Aimable Twahirwa
KIGALI, 28 août (IPS) - Le ministre en charge de la Justice du Rwanda, Tharcisse Karugarama, a annoncé la semaine dernière une décision prise récemment par les autorités d'examiner les moyens d'abolir la peine de mort dans l'arsenal de la législation rwandaise d'ici décembre 2006.
Selon des analystes à Kigali, la capitale rwandaise, cette information confirme que l'idée d'une loi relative à une abolition probable de la peine de mort circulait depuis longtemps dans les coulisses des décideurs politiques.
Mais, estiment les mêmes analystes, une telle loi n'est pas du goût des rescapés du génocide de 1994 au Rwanda, qui avait fait plus de 800.000 morts parmi les Tutsi et les Hutu modérés massacrés par des extrémistes hutu soutenus par le régime de l'époque.
L'opinion nationale et a société civile expriment des réticences sur l'impartialité de la justice rwandaise qui, avec une telle loi, se verrait contrainte de condamner à des peines légères des milliers de génocidaires présumés en quête d'être blanchis.
Le débat sur la suppression de la peine capitale avait déjà commencé à prendre de l'ampleur au cours des discussions sur la nouvelle constitution rwandaise votée en mai 2003. A l'époque, la majorité des participants étaient en faveur du maintien de la peine de mort pour les génocidaires.
La peine capitale existait au Rwanda avant 1994, mais aucune statistique n'est accessible aujourd'hui sur le nombre de condamnés à mort ou d'exécutés à cette période auprès des autorités judiciaires rwandaises.
Après le génocide, cette peine a été appliquée : 18 personnes ont été condamnées à mort pour génocide en 2003, et 40 autres en 2002 pour des crimes commis pendant le génocide. Ils sont environ 650 condamnés qui attendent actuellement dans le couloir de la mort, dans les prisons surpeuplées du Rwanda, selon des sources judiciaires à Kigali.
En 1997, toutefois, 21 personnes considérées comme des cerveaux du génocide, qui avaient été condamnées à la peine capitale par la justice rwandaise, ont été exécutées.
Mais les idées sur la peine de mort semblent avoir évolué depuis lors, notamment dans les milieux officiels de ce pays des Grands Lacs, en Afrique centrale.
"Malgré les séquelles du génocide, le Rwanda est un pays qui a besoin de se reconstruire de nouveau et de s'intégrer dans la réalité des normes de la justice internationale", a expliqué à IPS, Karugarama, ministre rwandais de la Justice et des Relations institutionnelles.
Selon Karugarama, l'abolition de la peine de mort constitue une autre manière de permettre à la justice rwandaise d'accueillir bientôt d'autres dossiers de génocidaires présumés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) basé à Arusha, en Tanzanie.
"Nous sommes satisfaits de l'état d'avancement des négociations avec les officiels du TPIR. Toutes les exigences préalables au transfert des dossiers ont été remplies hormis l'abolition de la peine capitale", a-t-il ajouté.
Conformément à la stratégie de fin de mandat du TPIR fixé en décembre 2008 par le Conseil de sécurité des Nations Unies, la juridiction internationale a commencé à négocier avec les juridictions nationales des pays qui ont aboli la peine de mort et pratiquent une justice équitable, avec des infrastructures modernes dont des prisons répondant aux normes internationales.
"Le Rwanda est parmi les deux seuls pays qui ont jusqu'ici émis leur souhait de recevoir des dossiers de génocidaires présumés du TPIR. Nous avons accepté cette proposition, mais nous sommes obligés de mettre en place un suivi rigoureux pour nous assurer d'abord du respect de l'application de cette loi", a déclaré à IPS, le procureur général du TPIR, Hassan Bubacar Jallow.
Selon Jallow, le seul préalable à la justice rwandaise pour recevoir des dossiers de génocidaires d'Arusha, sera de garantir d'abord qu'aucun génocidaire présumé du TPIR ne sera jamais condamné à la peine capitale.
"Nous ne voulons pas envenimer la situation pour déstabiliser le système judiciaire rwandais, mais c'est plutôt le principe de la justice internationale qui impose toutes ces conditions", a affirmé Jallow, soulignant que le Rwanda pourrait éventuellement maintenir cette peine pour d'autres prisonniers locaux.
Pour leur part, les confessions religieuses pensent que l'application de la peine de mort serait une autre manière de déshumaniser la valeur d'un individu. "Il faut reconnaître que Dieu tout puissant est le seul juge de tous. Personne d'autre n'a le droit de tuer son camarade quels que soient les termes de la loi", souligne un pasteur d'une secte populaire locale qui a requis l'anonymat.
Toutefois, malgré l'assurance exprimée par des politiciens et des organisations de défense des droits humains selon lesquels la loi sur l'abolition de la peine capitale sera bientôt adoptée et promulguée, certains observateurs avertis regrettent que les autorités s'empressent de manière prématurée dans cette voie.
De leur côté, les rescapés du génocide, réfléchissant toujours sur l'expérience macabre du passé, préfèrent des voies qui les aideraient à combattre la culture de l'impunité.
"Les génocidaires doivent être exécutés dans le but d'éradiquer à jamais la culture de l'impunité qui a toujours marqué le Rwanda. La seule solution est de les condamner à une peine grave qu'ils méritent compte tenu des actes posés", observe François Ngarambe, président de 'Ibuka' (Souviens-toi, en langue nationale Kinyarwanda, une organisation non gouvernementale de rescapés du génocide, basée à Kigali.
Des rescapés du génocide ainsi que certains médias affirment que les menaces proférées contre des rescapés par des proches ou des génocidaires eux-mêmes, ne sont pas toujours des paroles en l'air ni une simple intimidation.
"Abolir la peine de mort serait une autre manière d'humilier les rescapés et d'encourager les tueurs à achever leur plan d'extermination", affirme Jean Glauber Burasa, directeur du journal 'Rushyashya', un bimensuel indépendant paraissant à Kigali.
''Il est regrettable, même si une grande majorité d'entre eux (les génocidaires) vient de passer plus d'une décennie en prison, qu'ils persistent toujours dans une idéologie extrémiste qui leur a été inoculée par l'ancien régime génocidaire", ajoute-t-il.
Partageant la même idée, un avocat du barreau de Kigali, qui a requis l'anonymat, préfère ne pas se lancer dans un débat politique sur ce sujet. "Le crime de génocide perpétré au Rwanda a eu une répercussion néfaste dans le déchirement du tissu social. Même si la justice devait être rendue, il faudra qu'on convienne sur les avantages que va apporter cette réforme dans le système judiciaire rwandais conformément aux normes de la justice internationale", explique-t-il à IPS.
Dans un rapport publié en mai 2005 sur la réforme judiciaire en cours au Rwanda, l'association Avocats sans frontière (ASF), estime, de son côté, que pour que justice soit rendue dans ce pays, compte tenu du contentieux du génocide, la difficulté majeure ne réside pas seulement dans l'abolition de la peine de mort.
Dans ce document intitulé 'Vade Mecum - Crimes de génocide et crimes contre l'humanité devant les juridictions ordinaires du Rwanda', ASF affirme qu'il y a surtout un grand problème lié au manque de réparation pour compenser les crimes subis du côté des rescapés.
"Il n'y a pas eu véritablement de réparation pour les victimes du crime de génocide de 1994. Il faudra plutôt que les autorités rwandaises prennent leurs responsabilités pour résoudre cette question dans les délais immédiats", a déclaré à IPS, Hugo Jombwe Moudiki, chef de mission de ASF au Rwanda.
En dépit de la polémique que risque de susciter la promulgation d'une loi sur l'abolition de la peine capitale au Rwanda, certains analystes croient qu'elle ne tardera pas à être adoptée au parlement. Le processus est délicat, mais il apparaît aujourd'hui comme une ''simple démarche administrative''.