Stockholm - Il aura fallu près de trois décennies pour que l'Académie suédoise, institution prestigieuse qui décerne le prix Nobel de littérature, dénonce la fatwa visant l'écrivain britannique Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques honni des islamistes.
Dans une tribune publiée jeudi par le quotidien Dagens Nyheter, l'académie pourfend une condamnation à mort prononcée pour châtier une création littéraire.
L'indépendance de la littérature vis-à-vis du contrôle politique est impérieuse pour la civilisation et doit être préservée des attaques des partisans de la vengeance et de la censure, écrit son secrétaire perpétuel, Tomas Riad.
C'est au nom de ce même principe d'indépendance que les académiciens s'étaient abstenus de prendre position sur l'affaire Rushdie en 1989, déchirés entre tenants d'un soutien franc à l'écrivain et garants de la neutralité du cénacle.
L'auteur d'origine indienne était devenu l'ennemi désigné des musulmans fondamentalistes en mettant en scène dans ses Versets des prostituées rêvant qu'elles étaient les femmes du prophète Mahomet.
L'imam Khomeiny, guide suprême de la révolution islamique iranienne, a prononcé à son encontre le 14 février 1989 une fatwa le condamnant à mort.
Trois des membres de l'Académie suédoise indignés par son silence, Kerstin Ekman, Lars Gyllensten puis Werner Aspenström, en avaient quitté les bancs, sans cependant être autorisés à démissionner, ses statuts ne le permettant pas.
L'académie, dont la composition a été très largement renouvelée depuis, s'est décidée à prendre position après que la somme offerte pour l'assassinat de Rushdie eut été augmentée fin février par une quarantaine de médias iraniens, a justifié Tomas Riad.
Ce linguiste d'origine égyptienne fustige un crime contre le droit international (...) incompatible avec le processus de normalisation engagé par Téhéran et les puissances occidentales.
L'académie n'a pas été épargnée par les polémiques par le passé, d'aucuns l'accusant d'avoir porté maints coups de canif au testament d'Alfred Nobel qui entendait récompenser l'idéalisme.
Le Français Louis-Ferdinand Céline, sanctionné pour ses écrits antisémites, et l'Argentin Jorge Luis Borges, critiqué pour ses relations ambiguës avec les dictatures sud-américaines, sont au nombre des célèbres oubliés du Nobel.
Les dernières controverses en date concernent l'attribution du prix au Chinois Mo Yan en 2012, jugé par ses détracteurs trop complaisant avec Pékin, et celui décerné l'an dernier à la Bélarusse Svetlana Alexievitch, qui n'a de cesse de dénoncer le bellicisme et le nationalisme de la Russie.
Sa réception Nobel à Stockholm n'a pas été retransmise par la télévision publique au Bélarus.
Les académiciens suédois ont souvent affirmé ne pas prêter attention à la politique, à la religion, à l'âge ou au sexe des lauréats, relève le journaliste Antoine Jacob, auteur d'une Histoire du prix Nobel.
Mais qu'ils le veulent ou non, depuis le premier prix en 1901, certaines décisions obéissent également à d'autres critères que la littérature: courants idéologiques, convictions personnelles, voire liens d'amitié, dit-il à l'AFP.