OTTAWA — Pour la deuxième fois en autant de jours, le ministre d'Etat aux Affaires étrangères, Peter Kent, a insulté les partis d'opposition et tous ceux qui luttent pour l'abolition de la peine de mort en leur reprochant d'être plus sensibles aux souffrances des meurtriers qu'à celles des victimes et de leurs familles.
M. Kent, qui est responsable des dossiers touchant les Amériques, a fait cette déclaration vendredi alors qu'il était interrogé sur le cas de Ronald Allen Smith, un Canadien qui se trouve dans le couloir de la mort au Montana pour le meurtre de deux autochtones, au début des années 1980.
Les conservateurs ont mis fin l'an dernier à deux décennies d'efforts pour qu'il soit gracié, sous prétexte qu'il avait été condamné au terme d'un procès équitable dans un Etat de droit.
Indignés par ce changement d'attitude inexpliqué, le Parti libéral, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique ont tous écrit au gouverneur de l'Etat, Brian Schweitzer, pour demander à ce que sa peine soit commuée en emprisonnement à perpétuité.
Ils ont aussi soutenu moralement la cause de M. Smith, qui contestait la nouvelle politique du gouvernement devant les tribunaux, et à qui la Cour fédérale a donné raison plus tôt cette semaine, dans un jugement sans équivoque.
On ne sait pas encore si les conservateurs iront en appel de la décision qui leur ordonne entre autres de recommencer à soutenir le seul condamné à mort canadien aux Etats-Unis. Ni le ministre de la Justice, ni celui des Affaires étrangères n'ont répondu aux questions sur ce sujet.
Quant à M. Kent, il semble trouver que ses adversaires politiques mènent le mauvais combat. "Ce serait bien si les partis d'opposition étaient aussi préoccupés et démontraient autant de compassion pour les victimes et leurs familles que pour les auteurs de crimes", a-t-il argué en Chambre.
Ces commentaires du ministre d'Etat ont fait sortir de ses gonds l'ancien ministre de la Justice du Québec et député bloquiste, Serge Ménard, qui les a qualifiés de grossiers. Selon lui, la démagogie des conservateurs confine à "l'imbécillité pure et simple".
"Vous ne croyez pas qu'il est allé un peu fort en prétendant que si nous demandons que la peine de mort ne soit pas appliquée aux Canadiens ailleurs dans le monde, c'est parce que nous n'avons pas de sympathie pour les victimes? Je trouve ça odieux", a déclaré M. Ménard, à l'issue de la période des questions.
" Je trouve ça odieux aussi pour l'ensemble des gens qui dans le monde ont lutté pour l'abolition de la peine de mort parce qu'ils ont estimé que c'était un geste barbare que de tuer un autre être humain quel qu'il soit, de le tuer de sang froid après avoir planifié."
L'organisation Amnistie internationale a, pour sa part, rappelé que le gouvernement Harper n'en était pas à une incongruité près dans le dossier de la peine de mort.
Leur nouvelle politique, dévoilée par les médias à l'automne 2007, a créé une justice "asymétrique", "à la tête du client" et "sans critères précis" qui a considérablement nui à l'image internationale du Canada, a fait valoir la porte-parole Anne Sainte-Marie en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.
"Se soucier que la justice soit rendue et qu'il n'y ait pas une autre injustice qui soit commise n'est en rien un geste contre les victimes. Au contraire, les abolitionnistes prennent toujours la peine de souligner qu'ils sont extrêmement sensibles à la peine des familles qui ont perdu quelqu'un dans un crime violent", a-t-elle insisté.
Selon elle, le gouvernement se cache derrière des arguments "irrecevables" pour éviter de répondre au jugement et de respecter leurs obligations légales.
Ironiquement, il est possible que M. Smith échappe à l'injection létale sans l'aide du gouvernement canadien. Le Sénat du Montana s'est en effet prononcé le mois dernier en faveur de l'abolition de la peine de mort, qui serait remplacée par l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.
La Chambre des représentants de l'Etat doit voter sur la même question le mois prochain. Si elle est adoptée, la nouvelle loi s'appliquerait de manière rétroactive et toucherait donc Ronald Allen Smith ainsi qu'un autre détenu condamné comme lui à la peine capitale.
Le Montana est l'un des 36 Etats américains où la peine de mort est toujours en vigueur. Trois personnes y ont été exécutées depuis 1976.