violations présumées de leurs droits en présentant une requête constitutionnelle.
4.2 Quant à l'allégation de violation de l'article 10 du Pacte, l'Etat partie a noté que les auteurs n'expliquaient pas en quoi les recours disponibles seraient inefficaces et il a fait valoir que les auteurs n'avaient pas démontré qu'ils avaient essayé d'épuiser les recours internes à cet égard. De plus, l'Etat partie a objecté que les auteurs pouvaient également engager des poursuites au civil afin d'obtenir réparation pour coups et blessures et dommages matériels. Enfin, il a indiqué qu'il avait ouvert une enquête pour faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles Andrew Peart avait été blessé.
5.1 Dans leurs commentaires sur les observations des Etats parties, les auteurs ont ajouté qu'ils n'avaient pas les moyens de prendre un avocat et que l'aide judiciaire n'était pas disponible pour présenter une requête constitutionnelle ni pour engager une action civile, raison pour laquelle dans leur cas, les recours n'étaient pas disponibles. En ce qui concerne la requête constitutionnelle, les auteurs ont rappelé la jurisprudence du Comité qui a établi que la requête constitutionnelle ne constituait pas un recours utile / Il est fait référence aux décisions du Comité concernant les communications No 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque), constations adoptées le 1er novembre 1991, et No 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er novembre 1991.. Les auteurs ont fait valoir de plus que même si la requête constitutionnelle constituait un recours utile, le dép_t de cette requête prolongerait de façon indue l'application des recours internes.
5.2 Garfield Peart a expliqué qu'en mai 1993 il avait déposé une nouvelle demande d'autorisation de faire recours, en faisant valoir que son maintien en détention dans le quartier des condamnés à mort depuis plus de cinq ans constituait un traitement cruel et inhumain et que la peine capitale prononcée contre lui ne devait donc pas être appliquée.
Décisions du Comité déclarant les communications recevables
6.1 A ses quarante-septième et cinquantième sessions, le Comité a examiné la question de la recevabilité des communications.
6.2 Pour ce qui est de l'argument de l'Etat partie qui avait objecté que les auteurs avaient encore la possibilité de se prévaloir de la requête constitutionnelle, le Comité a rappelé sa jurisprudence selon laquelle, aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles. Le Comité a considéré que, en l'absence d'aide judiciaire, une requête constitutionnelle ne constituerait pas, dans les circonstances des deux affaires, un recours utile que les auteurs devaient avoir épuisé aux fins du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité a considéré que les griefs des auteurs se rapportant aux instructions données par le juge au jury au sujet de l'appréciation du témoignage en tant que preuve étaient irrecevables. Il a réaffirmé qu'en principe il appartenait aux juridictions d'appel des Etats parties, et non au Comité, d'examiner les instructions données spécifiquement au jury par le juge, à moins qu'il n'apparaisse clairement que ces instructions étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice, ou que le juge avait manifestement manqué à son devoir d'impartialité. Rien dans la documentation soumise au Comité ne permettait d'affirmer que les instructions du juge au jury étaient en l'espèce entachées de telles irrégularités.
6.4 En outre, le Comité a estimé que les auteurs n'avaient pas, aux fins de la recevabilité de leurs communications, étayé leurs allégations selon lesquelles le juge n'avait pas été impartial et ils n'avaient pas eu le temps et les moyens nécessaires à la préparation de leur défense et n'avaient pas eu la possibilité de faire procéder à un contre-interrogatoire des témoins à charge. A ce sujet, le Comité a relevé dans les comptes rendus d'audiences que le conseil qui représentait les auteurs au procès et en appel, n'avait à aucun moment soulevé d'objections et avait en fait procédé à un contre-interrogatoire poussé du principal témoin à charge.
6.5 Le Comité a considéré que Garfield Peart n'avait pas épuisé les recours internes en ce qui concerne sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort, qui constituerait une violation des articles 7 et 10 du Pacte. Cette partie de la communication a donc été déclarée irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Pacte.
6.6 Pour ce qui est du caractère arbitraire du maintien en détention de Garfield Peart, en violation de l'article 9 du Pacte, le Comité a noté qu'il avait été arrêté et inculpé de meurtre, traduit en justice, reconnu coupable et condamné. Il a estimé que l'auteur ne pouvait se prétendre victime d'une violation de l'article 9 du Pacte et que cette partie de la communication était par conséquent irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.7 Le Comité a considéré que le fait de n'avoir pas permis à la défense de prendre connaissance de la teneur de la déclaration initiale de Walsh et l'absence d'un témoin à décharge direct au procès pouvaient soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14, et que les conditions d'incarcération pouvaient soulever des questions au titre des articles 7 et 10, qui devaient être examinées quant au fond. Il a considéré en outre que la communication d'Andrew Peart pouvait soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l'article 9, et que sa plainte concernant le fait de ne pas avoir pu communiquer librement avec son avocat devait être examinée quant au fond.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé que les communications étaient recevables dans la mesure où elles semblaient soulever des questions au titre des articles 7 et 10 et des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14 du Pacte, dans le cas des deux auteurs, et au titre du paragraphe 3 de l'article 9 dans le cas d'Andrew Peart.
Réponses reçues des deux parties après la décision de recevabilité
8. Dans des observations datées du 20 janvier 1994, le conseil d'Andrew Peart indique que des gardiens avaient frappé Andrew avec un détecteur de métal le 4 mai 1993. Suite à ces brutalités, il avait du sang dans l'urine et souffrait de l'épaule mais n'a pas reçu de soins médicaux. Le conseil ajoute qu'Andrew est resté enfermé dans sa cellule, sans eau, jusqu'au vendredi 7 mai 1993. Il indique en outre que les gardiens ont menacé Andrew de mort, probablement parce qu'il avait témoigné contre eux en justice à la suite de la mort d'un détenu, en 1989. Le conseil joint des copies de lettres adressées à l'ombudsman parlementaire, au Solicitor General, au Directeur de l'administration pénitentiaire et au Ministre de la justice et de la sécurité nationale. Il lui a été répondu que l'affaire faisait l'objet d'une enquête, menée par l'Inspection générale du Ministère de la justice et de la sécurité nationale.
9.1 Dans une réponse du 11 novembre 1994 portant sur la communication de Garfield Peart, l'Etat partie réaffirme qu'à son avis la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Il note à ce sujet que l'auteur s'est plaint des mauvais traitements subis en prison au chef de la police (Commissioner of Police), alors qu'une affaire de cette nature n'est pas de son ressort. D'après l'Etat partie, l'auteur aurait dû s'adresser au bureau de l'ombudsman ou porter plainte officiellement auprès des autorités pénitentiaires. L'Etat partie ajoute qu'il a demandé à l'Inspection générale d'ouvrir une enquête.
9.2 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 14, au motif que le conseil n'a pas pu prendre connaissance de la déclaration initiale de Walsh, l'Etat partie répond qu'en droit jamaïquain, l'avocat général a le devoir d'informer la défense en cas de contradiction matérielle entre la teneur d'une déclaration faite par un témoin à la police et la teneur de la déposition du même témoin à l'audience. Montrer la déclaration à la défense n'est pas obligatoire mais dépend des circonstances. D'après l'Etat partie, en vertu de l'article 17 de la loi sur la preuve (Evidence Act), l'avocat de la défense peut inviter le juge du fond à exiger, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la production de la déclaration.
9.3 En l'espèce, le juge du fond a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire ce qui, de l'avis de l'Etat partie, n'entraîne pas une violation de l'article 14 du Pacte. De plus, l'Etat partie objecte que l'organe compétent pour contr_ler l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge est la cour d'appel qui, en l'espèce, n'a pas estimé que le juge avait failli dans l'exercice de ce pouvoir, avis partagé par le Conseil privé.
9.4 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 e) de l'article 14, l'Etat partie fait valoir que, à moins d'avoir agi, ou omis d'agir, de façon à empêcher la comparution d'un témoin, l'Etat partie ne saurait être tenu pour responsable de l'absence à l'audience d'un témoin à décharge.
10.1 Dans ses commentaires datés du 20 février 1995, le conseil de Garfield Peart répond que le bureau de l'ombudsman parlementaire n'est pas une autorité compétente au sens du paragraphe 3 b) de l'article 2 du Pacte. En outre, en réponse à la plainte qu'il a adressée concernant le traitement subi en prison, le chef de la police a accusé réception de ses griefs et a informé l'auteur que l'affaire était renvoyée au Directeur de l'administration pénitentiaire pour suite à donner. Le 27 juin 1994, le conseil a adressé une nouvelle lettre au chef des services pénitentiaires qui n'a toujours pas répondu à ce jour.
10.2 Le conseil maintient qu'il y avait une incohérence matérielle entre la déclaration initiale de Walsh et la déposition faite à l'audience, dont la défense n'a pas été informée et que le refus de lui montrer le texte de la déclaration initiale a entraîné un déni de justice.
Délibérations du Comité
11.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été données par les parties, comme il est requis au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
11.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie qui conteste la recevabilité des griefs de Garfield Peart concernant les traitements subis en prison, au motif du non-épuisement des recours internes. Il a également noté que l'auteur s'était plaint auprès du Directeur par intérim de la prison et que son conseil avait adressé une plainte au chef de la police qui l'avait par la suite informé que l'affaire avait été renvoyée au directeur de l'administration pénitentiaire pour suite à donner. Dans ces conditions, le Comité considère que l'auteur et son conseil ont fait preuve de la diligence voulue pour exercer les recours internes et qu'il n'y a aucune raison de revoir sa décision de recevabilité.
11.3 Pour ce qui est de l'absence de l'expert des services météorologiques qui, d'après l'auteur, constitue une violation de l'article 14 du Pacte, le Comité note qu'il ressort des minutes du procès que la défense avait pressenti ce témoin mais n'avait pas obtenu qu'il comparaisse au tribunal et que, après un bref ajournement des débats, le juge avait demandé au greffier d'adresser un ordre de comparution au témoin et avait ajourné l'audience. A la reprise du procès, le témoin ne s'étant pas présenté, le Conseil avait informé le juge qu'il poursuivrait en l'absence de celui-ci. Dans ces conditions, le Comité estime que l'Etat partie ne peut pas être tenu pour responsable de la non-comparution de l'expert que la défense avait appelé à témoigner.
11.4 En ce qui concerne la déposition du principal témoin à charge, le Comité note qu'il ressort des minutes du procès que, lors du contre-interrogatoire mené par la défense, le témoin a admis avoir fait une déclaration écrite à la police la nuit du crime. Le conseil a donc demandé copie de cette déclaration et l'accusation a refusé; le juge du fond a par la suite affirmé que le conseil de la défense n'avait pas expliqué pourquoi il fallait qu'une copie de la déclaration lui soit fournie. Le procès s'est donc poursuivi sans que la défense ait obtenu la copie de la déclaration.
11.5 Il ressort de la copie de la déclaration - que le conseil n'a obtenue qu'après le rejet par la cour d'appel du recours formé et qu'après le dép_t de la première demande d'autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé - que le témoin avait donné le nom d'un autre homme pour désigner celui qui avait abattu la victime, qu'il avait cité le nom d'Andrew Peart pour dire qu'il avait un revolver à la main et qu'il n'avait pas mentionné la participation de Garfield Peart ni sa présence sur les lieux du crime. Le Comité note que la déposition du seul témoin oculaire produit à l'audience avait une importance capitale, en l'absence de toute autre preuve. Il estime qu'en n'ayant pas connaissance de la déclaration du témoin à la police, la défense a été gravement handicapée dans le contre-interrogatoire du témoin, ce qui a rendu inéquitable le procès des accusés. Le Comité constate donc que les faits dont il est saisi révèlent une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte.
11.6 En ce qui concerne les plaintes de mauvais traitements subis par les auteurs en prison, le Comité note que l'Etat partie a fait savoir qu'il mènerait une enquête, mais que les résultats ne lui ont pas encore été communiqués. Les allégations des auteurs à ce sujet doivent donc être prises avec le sérieux voulu dans la mesure où elles ont été étayées. Le Comité note que les auteurs ont mentionné des incidents précis, survenus en mai 1990 et mai 1993, lors desquels des gardiens de la prison ou des soldats les avaient agressés et que, de plus, Andrew Peart recevait des menaces de mort. De l'avis du Comité, il s'agit là d'un traitement cruel et dégradant au sens de l'article 7 du Pacte, et il y a également violation du paragraphe 1 de l'article 10.
11.7 Andrew Peart a également fait valoir qu'il n'avait pas eu librement accès à son avocat parce que les entretiens se déroulaient en présence de fonctionnaires de la prison. Le Comité considère que l'auteur n'a pas montré en quoi la simple présence de fonctionnaires l'empêchait de préparer sa défense et relève à cet égard qu'aucune allégation de cette nature n'a été avancée devant les tribunaux locaux. Il conclut par conséquent que les faits dont il est saisi à cet égard ne révèlent pas une violation de l'article 14 du Pacte. Il estime en outre que les faits de la cause ne révèlent pas de violation de l'article 9.
11.8 Le Comité est d'avis que prononcer une sentence de mort à l'issue d'un procès qui s'est déroulé sans que les dispositions du Pacte aient été respectées constitue, si aucun autre recours contre la sentence n'est possible, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a fait observer dans son Observation générale 6 (16), la disposition du Pacte prévoyant qu'une sentence de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure" / CCPR/C/21/Rev.1, p. 8, par. 7.. En l'espèce, étant donné que le jugement définitif de condamnation à mort a été rendu alors que le droit à un procès équitable protégé par ce Pacte n'avait pas été respecté, il y a eu également violation de l'article 6 du Pacte.
12.Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi révèlent une violation de l'article 7 du paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe 3 e) de l'article 14 et, par voie de conséquence, de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
13.Dans les affaires de condamnation à mort, l'obligation des Etats parties de respecter rigoureusement toutes les garanties judiciaires énoncées à l'article 14 du Pacte ne souffre aucune exception. En ne disposant pas de la déclaration faite à la police par le témoin à charge, la défense a été empêchée de mener correctement le contre-interrogatoire du témoin, en violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte; Garfield et Andrew Peart n'ont donc pas bénéficié d'un procès équitable au sens du Pacte. Ils ont par conséquent droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, à un recours utile. Le Comité a pris note du fait que la peine des auteurs avait été commuée, mais il est d'avis que, dans les circonstances, ils devraient être remis en liberté. L'Etat partie est tenu de veiller à ce que, à l'avenir, des violations analogues ne se reproduisent pas.
14.Etant donné qu'en ratifiant le Protocole facultatif l'Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer si une disposition du Pacte avait été violée et que, en vertu de l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et obligatoire s'il est établi qu'il y a eu violation, le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans les 90 jours, des renseignements sur les mesures qu'il aura prises pour donner effet à ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]