Affaire de la convention de Vienne sur les relations consulaires
(Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique)
Mesures conservatoires
La Cour demande aux Etats-Unis de prendre des mesures pour empêcher l'exécution de M. Walter LaGrand dans l'attente d'une décision définitive
LA HAYE, le 3 mars 1999. La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu ce jour une ordonnance dans laquelle elle a demandé aux Etats-Unis de «prendre toutes les mesures dont ils disposent» pour que M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant qu'elle n'aura pas rendu une décision définitive dans l'affaire que l'Allemagne a portée devant elle. M. LaGrand est un ressortissant allemand reconnu coupable d'homicide volontaire en Arizona dont l'exécution est prévue ce jour à 15 heures (heure de Phoenix).
Dans son ordonnance, adoptée à l'unanimité, la Cour a également demandé au Gouvernement des Etats-Unis de porter à sa connaissance toutes les mesures que celui-ci aura prises à cet effet. La Cour a par ailleurs enjoint au Gouvernement des Etats-Unis de transmettre l'ordonnance au gouverneur de l'Etat d'Arizona.
C'est la première fois que la Cour indique des mesures conservatoires d'office et sans autre procédure, conformément au paragraphe 1 de l'article 75 de son Règlement, qui stipule que «la Cour peut à tout moment décider d'examiner d'office si les circonstances de l'affaire exigent l'indication de mesures conservatoires que les parties ou l'une d'elles devraient prendre ou exécuter».
Au cours d'une rencontre tenue ce matin avec M. Christopher Weeramantry, vice-président de la Cour, qui exerce la présidence en l'affaire, le représentant du Gouvernement allemand a souligné l'extrême urgence de la situation et a prié la Cour d'indiquer avant toute audience et sans délai des mesures conservatoires d'office. Le représentant du Gouvernement des Etats-Unis, en revanche, a indiqué que la demande de mesures conservatoires de l'Allemagne était tardive et que les Etats-Unis auraient de fortes objections contre toute procédure qui conduirait la Cour à rendre une ordonnance d'office sans avoir entendu les Parties au préalable.
Dans les motifs de son ordonnance, la Cour indique que l'exécution de Walter LaGrand «porterait un préjudice irréparable aux droits revendiqués par l'Allemagne». Elle souligne que «la responsabilité internationale d'un Etat est engagée par l'action des organes et autorités compétents agissant dans cet Etat, quelqu'il soit» et que par suite,«le gouverneur d'Arizona est dans l'obligation d'agir conformément aux engagements internationaux des Etats-Unis».
Elle fait néanmoins remarquer que les questions portées devant elle par l'Allemagne «ne concernent pas le droit des Etats fédérés qui composent les Etats-Unis de recourir à la peine de mort pour les crimes les plus odieux» et rappelle que sa fonction est de «régler des différends juridiques internationaux entre Etats ... et non pas d'agir en tant que cour d'appel en matière criminelle».
Elle ajoute qu'il «convient que la Cour, avec la coopération des parties, fasse en sorte que toute décision sur le fond soit prise avec la plus grande célérité possible».
La Cour a établi au préalable qu'un différend existe prima facie (à première vue) entre les Parties quant à l'application de la convention de Vienne et qu'elle a compétence prima facie pour l'examiner. L'Allemagne et les Etats-Unis sont tous deux parties à la convention de Vienne et au protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends, dont l'article premier stipule que «les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice».
L'Allemagne a saisi la Cour dans la soirée du 2 mars 1999 d'un différend avec les Etats-Unis au sujet de violations alléguées de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 dans une affaire concernant MM. Karl et Walter LaGrand, tous deux de nationalité allemande.
Karl LaGrand, âgé de 35 ans, a été exécuté le 24 février 1999 pour le meurtre en 1982 d'un directeur de banque en Arizona, en dépit de tous les appels à la clémence et des nombreuses interventions diplomatiques effectuées au plus haut niveau par le Gouvernement allemand. Son frère Walter, 37 ans, doit être exécuté pour le même crime.
L'Allemagne soutient que «Karl et Walter LaGrand ont été jugés et condamnés à mort sans qu'on les ait informés de leur droit à bénéficier de l'assistance consulaire», comme l'exige la convention de Vienne. Elle affirme que ce n'est qu'en 1992 que les fonctionnaires consulaires allemands ont été avisés de l'affaire en question, non par les autorités de l'Etat d'Arizona, mais par les détenus eux-mêmes. L'Allemagne ajoute que «la notification requise n'ayant pas été faite, elle s'est trouvée dans l'impossibilité de protéger les intérêts de ses ressortissants aux Etats-Unis tant au procès que lors de la procédure d'appel introduite devant les tribunaux de cet Etat».
En conséquence, l'Allemagne a prié la Cour de dire et juger que les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques internationales au regard de la convention de Vienne, que la responsabilité criminelle attribuée à Karl et Walter LaGrand en violation d'obligations juridiques internationales est nulle et qu'elle doit être reconnue comme nulle par les autorités judiciaires des Etats-Unis, que les Etats-Unis doivent réparation, sous la forme d'une indemnisation ou de satisfaction, pour l'exécution de Karl LaGrand et qu'ils doivent restaurer le statu quo ante dans le cas de Walter LaGrand, c'est-à-dire rétablir la situation qui existait avant les actes de détention, de poursuite, de déclaration de culpabilité et de condamnation de ce ressortissant allemand. L'Allemagne demande également à la Cour de déclarer que les Etats-Unis doivent lui donner la garantie que de tels actes illicites ne se reproduiront pas.
Le vice-président de la Cour exerce la présidence en l'affaire, le président, M. Schwebel (Etats-Unis), étant un ressortissant de l'une des Parties.
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La Cour était composée comme suit: M. Weeramantry, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire; M. Schwebel, président; MM. Oda, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Valencia-Ospina, greffier.
M. Oda, juge, a joint une déclaration à l'ordonnance. M. Schwebel, président, a joint une opinion individuelle.