WASHINGTON - Le système judiciaire américain est-il vicié par le racisme ? Cette question sera au coeur des débats mercredi devant la Cour suprême des États-Unis, qui revisitera un procès au cours duquel la dangerosité de l'accusé avait été liée au fait qu'il était... noir.
Cette audience solennelle à Washington revêt une portée spéciale après de récents faits divers dramatiques, soldés par le décès d'Afro-Américains, qui ont illustré des préjugés tenaces dans la police.
Au fil des années, le cas de Duane Buck, condamné à mort en 1997 au Texas, a également pris une charge emblématique intense.
Personne ne discute la culpabilité de cet homme aujourd'hui quinquagénaire qui, en plein été 1995, avait sauvagement tué par balle son ex-compagne et l'homme qui se trouvait avec elle.
Personne ne se questionne non plus quant à savoir s'il méritait ou non la peine capitale. Le problème est la façon dont la sentence lui a été infligée.
Verdict « corrompu »
« Ce qui est en jeu est de savoir si la Cour (suprême) va autoriser le Texas à procéder à l'exécution d'un homme pour lequel la procédure de condamnation a été fondamentalement corrompue », résume Sam Spital, un juriste qui suit le dossier.
Selon la loi en vigueur au Texas, une personne ne peut être condamnée à mourir que si le procureur parvient à prouver qu'elle fait courir un danger futur à la société.
M. Buck était représenté à son procès par deux avocats commis d'office, dont l'un, Jerry Guerinot, s'est révélé être une véritable calamité : au cours de sa carrière, il n'a jamais réussi à obtenir un verdict d'acquittement et pas moins de 20 de ses clients ont écopé de la peine de mort.
M. Guerinot avait lors de l'audience utilisé l'expertise d'un pseudo-psychologue nommé Walter Quijano, qui avait assuré que Duane Buck présentait un plus fort risque de récidive, car il était noir.
Une telle affirmation enfreint le sixième amendement de la Constitution américaine, qui énonce qu'un accusé « aura le droit d'être jugé promptement et publiquement par un jury impartial », c'est-à-dire non influencé par des idées racistes.
En plus d'être illégale et choquante, la prédiction de « l'expert » Quijano s'est révélée « fausse dans les faits », souligne Kate Black, une des avocates de Duane Buck.
Prisonnier modèle
En deux décennies, « on ne lui a pas reproché une seule infraction disciplinaire. Son dossier est immaculé. Et c'est vraiment remarquable. En effet, dans le couloir de la mort, les détenus sont sanctionnés de façon routinière, pour un refus de se raser, pour posséder trop de timbres postaux, mettre des images artistiques ou des photos sur le mur ou la fenêtre, refuser de se doucher », rappelle-t-elle.
Duane Buck a été condamné dans le comté texan de Harris qui, parmi les quelque 3000 comtés qui composent les États-Unis, détient le record absolu des exécutions, avec 9 % du total du pays.
Une étude a montré que de 1992 à 1999 - une période couvrant celle de la sentence de Duane Buck - les procureurs du comté de Harris avaient trois fois plus de chances de requérir la peine capitale si l'accusé était noir, et les jurés avaient deux fois plus de chances d'imposer la peine de mort sur ce même critère.
En raison de la portée symbolique de son affaire, Duane Buck bénéficie aujourd'hui d'une impressionnante équipe de défenseurs, dont des juristes de la NAACP, la première organisation de défense de la communauté noire aux États-Unis.
En face, l'État du Texas minimise l'importance du témoignage de Walter Quijano, en soutenant que Duane Buck aurait de toute façon été condamné à mort vu les charges à son encontre.
L'audience mercredi devant la Cour suprême aura donc une portée nationale et le jugement qui suivra pourrait bien faire date.