LE BARDO- Le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent, a été définitivement adopté samedi à l'aube, après un marathon parlementaire qui a débuté mercredi 22 juillet 2015, à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP).
La nouvelle loi antiterroriste qui vient remplacer la loi n°2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent, a été adoptée à une majorité de 174 voix pour, 10 voix contre et sans aucune abstention.
Le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur a qualifié de «grand acquis», le vote de la nouvelle loi organique «tant attendue par le peuple tunisien».
Tout en louant « l'esprit de compromis » des différents groupes parlementaires et des partis représentés à l'assemblée autour de ce projet de loi, Mohamed Ennaceur a estimé que la lutte antiterroriste n'est pas terminée avec l'adoption de cette loi. Son adoption, a-t-il précisé, n'est qu'un volet de la stratégie adoptée par le gouvernement et accompagnée par le parlement, pour lutter contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. Cela commande aussi des efforts à tous les niveaux et une mobilisation nationale pour combattre ce fléau, a-t-il soutenu.
Au cours de la séance plénière qui s'est poursuivie hier tard dans la nuit et à laquelle a pris part le chef du gouvernement, Habib Essid et plusieurs membres du gouvernement, les articles de 96 à 137 ont été adoptés à une majorité de 135 à 166 voix. Les articles concernés figurent dans la dernière partie du projet relative à la répression du blanchiment d'argent.
Après l'adoption du projet, le président de l'ARP a annoncé que la nouvelle loi antiterroriste va être soumise à l'Instance de contrôle de la constitutionnalité des lois, avant sa promulgation par le président de la République.
Signalons que d'autres articles n'ont pas bénéficié de la majorité après l'introduction d'amendements par le ministre de la Justice. Il s'agit des articles 3, 7 et 35.
//Large polémique autour de l'art. 35, finalement adopté//
L'article 35 qui a finalement été adopté par les députés avait suscité une large polémique. Il stipule « Est coupable de crime terroriste et puni d'un an à cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de cinq à dix mille dinars, quiconque, même tenu au secret professionnel, n'a pas signalé aux autorités compétentes, les renseignements relatifs à des crimes terroristes ».
La proposition d'amendement dudit article prévoyant l'ajout des journalistes à la catégorie des professions bénéficiant du droit au secret professionnel, avait été recalée, à deux reprises, lors des débats. Le Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT) a imputé au parlement la responsabilité de «cette atteinte à la liberté de la presse qui prive les journalistes du droit au secret professionnel et à la protection de leurs sources».
Un compromis a été enfin trouvé entre les différents groupes parlementaires et le ministre de la Justice pour l'adoption d'une proposition d'amendement incluant le droit des journalistes au secret professionnel conformément aux dispositions du décret-loi 115/2011 relatif à la liberté de la presse, d'impression et de diffusion.
// La loi antiterroriste avait été reportée sine die en 2014//
La révision du projet de loi organique n°22/2015 sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent a pris un retard considérable. Son examen a débuté en aoot 2014, à l'Assemblée nationale constituante mais a été finalement reporté pour être renvoyé à la future Assemblée des représentants du peuple, issue des premières élections législatives d'octobre 2014.
L'accélération de la procédure d'adoption de la loi est survenue à la suite de deux attaques terroristes au musée du Bardo (18 mars 2015) et dans un hôtel à Sousse (le 26 juin dernier) où des touristes étrangers ont trouvé la mort. Le gouvernement avait soumis le nouveau texte à l'ARP, le 26 mars 2015.
Bien que la révision de cette loi avait pour objectif de donner aux forces de l'ordre et à la justice les moyens de lutter contre le terrorisme, plusieurs de ses dispositions ont été épinglées par une large part de la société civile.
Quinze organisations syndicales et de défense des droits humains dont l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), ont ainsi mis en garde jeudi 23 juillet courant contre « des menaces sérieuses » pesant sur les droits et les libertés en Tunisie, en dépit de leur inscription dans la Constitution et la ratification par la Tunisie des conventions internationales y afférentes.
Dans une déclaration commune, ces organisations estimaient que le manque de « sérieux et de profondeur » dans l'examen du projet de loi organique relatif à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent constituait « la principale menace contre ces libertés ».
Les remarques et les critiques avancées par les composantes de la société civile à ce sujet n'ont pas été prises en considération, ont regretté ces organisations.
Des organisations non gouvernementales étrangères avaient également adressé au début du mois de juillet, une déclaration commune au parlement, l'appelant à « abandonner certaines dispositions problématiques » contenues dans le projet de la loi antiterroriste.
Les neuf ONG dont Amnesty International, Human Rights Watch Reporters Sans Frontières et le Centre Carter ont estimé que le projet de loi « permettait une garde à vue prolongée, affaiblirait les garanties d'une procédure régulière pour les personnes inculpées d'actes liés au terrorisme, et autorisait la peine de mort ».
Rappelons, à cet égard, que la Tunisie observe un moratoire de fait sur la peine capitale depuis 1991.
Dépêche reproduite avec l'aimable autorisation de l'agence Tunis Afrique Presse