BEYROUTH - Après une parenthèse de six ans, et malgré les pressions européennes, le Liban a annoncé jeudi la reprise dans les prochains jours des exécutions capitales, suscitant la réprobation de l'Union européenne, des associations des droits de l'Homme et de personnalités politiques.
Trois Libanais, condamnés à mort pour meurtre, doivent être exécutés samedi, pour la première mise en application de la peine capitale depuis six ans, a-t-on indiqué jeudi de source officielle à Beyrouth.
Ces exécutions interviennent en dépit de l'opposition affichée par les associations de défense des droits de l'Homme et des interventions de pays européens auprès des autorités libanaises.
Les décrets autorisant les exécutions ont été signés mercredi par le président Emile Lahoud, après que le Premier ministre Rafic Hariri et le ministre de la Justice Bahige Tabbara eurent donné leur accord, a-t-on précisé.
L'Union européenne a exprimé sa "consternation" et invité le président Lahoud à "revenir" sur la décision. Dans un communiqué publié à Beyrouth, la présidence de l'UE a appelé le gouvernement libanais à poursuivre "le moratoire" en vigueur depuis 1998 sur l'application de la peine de mort.
"La reprise des exécutions capitales, après une suspension de près de six ans, est une preuve de l'échec de l'Etat", a indiqué à l'AFP Nasser Saghiyé, un dirigeant de l'association Dignité humaine, qui regroupe quatre ONG libanaises.
Pour ce défenseur des droits de l'Homme, les dirigeants libanais doivent assumer leur responsabilité dans cette affaire. "Le président de la République fait porter la responsabilité à la justice, le Premier ministre à son homologue de la Justice et ces deux derniers affirment que c'est le chef de l'Etat qui décide en fin de compte", a ajouté M. Saghiyé.
Or, "chacun a le pouvoir de ne pas donner son accord", a-t-il dit.
En effet, au début du mandat du président Lahoud (automne 1998), le Premier ministre Salim Hoss, opposé à la peine capitale, avait refusé de signer des décrets en ce sens.
"L'exécution capitale constitue une triple dérobade: devant les causes du crime, devant les familles des victimes et devant la réhabilitation des criminels", estime Walid Salibi, un responsable du Mouvement des droits humains au Liban.
"Il faut créer une loi qui indemnise les familles des victimes plutôt que de leur apporter une consolation, à travers l'exécution", ajoute-t-il.
Pour Nada Adhami, avocate et activiste des droits de l'Homme, "la pratique de l'exécution capitale encourage la violence". "Personne n'a le droit de tuer de sang froid même si cela est fait au nom de l'Etat et de la société".
Cheikh Maher Hammoud, un dignitaire sunnite de Saïda (40 km au sud de Beyrouth) a également exprimé son rejet total des exécutions capitales.
Le 2 janvier, des associations et des personnalités politiques avaient insisté ensemble sur la nécessité d'abolir la peine de mort.
Souhaitant que sa candidature à l'UE soit acceptée, la Turquie a aboli le 9 janvier la peine de mort en toutes circonstances, "y compris en temps de guerre".
Au Liban, les exécutions capitales étaient très rares jusqu'à l'adoption en 1994 d'une loi rétablissant dans la pratique la peine de mort, jamais abolie dans les textes.
Alors que trois personnes seulement avaient été pendues en 35 ans, 14 personnes ont été exécutées depuis 1994 en vertu de cette loi, dénoncée notamment par Amnesty International.
Cette loi prive les juges de la possibilité d'accorder des circonstances atténuantes dans les cas de meurtre avec préméditation ou pour les crimes dont l'atrocité est telle qu'elle constitue un danger pour l'ordre public.