Monsieur le Président,
Madame la Présidente du Parlement suisse,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Cher Maître Badinter,
C'est avec un grand plaisir que je prends la parole devant vous aujourd'hui à l'occasion de ce quatrième Congrès mondial contre la peine de mort, qui marque une étape supplémentaire dans nos efforts communs à vouloir convaincre l'humanité que la peine de mort n'est plus de notre temps.
Je dis étape supplémentaire, car cet effort entamé depuis quelques années porte ses fruits. J'en veux pour preuve le récent cheminement aux Nations Unies. D'abord en décembre 2006 par la déclaration solennelle de 85 Etats membres des Nations Unies à la tribune de l'Assemblée générale. Puis les résolutions 62/149 et 63/168 qui constituent un succès majeur puisqu'elles ont permis de se rendre à l'évidence : l'abolition de la peine de mort est bien un trend, une tendance qui se renforce d'année en année, avec un nombre croissant de pays qui rejoignent la liste des Etats – aujourd'hui plus de 140 - qui ont renoncé à la peine de mort et qui, comme nous tous, estiment que l'application de la sentence capitale constitue une violation des droits de l'homme, et un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Je dis convaincre l'humanité, car c'est bien l'exercice qui doit être le nôtre. Dans nos contacts bilatéraux, à l'ONU, dans les enceintes régionales et internationales, dans les médias, dans les écoles, nous avons la responsabilité de plaider la cause de l'abolition de la peine de mort, dans le respect et avec dignité, mais également avec conviction. Pour ce faire, nous devons développer ensemble une stratégie commune pour sensibiliser l'opinion publique internationale, les parlementaires, les officiels, et le pouvoir judiciaire dans les pays rétentionnistes pour les faire évoluer dans leur approche.
Je ne peux que souligner l'importance des associations, ONG, membres de la société civile, ainsi que les médias dans leur rôle d'incitateur au débat et au dialogue. Réfléchir aux conditions de la peine de mort, c'est déjà un pas en avant puisque le débat sur la peine capitale est lancé. De mon point de vue, une manière adéquate pour créer un sentiment d'appropriation par les régions concernées, c'est de constituer des coalitions régionales.
Je me félicite des diverses initiatives qui existent déjà en la matière. Ainsi, l'excellente initiative du Ministère espagnol des Affaires étrangères, qui avec Casa Arabe, a organisé en juillet dernier un séminaire portant sur un moratoire global dans les pays arabes. J'appelle de mes vœux que d'autres initiatives de ce genre se multiplient dans toutes les régions du monde pour lancer ou relancer les débats nationaux et éclairer ainsi l'opinion publique.
Très souvent, les Etats rétentionnistes mettent en avant que la question de savoir s'il convient de maintenir ou d'abolir la peine de mort devrait être soigneusement examinée par chaque Etat, en prenant pleinement en considération les sentiments de son peuple et sa situation en matière de criminalité et de politique criminelle. Je dis dans ce contexte que rien ne s'oppose à faire preuve de curiosité, d'ouverture sur l'autre, par exemple en allant observer ce qui se fait ailleurs, dans d'autres pays, dans d'autres régions, voire même pour s'en inspirer si l'expérience des autres pays est positive.
Je tiens ainsi à féliciter plus particulièrement les pays qui ont démontré leur courage politique en renonçant à la peine de mort. Permettez-moi de citer ici la Mongolie, le Burundi et le Togo, mais également le Kenya et le Ghana. J'exprime aussi l'espoir de voir le débat prendre racine aux Etats-Unis en s'inspirant de ceux des états fédérés – comme le Nouveau Mexique - qui ont abandonné le recours à la sentence capitale. J'espère que les paroles sages du Président Bill Clinton qui, en 2009, disait que les Etats-Unis devaient guider par la force de son exemple et non pas par l'exemple de sa force puissent trouver un terrain fertile en matière de l'abolition de la peine de mort.
J'observe avec attention que la Cour suprême de Chine a publié de nouvelles règles pour limiter l'usage de la peine de mort. Il faut espérer que ceci n'est qu'un petit pas vers l'abolition de la peine de mort dans ce pays qui, en 2008, a exécuté 1718 personnes, c'est-à-dire 33 par semaine.
Je me félicite de constater que le Parlement ukrainien s'est opposé à la réintroduction de la peine de mort et que le Parlement du Kirghizstan a approuvé le second Protocole optionnel du Pacte international des droits civils et politiques.
Je m'inquiète cependant devant le fait que certains pays procèdent encore à l'exécution de mineurs ou de personnes atteintes de troubles mentaux, ou pour leur appartenance ethnique, religieuse, pour adultère, voire leur orientation sexuelle. Permettez-moi de dire que je reste scandalisé par cette manière de procéder, comme je le suis d'ailleurs devant la barbarie que constitue la lapidation, notamment en Iran ou en Somalie.
La peine de mort touche directement au droit à la vie. Il m'est inconcevable que l'Autorité publique, qui assume la responsabilité particulière de garantir de manière ultime les droits de l'homme de chaque personne, puisse retirer la vie des personnes qu'elle est censée protéger. Le respect du droit à la vie passe devant le pouvoir punitif de l'Etat. Il s'agit bien d'une certaine conception de l'homme et de la justice, de la foi en la dignité inhérente à chaque être humain et en l'inviolabilité de la personne humaine.
En outre, les erreurs judiciaires deviennent irréparables avec l'application de la sentence capitale. Madame Bianca Jagger vient de nous exposer des témoignages émouvants à l'instant. Maître Robert Badinter a investi toute son énergie et toute sa conviction pour le prouver.
La peine capitale n'est pas un facteur déterminant dans la baisse de la criminalité ou de l'insécurité. Il n'a jamais été prouvé que la sentence capitale soit plus dissuasive que d'autres formes de châtiment. Il faut tout simplement garantir que tout crime soit puni. Pendre, exécuter, électrocuter, administrer du poison à un être humain, c'est tout simplement le supprimer, ce n'est pas le punir ! Ne laissons pas l'instinct prendre le dessus sur la raison.
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de saluer les organisateurs de ce Congrès, les membres d'associations qui œuvrent sans relâche pour notre cause commune, sans oublier les défenseurs des droits de l'homme qui, dans des conditions parfois extrêmement difficiles, font campagne sur le terrain avec pour objectif de créer un mouvement de conscience très large. Qu'ils puissent compter sur nous, sur notre soutien, sur notre engagement à aller de l'avant avec eux. L'abolition universelle demeure notre objectif final. Mettons tout en œuvre pour qu'un jour, nous puissions être fier de cette avancée pour l'humanité toute entière.
Je vous remercie.