Parlement européen
2014-2019
TEXTES ADOPTÉS Édition provisoire
Philippines, le cas de la sénatrice Leila Magistrado de Lima
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur la situation aux Philippines, en particulier celle du 15
septembre 2016,
– vu les déclarations de la délégation de l'Union européenne et du porte-parole de la vice- présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité,
– vu les relations diplomatiques entretenues par les Philippines et l'Union européenne (anciennement la Communauté économique européenne), établies le 12 mai 1964 avec la nomination d'un ambassadeur des Philippines auprès de la CEE,
– vu le statut des Philippines, membre fondateur de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN),
– vu la déclaration du 28 février 2017 de la Commission internationale de juristes,
– vu l'accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République des Philippines, d'autre part,
– vu les lignes directrices de l'Union en matière de droits de l'homme,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que les Philippines et l'Union européenne entretiennent depuis longtemps des relations diplomatiques, économiques, culturelles et politiques;
B. considérant que le 23 février 2017, un mandat d'arrêt a été délivré à l'encontre de la sénatrice philippine Leila Magistrado de Lima, membre du parti libéral d'opposition, sur des accusations de délits liés à la drogue; que le 24 février 2017, la sénatrice De Lima a été arrêtée et placée en détention; que, si elle est reconnue coupable, la sénatrice De Lima pourrait être condamnée à une peine comprise entre 12 ans d'emprisonnement et la réclusion à perpétuité et être expulsée du Sénat;
C. considérant que l'on craint sérieusement que les charges retenues contre la sénatrice De Lima aient été presque entièrement inventées; qu'Amnesty International considère la sénatrice De Lima comme un prisonnier d'opinion;
D. considérant que la sénatrice De Lima est une militante des droits de l'homme et la plus en vue des personnalités critiques de la campagne antidrogue du président philippin Rodrigo Duterte; qu'elle a ouvertement condamné la guerre philippine contre la drogue; que la sénatrice De Lima a été la présidente de la commission des droits de l'homme des Philippines; que la sécurité de la sénatrice De Lima soulève de graves inquiétudes; que de nombreuses allégations de torture dans des lieux de détention restent sans suite;
E. considérant que le 19 septembre 2016, la sénatrice De Lima a été démise de son poste de présidente de la commission sénatoriale de la justice et des droits de l'homme; que, alors qu'elle était à la tête de la commission des droits de l'homme, la sénatrice de Lima a mené l'enquête sur les allégations de meurtres extrajudiciaires ayant fait, selon les estimations, un millier de victimes, ou plus, parmi les personnes suspectées de criminalité liée à la drogue à Davao, à l'époque où le président Duterte était maire de cette ville; qu'à la suite des auditions, la sénatrice De Lima a fait l'objet d'un déchaînement de harcèlement et d'intimidation de la part des autorités, et que ces agressions se sont intensifiées au coup des huit derniers mois;
F. considérant que le 2 mars 2017, l'organisation Human Rights Watch a publié son rapport «License to Kill: Philippine Police Killings in Duterte's ‘War on Drugs'», qui corroborait l'existence de meurtres extrajudiciaires liés à la campagne antidrogue;
G. considérant que plus de 7 000 meurtres liés à la campagne antidrogue commis par la police et les milices ont été signalés depuis que le président Duterte a pris ses fonctions le 30 juin 2016; que le président Duterte a juré de poursuivre sa campagne antidrogue jusqu'à la fin du mandat présidentiel, en 2022;
H. considérant qu'à la suite du meurtre d'officiers par des insurgés de la Nouvelle armée du peuple communiste dans le sud des Philippines, le 8 mars 2017, le président Duterte a ordonné à l'armée de mener des opérations contre les insurgés sans se préoccuper des dommages collatéraux;
I. considérant que le 30 janvier 2017, la police nationale philippine a suspendu temporairement les opérations antidrogue de la police à la suite d'un meurtre odieux qui aurait été commis dans le cadre de la campagne antidrogue; que le président Duterte a ordonné aux forces armées des Philippines de combler cette faille dans la campagne antidrogue;
J. considérant que les défenseurs des droits de l'homme, les militants et les journalistes des Philippines, y compris la sénatrice De Lima, font régulièrement l'objet de menaces, de harcèlement, y compris en ligne, et d'intimidation; que les personnes qui violent les droits de ces groupes restent impunies du fait qu'aucune véritable enquête n'a lieu; qu'en novembre 2016, le président Duterte a menacé ouvertement de tuer les défenseurs des droits de l'homme;
K. considérant que le 7 mars 2017, la Chambre des représentants a approuvé le projet de loi 4727 qui rétablit la peine de mort pour les crimes graves liés à la drogue; que les Philippines ont été le premier pays de la région à abolir la peine de mort, en 2007; que le rétablissement de la peine de mort constituerait une violation flagrante du deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel les Philippines sont partie depuis 2007; que l'administration du président Duterte envisage une législation pour abaisser la majorité pénale de 15 à 9 ans;
L. considérant qu'en septembre 2016, les Philippines ont accepté la présidence de l'ASEAN pour 2017;
1. demande la libération immédiate de la sénatrice De Lima et demande que sa sécurité soit correctement assurée pendant sa détention; demande aux autorités des Philippines d'assurer un procès équitable, en rappelant le droit à la présomption d'innocence, d'abandonner toutes les charges qui répondent à des motivations politiques et de mettre fin à tout autre acte de harcèlement à son encontre;
2. est conscient qu'aux Philippines, des millions de personnes souffrent du niveau élevé de toxicomanie et de ses conséquences; condamne fermement le trafic et la consommation de drogue aux Philippines; invite le gouvernement à donner la priorité à la lutte contre les réseaux de trafiquants et les barons de la drogue, plutôt qu'à la poursuite des petits consommateurs; souligne que cette lutte doit aller de pair avec des mesures concomitantes de prévention et de désintoxication; encourage le gouvernement dans ses efforts d'ouverture de nouveaux centres de désintoxication;
3. condamne vivement le grand nombre de meurtres extrajudiciaires par les forces armées et les milices liées à la campagne antidrogue; présente ses condoléances aux familles des victimes; exprime ses graves préoccupations face à des informations crédibles selon lesquelles les forces de police philippines maquillent des preuves pour justifier des meurtres extrajudiciaires et la population ciblée est essentiellement la population pauvre des zones urbaines; demande aux autorités des Philippines de mener immédiatement des enquêtes impartiales et réelles sur ces meurtres extrajudiciaires et de poursuivre et traduire en justice tous les auteurs; demande à l'Union européenne d'apporter son soutien à ces enquêtes; demande aux autorités des Philippines d'adopter toutes les mesures nécessaires pour éviter de nouveaux meurtres;
4. exprime ses graves préoccupations devant les propos tenus par le président Duterte à la suite des meurtres d'officiers le 8 mars 2017 et presse instamment les autorités et l'armée philippines d'adhérer de manière stricte au droit humanitaire international, qui impose des restrictions spécifiques à toutes les parties d'un conflit armé pour épargner les civils et les non-combattants;
5. demande à l'Union européenne de soutenir la mise en place, au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, d'une enquête internationale indépendante sur les meurtres illégaux et autres violations des droits par les Philippines dans le contexte de la «guerre contre la drogue» du président Duterte;
6. est profondément alarmé par la décision de la Chambre des représentants de rétablir la peine de mort; demande aux autorités des Philippines de mettre immédiatement un terme aux procédures en cours pour rétablir la peine de mort; rappelle que l'Union considère la peine de mort comme une sanction cruelle et inhumaine, qui n'a aucun effet dissuasif sur la criminalité; demande au gouvernement philippin de s'abstenir d'abaisser l'âge de la majorité pénale;
7. demande à l'Union européenne de suivre de près les procédures menées contre la sénatrice De Lima;
8. presse l'Union européenne d'utiliser tous les instruments disponibles pour aider le gouvernement des Philippines à respecter ses obligations internationales en matière de droits de l'homme, notamment au moyen de l'accord-cadre;
9. presse la Commission d'utiliser tous les instruments disponibles pour persuader les Philippines de mettre fin aux meurtres extrajudiciaires liés à la campagne antidrogue, y compris, en l'absence de toute amélioration substantielle au cours des prochains mois, des démarches en vue de l'éventuelle suppression des préférences SPG+;
10. charge son Président de transmettre la présente résolution au gouvernement et au parlement des Philippines, à la vice-présidente de la Commission/haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux parlements et aux gouvernements des États membres, au Haut- Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme et aux gouvernements des États membres de l'ASEAN.