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Au Pakistan, une erreur judiciaire jette une lumière crue sur les failles du système

dépêche de presse du 20 mai 2018 - Agence mondiale d'information - AFP
Pays :
peine de mort / Pakistan
Thèmes :
Asma Nawab a passé vingt ans derrière les barreaux, injustement emprisonnée pour le meurtre de sa famille. Récemment acquittée et libérée, elle tente à présent de reconstruire sa vie, mais son cas soulève des questions embarrassantes sur le système judiciaire pakistanais.

La jeune femme n'avait que 16 ans lorsque ses parents et son jeune frère ont péri la gorge tranchée lors d'une tentative de cambriolage à leur domicile dans la mégalopole portuaire de Karachi (sud) en 1998.

L'affaire avait fait grand bruit à l'époque, poussant les procureurs à exiger une justice éclair. Mme Nawab et son fiancé d'alors avaient été condamnés à la peine de mort lors d'un procès de douze jours.

Les vingt années qui suivirent, passées sous les verrous, furent "très douloureuses", raconte Mme Nawab, aujourd'hui âgée de 36 ans.

Initialement sceptiques, ses co-détenues avaient fini par croire à son innocence et par constituer à ses yeux une nouvelle "famille".

Les prisonnières, dont certaines condamnées pour meurtre ou enlèvement, s'entraidaient lorsque leurs procédures semblaient s'enliser ou lorsque leurs familles les négligeaient.

"Nous pleurions pendant (la fête musulmane de) l'Aïd et pendant les autres célébrations (...) C'était très douloureux. Je ressentais avec intensité" l'absence de visites, relate tristement Mme Nawab. "Mon oncle n'est venu me rendre visite qu'une seule fois."

Autant son procès avait été rapide, autant la procédure en appel de Mme Nawab fut interminable. Ce n'est qu'en 2015 que ses avocats saisirent la Cour Suprême à son sujet. Après trois ans d'auditions, elle a ordonné en avril que Mme Nawab soit relâchée, faute de preuves.

"Le verdict de cette affaire a été donné en 12 jours mais il a fallu 19 ans et six mois pour examiner les appels", souligne son avocat Javed Chatari.

L'acquittement fut un grand choc, raconte Mme Nawab. "Je n'arrivais vraiment pas à y croire", dit-elle à l'AFP. "Comment allais-je faire pour affronter le monde après avoir passé autant de temps en prison ?"

Des drames comme celui de Mme Nawab sont courants au Pakistan où le système judiciaire est incapable de faire face au rapide accroissement de la population et à celui, parallèle, des procédures, d'où un énorme engorgement judiciaire.

Au cours de la seule année 2017, plus de 38.000 affaires étaient en attente auprès de la Cour Suprême, auxquelles s'ajoutent des centaines de milliers d'autres en attente de jugement dans des tribunaux, selon un rapport de la Commission pakistanaise des droits de l'homme rendu public en avril.

La corruption régnant au sein des forces de l'ordre signifie que les riches peuvent aisément contourner la loi, tandis la mentalité profondément patriarcale du pays place les femmes dans une situation encore plus difficile.

"Des structures de pouvoir inégalitaires permettent aux personnes avantagées -en termes d'argent ou de pouvoir- de se hisser au-dessus des lois. Pour les pauvres, le système est si lent et parfois si faible que l'on peut dire qu'il est pratiquement non-existant", estime l'avocate Benazir Jaoti, spécialisée dans les questions liées à la situation juridique et politique des femmes au Pakistan.

"Les femmes sont l'un des groupes de gens clairement désavantagés" dans ce qui est "une société patriarcale et un système patriarcal", selon elle.

Si au bout du compte le système finit par fonctionner, comme avec l'acquittement de Mme Nawab, cela s'arrête en général là et les victimes dont la vie a été mise en pièces se retrouvent avec peu ou pas d'aide pour s'en sortir.

Mme Nawab, à sa sortie de prison début avril, n'avait pas grand-chose sur quoi reconstruire sa vie. Son ancien domicile, déserté après la mort des siens, a été pillé, puis laissé à l'abandon. La police "n'a rien laissé" dans le logement, à présent en piteux état, a-t-elle constaté lorsqu'elle a finalement pu y retourner avec son avocat, qui ouvert la porte en brisant le cadenas à coups de marteau.

"J'ai perdu mes parents et à présent je ne vois aucun de leurs biens", souligne-t-elle.

Une compensation de la part de l'Etat reste hypothétique et prendra quoi qu'il en soit beaucoup de temps, note son avocat. Et Mme Nawab est pour l'heure sans emploi.

Deux décennies après son procès, elle juge les médias en partie responsables du traitement qu'elle a subi, pour l'avoir dépeinte injustement comme coupable du triple meurtre. Un téléfilm a même été réalisé sur le sujet.

Aujourd'hui encore, et bien qu'elle ait été blanchie, l'attitude du public à son égard reste hostile. Des inconnus lui font fréquemment des remarques malveillantes dans la rue, dit-elle.

"La société n'acceptera pas le verdict", admet Mohammad Farooq, avocat auprès de la Cour Suprême et Mme Nawab "ne pourra pas se débarrasser du stigmate".

Mais celle-ci se dit déterminée à tourner la page et prévoit de reprendre ses études et de trouver un emploi.

Elle envisage de venir en aide à d'autres femmes emprisonnées injustement et son avocat a promis de l'aider à créer une ONG pour leur apporter l'assistance dont elle-même n'a pu bénéficier.

"Je ne veux pas que d'autres femmes aient à endurer ce que j'ai subi", dit Asma Nawab. "Je vais porter leur voix pour elles."

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