Communiqué du Greffier
DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ
AL-SAADOON & MUFDHI c. ROYAUME-UNI
Une chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré partiellement recevable la requête introduite le 22 décembre 2008 dans l'affaire Al-Saadoon & Mufdhi c. Royaume-Uni (requête no 61498/08). Le fond de l'affaire sera examiné ultérieurement.
Accusés d'avoir participé au meurtre de deux soldats britanniques peu après l'invasion de l'Irak en 2003, les requérants ont été remis aux autorités irakiennes par les autorités britanniques en décembre 2008. Ils se plaignent de ce transfert et allèguent être exposés à un risque réel de procès inéquitable suivi d'une exécution par pendaison.
Les requérants, Faisal Attiyah Nassar Khalaf Hussain Al-Saadoon et Khalef Hussain Mufdhi, sont des ressortissants irakiens nés respectivement en 1952 et en 1950. Tous deux sont des musulmans sunnites originaires du sud de l'Irak et d'anciens hauts responsables du parti Baath. Ils sont actuellement détenus à la prison de Rusafa, près de Bagdad.
Après l'invasion de l'Irak le 20 mars 2003, ils furent arrêtés par les forces britanniques et détenus dans un centre de détention administré par les Britanniques, « pour des motifs impérieux de sécurité ». Leurs avis de placement en détention indiquaient qu'ils étaient soupçonnés d'avoir été de hauts responsables du parti Baath sous l'ancien régime et d'avoir orchestré les violences contre les forces de la coalition.
En octobre 2004, au terme d'une enquête sur le décès de deux soldats britanniques (le sergent-chef Cullingworth et le sapeur Allsopp), la Section spéciale d'enquêtes de la Police militaire royale du Royaume-Uni conclut qu'un certain nombre d'éléments indiquaient que les requérants avaient participé à l'embuscade dans laquelle les deux hommes avaient été tués, le 23 mars 2003, dans le sud de l'Irak.
Le 16 décembre 2005, les autorités britanniques décidèrent de renvoyer les requérants, accusés de meurtre, devant les juridictions pénales irakiennes. Le 18 mai 2006, un mandat d'arrêt fut émis à leur encontre en vertu du code pénal irakien. Une ordonnance autorisant leur maintien en détention par l'armée britannique à Bassora fut également prononcée. Les affaires furent ensuite déférées au tribunal pénal de Bassora, qui considéra que les faits dont étaient accusés les requérants étaient constitutifs de crimes de guerre, et relevaient donc de la compétence du Tribunal spécial irakien (« TSI »), un tribunal créé en droit national irakien pour juger les nationaux et les résidents irakiens accusés de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre relativement à des faits commis entre le 17 juillet 1968 et le 1er mai 2003 et pour imposer des sanctions conformes au droit irakien, y compris la peine de mort, réintroduite dans le code pénal irakien en août 2004. Le 27 décembre 2007, le TSI demanda officiellement aux forces britanniques de lui transférer la garde des requérants. Il renouvela ses demandes à cet effet jusqu'en mai 2008.
Le 12 juin 2008, les requérants intentèrent une action judiciaire en Angleterre pour contester, notamment, la légalité de leur transfert. La cause fut entendue par la Divisional Court. Le 19 décembre 2008, celle-ci déclara légal le transfert envisagé. Selon elle, puisque les requérants étaient détenus dans un centre de détention militaire britannique, ils relevaient de la juridiction du Royaume-Uni aux termes de l'article 1 (obligation de respecter les droits de l'homme) de la Convention européenne des droits de l'homme même si cette détention reposait depuis le 18 mai 2006 sur une ordonnance du tribunal pénal irakien ; cependant, en droit international public, le Royaume-Uni était tenu de remettre les requérants à moins que des éléments concrets n'indiquent que l'Etat d'accueil avait l'intention de les soumettre à un traitement tellement sévère qu'il constituerait un crime contre l'humanité. La Divisional Court estima que les éléments qui lui avaient été présentés étaient loin d'établir qu'il existait des motifs sérieux de croire que les intéressés courraient, en cas de transfert, un risque réel de faire l'objet d'un procès manifestement inéquitable ou d'être soumis à la torture et/ou à des traitements inhumains ou dégradants. Enfin, elle considéra qu'il y avait un risque réel que la peine de mort – contraire au Protocole no 13 (abolition de la peine de mort) à la Convention, entré en vigueur pour le Royaume-Uni en février 2004 – soit appliquée si les requérants étaient remis aux autorités irakiennes, mais que le droit international n'interdisait pas la peine de mort en tant que telle.
Les requérants interjetèrent appel de cette décision devant la Court of Appeal, qui rejeta leur recours le 30 décembre 2008. Tout en admettant que les intéressés étaient exposés au risque réel d'être exécutés, elle estima que, puisqu'ils étaient détenus dans un autre Etat souverain, ils ne relevaient pas de la juridiction du Royaume-Uni, qui n'avait donc pas de pouvoir discrétionnaire propre pour les détenir, les libérer ou les remettre, mais agissait simplement à la demande et sur l'ordre du TSI, et était tenu de les lui remettre en vertu des accords anglo-irakiens. Les juges considérèrent qu'en toute hypothèse, même si les requérants avaient relevé de la juridiction du Royaume-Uni, la peine de mort n'était pas contraire au droit international, et que rien n'indiquait que leur transfert donnerait lieu à un crime contre l'humanité ou à de la torture. Ils conclurent que dans ces conditions, l'obligation qu'avait le Royaume-Uni de respecter la souveraineté irakienne et de transférer les intéressés devait l'emporter.
Immédiatement après cette décision, les requérants demandèrent à la Cour européenne des droits de l'homme d'indiquer aux autorités britanniques une mesure provisoire en vertu de l'article 39 de son règlement afin d'empêcher qu'elles ne procèdent au transfert. Le 30 décembre 2008, la Cour indiqua au Gouvernement britannique que les requérants ne devaient être ni éloignés ni transférés jusqu'à nouvel ordre. Le lendemain, le Gouvernement informa la Cour que, principalement en raison du fait que le mandat de l'ONU autorisant les forces britanniques à arrêter, détenir et emprisonner des individus en Irak expirerait le 31 décembre 2008 à minuit, il ne pouvait, exceptionnellement, appliquer la mesure indiquée par la Cour. Le Gouvernement informa la Cour que les requérants avaient été remis aux autorités irakiennes plus tôt dans la journée.
Le 16 février 2009, la Chambre des Lords refusa de connaître du recours formé devant elle par les requérants.
Le procès des requérants devant le TSI a commencé le 11 mai 2009. S'ils sont condamnés, ils auront 28 jours à compter de la date du verdict pour faire appel.
Invoquant les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) et 6 (droit à un procès équitable) de la Convention et l'article 1 du Protocole no 13 (abolition de la peine de mort), les requérants dénoncent leur transfert aux mains des autorités irakiennes. Sur le terrain des articles 13 (droit à un recours effectif) et 34 (droit de recours individuel), ils se plaignent également du fait qu'ils ont été remis aux autorités irakiennes malgré la mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l'article 39 de son règlement.
Sur la question préliminaire de la juridiction, la Cour européenne des droits de l'homme considère que les autorités du Royaume-Uni exerçaient sur le centre où étaient détenus les requérants un contrôle total et exclusif, d'abord par l'exercice de la force militaire, ensuite juridiquement. Elle conclut donc que les intéressés relevaient de la juridiction du Royaume-Uni jusqu'à leur remise aux autorités irakiennes, le 31 décembre 2008.
La Cour considère également que les griefs des requérants selon lesquels, au moment de leur transfert, il y avait des motifs sérieux de croire qu'ils étaient exposés à un risque réel de faire l'objet d'un procès inéquitable devant le TSI suivi d'une exécution soulève de graves questions de fait et de droit dont la complexité requiert un examen au fond. Les griefs tirés des articles 2, 3 et 6 de la Convention et 1 du Protocole no 13 sont donc déclarés recevables. La question de la recevabilité des griefs tirés des articles 13 et 34, qui est étroitement liée aux griefs eux-mêmes, est jointe au fond de l'affaire.
En revanche, les griefs relatifs aux mauvais traitements et/ou aux exécutions extrajudiciaires à la prison de Rusafa sont déclarés irrecevables, les requérants n'ayant pas épuisé les voies de recours internes devant les juridictions britanniques1.