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Communiqué du Greffier - arrêt "Bader et autres c. Suède"

communiqué de presse du 8 novembre 2005 - Cour européenne des droits de l'homme
Pays :
La Cour européenne des Droits de l'Homme a communiqué aujourd'hui par écrit un arrêt de chambre[1] dans l'affaire Bader et autres c. Suède (requête no 13284/04).



La Cour dit, à l'unanimité, que l'expulsion des requérants vers la Syrie s'analyserait en une violation de l'article 2 (droit à la vie) et de l'article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des Droits de l'Homme.



Les requérants n'ont soumis aucune demande de satisfaction équitable. (L'arrêt n'existe qu'en anglais.)



1. Principaux faits



Les requérants, Kamal Bader Muhammad Kurdi, Hamida Abdilhamid Mohammad Kanbor et leurs deux enfants mineurs, sont des ressortissants syriens nés respectivement en 1972, 1973, 1998 et 1999 et résidant en Suède.



Peu après leur arrivée en Suède en août 2002, ils présentèrent plusieurs demandes d'asile qui furent toutes rejetées, et un arrêté d'expulsion leur fut signifié.



En janvier 2004, la famille soumit une nouvelle demande d'asile à la Commission de recours des étrangers et sollicita le sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion. Ils invoquèrent une décision rendue le 17 novembre 2003 par le tribunal régional d'Alep (Syrie) par laquelle M. Bader avait été condamné par contumace à la peine de mort pour complicité de meurtre. La décision énonçait que M. Bader et son frère avaient menacé leur beau-frère à plusieurs reprises parce qu'ils estimaient que l'intéressé maltraitait leur sœur et avait déshonoré leur famille en versant une dot trop faible. En novembre 1998, le frère de M. Bader avait tué leur beau-frère après avoir planifié le meurtre avec M. Bader, lequel avait fourni l'arme. Relevant que les deux frères s'étaient enfuis, le tribunal avait ensuite déclaré : « Cette décision est rendue par contumace. [La procédure] peut être réouverte. »



M. Bader réfute ces accusations. Il allègue par ailleurs avoir été incarcéré pendant neuf mois en 1999/2000 parce qu'il était soupçonné de complicité de meurtre, et avoir été libéré sous caution.



En avril 2004, la Commission de recours des étrangers rejeta la demande d'asile des requérants. Se fondant sur des recherches menées par un avocat local engagé par l'ambassade de Suède en Syrie, elle estima que si M. Bader retournait en Syrie, la procédure à son encontre serait réouverte et l'affaire serait intégralement rejugée. S'il était condamné, la peine de mort ne serait pas prononcée contre lui étant donné qu'il s'agissait d'une « affaire d'honneur ». La Commission estima donc que les craintes des requérants n'étaient pas fondées et qu'ils n'avaient pas besoin d'être protégés.



Le 19 avril 2004, à la suite d'une indication donnée par la Cour européenne des Droits de l'Homme en vertu de l'article 39 (mesures provisoires) de son règlement, l'Office de l'immigration suspendit l'exécution de l'arrêté d'expulsion jusqu'à nouvel ordre. Le sursis à exécution est toujours en vigueur.



2. Procédure et composition de la Cour



La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l'Homme le 16 avril 2004 et déclarée recevable le 26 octobre 2004.



L'arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :



Jean-Paul Costa (Français), président,
Ireneu Cabral Barreto (Portugais),
Volodymyr Butkevych (Ukrainien),
Antonella Mularoni (Saint-marinaise),
Elisabet Fura-Sandström (Suédoise),
Danute Jočienė (Lituanienne),
Dragoljub Popović (ressortissant de la Serbie-Monténégro), juges,

ainsi que de Sally Dollé, greffière de section.



3. Résumé de l'arrêt[2]



Griefs



Selon les requérants, le premier d'entre eux, s'il était expulsé de Suède vers la Syrie, courrait un risque réel d'être arrêté et exécuté, en violation des articles 2 et 3 de la Convention.



Décision de la Cour



Articles 2 et 3



La Cour relève que le gouvernement suédois n'a obtenu aucune garantie des autorités syriennes que la procédure à l'encontre de M. Bader serait réouverte et que le procureur ne requerrait pas la peine capitale lors d'un nouveau procès. Dans ces conditions, les autorités suédoises feraient courir à M. Bader un risque grave en le renvoyant en Syrie.



La Cour estime que M. Bader est fondé à craindre que la peine de mort à son encontre soit exécutée s'il était contraint de retourner dans son pays d'origine. En outre, les exécutions étant menées dans ce pays en dehors de tout contrôle du public et sans que personne n'ait l'obligation de rendre des comptes, les circonstances entourant son exécution causeraient inévitablement à M. Bader une peur et une angoisse considérables pendant la période où lui et les autres requérants seraient en butte à une incertitude intolérable quant au moment, au lieu et aux modalités de l'exécution.



Par ailleurs, il ressort de la décision syrienne qu'à l'audience aucun témoin n'a été entendu, tous les éléments de preuve examinés ont été produits par le procureur et ni l'accusé ni même son avocat n'étaient présents. Pour la Cour, cette procédure, eu égard à sa nature sommaire et à la négation totale des droits de la défense, doit être considérée comme un déni flagrant de procès équitable. Naturellement, cela ne peut qu'ajouter aux sentiments d'incertitude et de détresse des requérants quant à l'issue de tout nouveau procès en Syrie.



A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l'infliction de la peine capitale à M. Bader à la suite d'un procès inéquitable causerait inévitablement aux requérants un supplément de crainte et d'angoisse quant à leur avenir s'ils étaient contraints de retourner en Syrie, puisqu'il existe une possibilité réelle que la sentence soit exécutée dans ce pays.



Partant, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, la Cour estime qu'il y a des raisons sérieuses de croire que M. Bader serait exposé à un risque réel d'être exécuté et soumis à un traitement contraire aux articles 2 et 3 s'il était expulsé vers son pays d'origine. Dès lors, la Cour conclut que la mesure d'expulsion des requérants vers la Syrie, si elle recevait application, emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention.



Eu égard à cette conclusion, la Cour juge inutile d'examiner la question à la lumière du Protocole no 13 (abolition de la peine de mort en toutes circonstances) à la Convention, comme le Gouvernement l'avait suggéré.



Le juge Cabral Barreto a exprimé une opinion concordante dont le texte se trouve joint à l'arrêt.



***


[1]. L'article 43 de la Convention européenne des Droits de l'Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'arrêt d'une chambre, toute partie à l'affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n'est pas le cas, le collège rejette la demande et l'arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l'expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu'elles ne demanderont pas le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre.

[2]. Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.


***



Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
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