Pénalisation de l'adultère dans un pays polygame, mendicité réprimée là où la pauvreté frappe 37,5% de la population, prison pour loyers impayés...: la réforme du code pénal provoque un vif débat de société au Cameroun, avec parmi les enjeux les inégalités et les modes de vie.
Plusieurs des 370 articles concernent la vie quotidienne des 23 millions de Camerounais. La froideur des énoncés juridiques enflamme donc les débats bien au-delà du cercle des juristes ou des parlementaires, qui devaient adopter le texte vendredi.
L'instauration d'un délit d'adultère fait grand bruit. L'article 361 prévoit une peine de prison (un à deux mois) ou une amende (25.000 à 100.000 francs CFA, entre 37,5 et 150 euros) pour "la femme mariée qui a des rapports sexuels avec un autre homme que son mari".
Mêmes sanctions pour le mari pris en faute "avec d'autres femmes que son ou ses épouses", précise l'alinéa 2, qui tient compte de la polygamie masculine, autorisée au Cameroun comme dans plusieurs pays d'Afrique.
"Moralité: il vaut mieux rester célibataire", ironise un internaute sur le site camer.be: "La moitié des maris camerounais ira en prison à coup sûr. La totalité des épouses camerounaises se retrouvera derrière les barreaux", plaisante-t-il.
- 'Nous avons notre culture' -
Cette pénalisation de l'adultère réveille le débat sur le choc des modèles de société.
"Moi je suis quand même quelqu'un qui a au moins quatre femmes... Il faut que vous sachiez que nous avons notre culture, on ne devrait pas tout copier de ce qui vient de l'Europe", estime Deffo Oumbe Sangong, député du Social Démocrati Front (SDF, principal parti de l'opposition), cité sur le site de RFI.
Les défenseurs des gays sont plus discrets pour dénoncer le maintien de la répression de l'homosexualité, passible de cinq ans de prison.
"L'homosexualité est le cache-sexe des violations des droits de l'homme et de l'impunité que prépare le nouveau code pénal", proteste sur Twitter l'avocate Alice Nkom, récompensée en 2013 par Amnesty-Allemagne pour son engagement aux côtés des LBGT.
La première réforme du code pénal depuis 1967 risque-t-elle de durcir les inégalités sociales? Le nouveau code instaure une peine de prison (six mois à trois ans) et une amende (100.000 à 300.000 FCFA, 150 à 450 euros) pour le locataire qui ne paie pas son loyer pendant deux mois.
La mendicité est désormais passible de trois mois à trois ans de prison et d'une amende de 50.000 à 500.000 FCFA (75 à 750 euros), tout comme le vagabondage (six mois à deux ans de prison).
Le bâtonnier du barreau du Cameroun, Jackson Ngié Kamga, s'inquiète de dispositions "de nature à sanctionner les pauvres".
- Modernité ou tradition -
En 2014, 37,5% des Camerounais, soit plus de huit millions de personnes, vivaient sous le seuil de la pauvreté, d'après l'institut national de la statistique (INS).
"Projet de loi liberticide", "absence de concertation"... l'opposition et l'ordre des avocats demandent le retrait du texte, lui reprochant tantôt de ne pas rattacher le Cameroun à la modernité, tantôt au contraire de prendre les traditions à rebrousse-poil.
"Il faudra un changement de régime pour faire entrer le Cameroun dans la modernité", regrettait il y a quelques jours sur Facebook Joshua Osih, responsable du SDF, allusion au président Paul Biya au pouvoir depuis 1982.
"Plusieurs dispositions sont contraires à nos engagements internationaux", ajoutait-t-il, mentionnant des menaces sur la liberté de la presse.
Le texte prévoit aussi le maintien de la peine de mort, dans un pays où la justice avait annoncé en mars la condamnation en un an de 89 islamistes de Boko Haram à la peine capitale.
Autre grief contre la réforme du code pénal: "un défaut de concordance" selon les avocats entre les versions française et anglaise dans ce pays où la minorité anglophone représente près de 20% de la population.
Le texte devait finalement passer, avec une toute petite victoire pour ses opposants: le président Paul Biya a exceptionnellement refusé de promulguer sa première version, parce qu'il prévoyait l'immunité pour les ministres en exercice. Un rare désaveu de sa majorité qui a permis de prolonger les joutes parlementaires de quelques heures. Mais le débat dans les rues n'est pas fini.