Cour de cassation - chambre criminelle
Audience publique du jeudi 27 mai 1999
N° de pourvoi: 99-81593
Non publié au bulletin Rejet
Président : M. GOMEZ, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- EINHORN Ira Samuel,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de BORDEAUX, en date du 18 février 1999, qui, dans la procédure suivie contre lui à la demande des autorités des ETATS-UNIS d'AMERIQUE, a donné un avis favorable ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 14 de la loi du 10 mars 1927, des articles 592 et 593 du Code du procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a été rendu par une chambre d'accusation dans une composition différente de celle en laquelle elle avait siégé lors de l'audience du 1er décembre 1998 au cours de laquelle il avait été procédé à l'interrogatoire prévu par l'article 14 de la loi du 10 mars 1927 ;
"alors qu'il résulte des prescriptions de l'article 592 du Code de procédure pénale que sont déclarés nuls les arrêts rendus par les juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences au cours desquelles l'affaire a été instruite, plaidée et jugée ; qu'en matière extraditionnelle la composition de la chambre d'accusation doit être identique lors des audiences consacrées à l'interrogatoire prévu par l'article 14 de la loi du 10 mars 1927, aux débats et au prononcé de l'arrêt ; qu'en l'espèce, M. le conseiller Cabrol n'a pas siégé lors de l'audience du 1er décembre 1998 au cours de laquelle Ira Einhorn a été interrogé conformément aux dispositions de l'article 14 de la loi du 10 mars 1927 ; que, dès lors, la décision attaquée ne répond pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale et doit être annulée" ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que l'interrogatoire prévu par l'article 14 de la loi du 10 mars 1927 puis les débats, ont eu lieu devant les mêmes magistrats que ceux ayant participé au délibéré et que, lors du prononcé de la décision, il a été fait usage de la faculté prévue par l'article 199, alinéa 4 du Code de procédure pénale, dont les dispositions sont applicables lorsque la chambre d'accusation statue en matière d'extradition ;
Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 17 de la loi du 10 mars 1927 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement américain à l'égard d'Ira Einhorn à la suite d'une précédente demande relative aux mêmes faits et ayant donné lieu à un avis défavorable de la chambre d'accusation ;
"aux motifs, qu' il est de principe que l'article 17 de la loi du 10 mars 1927, selon lequel l'avis défavorable est définitif, signifie seulement que le gouvernement ne peut passer outre ; qu'il ne fait pas obstacle à une nouvelle saisine de la chambre d'accusation pour les mêmes faits contre la même personne lorsque le gouvernement est lui même saisi d'une nouvelle demande fondée sur des éléments qui, survenus ou révélés depuis la demande précédente, permettent une appréciation différente des conditions de l'extradition ; que, l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1998 dans l'Etat de Pennsylvanie constitue un élément nouveau qui permet l'examen par la chambre d'accusation de la nouvelle demande d'extradition d'lra Einhorn ;
"alors qu'il résulte de l'article 17 de la loi du 10 mars 1927, que la chambre d'accusation, qui a émis un avis défavorable sur une demande d'extradition, est dessaisie par sa décision et ne peut être appelée, sauf en cas de fait nouveau, à formuler un nouvel avis sur la même demande d'extradition portant sur les mêmes faits, quels que soient les textes invoqués dans la nouvelle requête, fût-ce en cas de modification d'un texte ; que, dès lors, en l'espèce, en énonçant que la nouvelle loi américaine du 27 janvier 1998 constituait un élément nouveau permettant le dépôt d'une nouvelle demande d'extradition, la cour d'appel a violé les dispositions du texte susvisé" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 16 de la loi du 10 mars 1927 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable avec réserves à la demande d'extradition présentée par le gouvernement américain à l'égard de Ira Einhorn à la suite d'une précédente décision relative aux mêmes faits et ayant donné lieu à un avis défavorable de la chambre d'accusation ;
"aux motifs qu'un avis favorable à la demande d'extradition d'lra Einhorn devra être assorti de la réserve que la peine de mort ne soit pas requise et qu'en cas de nouvelle condamnation, elle ne soit pas exécutée si elle était prononcée ;
que, nonobstant les dispositions nouvelles de la loi de l'Etat de Pennsylvanie du 27 janvier 1998, un avis favorable devra nécessairement être assorti de la réserve qu'lra Einhorn bénéficiera effectivement d'un nouveau procès équitable s'il en fait la demande à son retour dans l'Etat de Pennsylvanie conformément à la loi de cet Etat du 27 janvier 1998 et qu'il bénéficiera de toutes les voies de recours offertes par l'Etat requérant contre les décisions à intervenir ;
"alors d'une part, qu' en vertu de l'article 16 de la loi du 10 mars 1927, I'avis de la chambre d'accusation est défavorable si la Cour estime que les conditions légales ne sont pas remplies ; que, dès lors, en l'espèce, en émettant le 18 février 1999 un avis favorable à l'extradition d'Ira Einhorn, tout en l'assortissant de réserves tendant à ce que la peine de mort ne soit ni requise ni exécutée et qu'Ira Einhorn puisse bénéficier effectivement d'un nouveau procès équitable s'il en fait la demande à son retour dans l'Etat de Pennsylvanie, la chambre d'accusation a méconnu les dispositions du texte susvisé et excédé ses pouvoirs ;
"alors, d'autre part, que la chambre d'accusation ne pouvait énoncer qu'il était établi par les pièces du dossier que la peine de mort ne serait pas prononcée dans cette affaire et que la nouvelle loi du 27 janvier 1998 permettait au condamné jugé en son absence de bénéficier d'un nouveau procès et émettre néanmoins deux réserves sur ces questions, sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs la privant des conditions essentielles de son existence légale" ;
Les moyens étant réunis;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 18 juillet 1997, les autorités des Etats-Unis d'Amérique ont présenté une première demande d'extradition d'Ira Einhorn pour l'exécution d'un mandat d'amener décerné dans une procédure suivie contre lui pour meurtre aggravé et d'un jugement du tribunal de Philadelphie l'ayant condamné de ce chef à la réclusion criminelle à perpétuité ; que, par arrêt en date du 4 décembre 1997 devenu définitif, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux a émis un avis défavorable à cette demande au motif que la législation de l'Etat requérant n'offrait pas à la personne réclamée, condamnée par contumace, la possibilité d'obtenir un nouveau jugement de l'affaire ; qu'à la suite de cette décision, l'Etat de Pennsylvanie a adopté des dispositions, entrées en vigueur le 27 janvier 1998, ouvrant à toute personne condamnée à l'issue d'un procès tenu en son absence et réfugiée dans un pays refusant son extradition en raison du caractère inéquitable d'un tel procès, le droit de faire juger à nouveau l'affaire, à condition qu'elle en fasse la demande et que " le pays étranger concerné accepte de l'extrader en vertu de ces dispositions" ; qu'après l'adoption de ce texte, les autorités américaines ont, le 2 juillet 1998, renouvelé leur demande d'extradition ;
Attendu qu'après avoir rejeté l'exception de chose jugée soulevée par Ira Einhorn en retenant que l'entrée en vigueur des dispositions précitées constituait un élément nouveau permettant de procéder à un nouvel examen de la demande d'extradition, la chambre d'accusation a émis un avis favorable à celle-ci sous réserve, d'une part, que l'intéressé bénéficie "effectivement d'un nouveau procès s'il en fait la demande à son retour dans l'Etat de Pennsylvanie conformément à la loi du 27 janvier 1998" et, d'autre part, que la peine de mort ne soit pas requise et que, si elle était prononcée, elle ne soit pas exécutée ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, l'article 17 de la loi du 10 mars 1927 signifie seulement que le gouvernement ne peut passer outre à un avis défavorable ; que cet article ne fait pas obstacle à une nouvelle saisine de la chambre d'accusation pour les mêmes faits contre la même personne, lorsque le gouvernement est lui-même saisi d'une nouvelle demande fondée sur des éléments qui, survenus ou révélés depuis la demande précédente permettent une appréciation différente des conditions légales de l'extradition ; que tel est le cas, lorsque, comme en l'espèce, est intervenue une modification dans la législation de l'Etat requérant levant un obstacle à l'extradition ;
Que, par ailleurs, en donnant un avis favorable sous les réserves précitées, la chambre d'accusation n'a méconnu aucun texte légal ou conventionnel ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 16 de la loi du 10 mars 1927, 112-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement américain à l'égard d'Ira Einhorn à la suite d'une précédente demande relative aux mêmes faits et ayant donné lieu à un avis défavorable de la chambre d'accusation ;
"aux motifs que, si l'article 112-3 du Code pénal prévoit que les lois relatives à la nature et aux cas d'ouverture des voies de recours ainsi qu'aux délais dans lesquels elles doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur, il convient de relever que l'ouverture d'une voie de recours nouvelle à un prévenu constitue une disposition plus favorable qui doit trouver application immédiate ; que, dès lors, les dispositions de la loi du 27 janvier 1998 ne contreviennent pas à l'ordre juridique français qui admet la rétroactivité de dispositions pénales moins sévères que les dispositions anciennes ;
"alors que, le principe de la rétroactivité de la loi in mitius s'applique aux seules lois d'incrimination et de pénalité, au sens de l'article 112-1 du Code pénal ; qu'en revanche, il résulte de l'article 112-3 du même Code que les lois relatives à la nature et aux cas d'ouverture des voies de recours et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont applicables aux seuls recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur, peu important le caractère favorable ou non de leurs dispositions ; que, dès lors, en l'espèce, I'application immédiate et rétroactive de la loi du 27 janvier 1998 ouvrant un nouveau recours, au jugement de condamnation d'Ira Einhorn en date du 23 septembre 1993, contrevient à l'ordre juridique français qui n'admet pas la rétroactivité de la loi nouvelle relative aux cas d'ouverture des voies de recours ; qu'en énonçant le contraire, la chambre d'accusation a violé les articles susvisés en sorte que sa décision se trouve privée des conditions essentielles de son existence légale" ;
Attendu que le moyen revient à critiquer les motifs de l'arrêt qui se rattachent directement et servent de support à l'avis de la chambre d'accusation sur la suite à donner à la demande d'extradition ;
Qu'il est, dès lors, irrecevable en application de l'article 16 de la loi du 10 mars 1927 ;
Et attendu que l'arrêt a été rendu par une chambre d'accusation compétente et régulièrement composée; que la procédure est régulière ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux du 18 février 1999
Titrages et résumés : (sur le deuxième moyen) EXTRADITION - Chambre d'accusation - Avis défavorable - Nouvelle demande - Eléments nouveaux - Possibilité.
Textes appliqués :
* Loi 1927-03-10 art. 17