Historique du débat parlementaire depuis 1791 sur l'abolition de la peine de mort
ANNEXE I - au rapport présenté à l'Assemblée nationale sur le projet de loi sur l'abolition de la peine de mort
(Journal Officiel)
LE RAPPEL HISTORIQUE
A. - TROIS GRANDES DATES MARQUENT PRINCIPALEMENT L'HISTOIRE DU DEBAT SUR LA PEINE DE MORT, AVANT SA REPRISE CES DERNIERES ANNEES : 1791, 1848 ET 1906-1908.
Devant l'Assemblée nationale constituante, le problème de la peine de mort, évoqué par de nombreux cahiers de doléances, est longuement traité lors de la discussion du projet de Code pénal. Les travaux de Beccaria sont présents dans les esprits, et dans son rapport, Le Pelletier de Saint-Fargeau plaide pour l'abolition, au nom de l'inefficacité de la peine de mort. Dans le débat, sont particulièrement marquantes les interventions de Prugnon, favorable au maintien de la peine capitale, nécessaire à ses yeux pour deux motifs, l'exemplarité et l'inefficacité du cachot, et celles de Robespierre et Duport, favorables à l'abolition. Robespierre prêche l'abolition en voulant prouver que la peine de mort est essentiellement injuste; qu'elle n'est pas la plus "réprimante" des peines et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle ne les prévient; la peine de mort de surcroît n'est pas nécessaire, et la meilleure preuve en est que certains peuples l'ont supprimée sans en éprouver de désagrément. Finalement, l'Assemblée décide le maintien de la peine de mort, mais d'une part abolit la torture comme mode d'exécution des peines criminelles et, d'autre part, réduit de cent quinze à trente-deux les cas possibles de la peine de mort. (Ont notamment été éliminés de la liste des crimes capitaux les attentats contre les bonnes moeurs, les troubles apportés publiquement à l'exercice d'un culte religieux, les atteintes portées à la propriété des citoyens par dégâts, larcins ou simples vols).
La Convention vit échouer plusieurs tentatives d'abolition : motion de Condorcet proposant l'abolition pour tous les délits privés en 1793, propositions également de Collot d'Herbois, Champein-Aubin.
La terreur passée, la tentation abolitionniste renaît - mais elle restera sans effet; la Convention est prise en effet entre deux impératifs contraires conserver l'arme suprême pour le maintien de la Révolution, et abolir la peine de mort qui lui paraît témoigner d'un esprit aussi rétrograde que celui de la royauté. Pour satisfaire ces désirs contradictoires, à sa dernière séance, la Convention décide l'abolition de la peine de mort "à dater du jour de la publication de la paix générale" (décret du 14 brumaire An IV).
Le Consulat puis l'Empire feront litière des idées abolitionnistes, et au lendemain de la proclamation de la paix générale, la loi du 8 nivôse An X maintient provisoirement la peine de mort, le droit de faire grâce étant toutefois prévu par le sénatus-consulte du 16 thermidor An X, droit attribué au Premier Consul (depuis lors, jamais le principe du droit de grâce accordé au chef de l'Etat - quel que soit le régime constitutionnel n'a été sérieusement discuté).
Le Code pénal de 1810 maintient la peine de mort et en étend même un peu le domaine d'application (39 cas) ; la peine de mort reparaît notamment contre les voleurs qui réunissent cinq circonstances aggravantes.
Il faut attendre la Révolution de 1830 pour voir renaître la controverse. De nombreuses propositions de loi abolitionnistes sont déposées, et notamment celle de Destutt de Tracy le 17 août 1830, suivie du vote par la Chambre des députés d'une Adresse au Roi demandant l'abolition.
La discussion du projet de modification du Code pénal aboutit à la loi du 28 avril 1832, qui réalise une abolition partielle par la suppression de neuf cas passibles de la peine capitale (complot sans attentat, fausse monnaie, contrefaçon des sceaux de l'Etat, certains incendies volontaires, vol avec circonstances aggravantes notamment) et par la généralisation des circonstances atténuantes, réforme dont l'importance s'avéra capitale. De nouveaux débats ont lieu en 1838, marqués par les interventions de Lamartine. Sa pathétique intervention fut sans résultat immédiat, mais ses efforts devaient aboutir dix ans après. En effet, deux jours après la proclamation de la Deuxième République, un décret du Gouvernement provisoire abolit la peine de mort en matière politique; l'Assemblée se prononce quelques mois plus tard lors du débat constitutionnel elle adopte l'article 5 du projet de Préambule confirmant l'abolition en matière politique (le chiffre des crimes capitaux tomba donc à quinze) ; mais elle rejette plusieurs amendements tendant à une abolition totale. Victor Hugo fait une solennelle intervention ("La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie") il stigmatise les prétentions de l'homme à s'attribuer les prérogatives divines pour prononcer une peine "irrévocable, irréparable et indissoluble". Les abolitionnistes rappellent également que la justice est faillible, que le criminel est amendable et qu'une transformation radicale de son âme n'est jamais exclue. Les partisans de la peine de mort invoquent, quant à eux, les traditionnels arguments d'intimidation du criminel et de protection de la société. Le résultat du scrutin est net : 498 voix contre l'abolition, 216 pour.
D'autres propositions abolitionnistes furent rejetées par l'Assemblée : celle de Savatier-Laroche en 1849 et celles de Scboelcher et Raspail en 1851.
Sous le Second Empire, l'opposition républicaine inséra dans son programme la lutte contre la peine de mort. En 1865, Jules Favre essaya de faire voter par le Corps législatif une Adresse à l'Empereur lui recommandant de proposer l'abolition. Jules Favre attaqua le "compromis de 1832", à savoir la peine de mort réduite à quelques cas dans la loi, et réduite à des cas encore plus rares dans la pratique grâce aux réponses du jury sur les circonstances atténuantes. Ou la peine capitale est légitime, disait Jules Favre, ou elle ne l'est pas ; si elle ne l'est pas, qu'on la supprime officiellement, mais qu'on n'en charge pas le jury qui n'a ni l'autorité ni la responsabilité de la loi. L'orateur rappela en faveur de sa thèse l'inefficacité de l'échafaud et les exigences des sentiments religieux. Il n'eut pas plus de succès que ses prédécesseurs, et, en 1870, Jules Simon n'aboutit à rien non plus devant le Corps législatif.
Si de très nombreuses propositions sont déposées pendant les premières décennies de la III° République (proposition notamment de Schoelcher, Louis Blanc, Frebault, Dejeante, Barodet, Brunet et Flaissières), le dernier grand débat qui ait été consacré à la peine de mort se déroula en deux années, d'octobre 1906 à décembre 1908.
L'installation à l'Elysée en 1906 du Président Fallières est à l'origine de ce débat. Le successeur de Loubet partageait les convictions des parlementaires abolitionnistes. Dans les premiers temps de son septennat, il usa systématiquement de son droit de grâce (sur les 25 personnes condamnées à mort en 1906 et 37 en 1907, pas une dont la peine ne fut commuée).
Sur le plan parlementaire, la tentative d'abolition commença lors du vote du budget : pour obtenir du Parlement un vote favorable à l'abolition, la commission du budget de la Chambre des députés supprima en 1906 le crédit affecté à l'indemnité du bourreau et aux frais des exécutions capitales. Le Gouvernement Clemenceau estima que l'abolition ne pouvait être réalisée par cette voie indirecte et le garde des Sceaux Guyot-Dessaigne déposa au Parlement un projet de loi tendant à abolir la peine de mort, en même temps qu'était émise une proposition de loi de Joseph Reinach dans le même sens - proposition de loi signée également par des personnalités comme Jaurès, Millerand, Viviani, Caillaux, Deschanel, Flandin, Arago, Cruppi... -, ainsi qu'une proposition analogue de Paul Meunier.
Les textes donnèrent lieu en 1907 à une discussion importante à la Société générale des prisons, qui fit porter ses débats également sur la peine de remplacement. Le projet du Gouvernement substituait à la peine capitale l'internement; cette peine serait perpétuelle. Elle se décomposerait en deux périodes : première période : six années de cellule ; deuxième période : détention à vie dans une maison de force spéciale. Si, en cours d'exécution de peine, le condamné à l'internement commet une infraction emportant application d'une peine criminelle, il subira l'encellulement à vie.
Le Rapporteur de la Commission qui avait étudié ces textes, M. Cruppi, conclut à l'abolition et son rapport fut adopté en 1907 par la Commission. Mais l'annonce de la grâce présidentielle en faveur de l'auteur d'un crime atroce déclencha un mouvement d'opinion favorable au maintien de la peine de mort. Cruppi fut remplacé comme rapporteur par Castillard, qui conclut contre l'abolition ; son rapport fut adopté par la Commission.
Le débat fut inscrit à la Chambre des députés le 26 juin 1908 et se prolongea jusqu'au 8 décembre. La Chambre avait à choisir entre plusieurs systèmes : suppression pure et simple de la peine capitale, remplacée par les travaux forcés (proposition Reinach) ; suppression de la peine de mort remplacée par l'internement perpétuel avec claustration cellulaire pendant six ans (projet du Gouvernement) ; maintien de la peine de mort avec création d'une peine nouvelle, l'internement, le choix entre les deux mesures dépendant de l'admission des circonstances atténuantes (contre-projet Meunier, contre-projet de la Commission, proposition Dejane).
Au cours des débats, prirent la parole en faveur de l'abolition le nouveau Garde des Sceaux, Aristide Briand, abolitionniste convaincu, et notamment J. Reinach, Willm, Deschanel, Jaurès, l'abbé Lemire, Marcel Sembat. Les intervenants hostiles à l'abolition furent principalement Failliot, Maurice Barrès, Ajam, Berry, Labori, Dansette et Puech.
Après des débats célèbres, le vote final marqua l'échec des abolitionnistes : par 330 voix contre 201, la Chambre décidait le maintien de la peine capitale. En repoussant tous les projets qu'on lui présentait, elle refusa de s'engager même dans la voie moyenne qui était l'abolition de fait. Et les exécutions reprirent en 1908, 46 condamnés à mort, 7 exécutions, en 1909, 10 condamnés à mort, 7 exécutions, en 1910, 26 condamnés à mort, 11 exécutions.
L'insuccès des abolitionnistes, malgré l'appui du Gouvernement, devait ouvrir une période de silence de 70 ans.
Aucun débat parlementaire n'eut lieu entre les deux guerres. Des propositions furent déposées par Durafour, Renaudel et Richard; mais la Commission n'a statué qu'une seule fois : le rapport Lefas, en février 1928, concluait au rejet de la proposition abolitionniste de Durafour et renvoyait au Gouvernement le soin de présenter une réforme de l'échelle des peines susceptible de favoriser à terme la disparition de la peine capitale.
Douze propositions de loi abolitionnistes ont été déposées au cours de la période 1919-1962 : propositions Boulet, Gau, Francine Lefebvre, Jules Moch, Marie-Madeleine Dienesch, Pascal Arrighi, Lecocq. La proposition déposée à nouveau par M. Gau et Mme Lefebvre fait l'objet d'un avant-rapport Isorni, mais celui-ci ne sera pas discuté. On constate toutefois qu'un véritable courant abolitionniste ne s'est pas manifesté au sein du Parlement français au cours de cette période. Parallèlement, le champ d'application de la peine de mort s'est plutôt étendu. La III° République, à ses débuts, avait fait disparaître l'infanticide de la mère de la liste des crimes punis de mort. La III' République finissante ajouta au contraire à cette liste le rapt d'enfant suivi de mort (loi du 14 janvier 1937), les crimes de trahison et d'espionnage (décrets-lois du 17 juin 1938 et du 29 juillet 1939). C'est à cette époque que l'une des querelles concernant la peine de mort trouva une solution : le décret-loi du 24 juin 1939 supprima la publicité des exécutions capitales après le scandale que provoqua l'exécution de Weidmann à Versailles.
Si de nombreux cas nouveaux d'application de la peine de mort prévus sous le régime de Vichy (vols et agressions nocturnes, incendies volontaires de récoltes...) furent supprimés à la Libération, d'autres furent cependant ajoutés plus tard : vol à main armée (loi du 23 novembre 1950), incendie volontaire ayant entraîné la mort ou des infirmités graves (loi du 30 mai 1950), violences ou privations d'aliments ou de soins à enfants ayant entraîné la mort ou avec l'intention de la donner (loi du 13 avril 1954), crimes politiques (ordonnance du 4 juin 1960).
Mais le débat sur l'abolition est relancé en 1962 par le dépôt de la proposition de M. Claudius-Petit, cosignée par 82 parlementaires d'appartenance politique diverse. A l'exception des communistes et des socialistes, elle réunit 7 Ententes démocratiques, 24 Républicains populaires et Centre démocratique, 27 Indépendants et paysans d'action sociale, 11 membres du Regroupement national pour l'unité de la République, 6 U.N.R. et 7 non-inscrits. Une nouvelle étape est franchie en 1966 MM. Lecocq et Collette déposent une proposition commune, cosignée par 86 parlementaires appartenant à divers groupes de l'Assemblée, y compris des socialistes.
M. Claudius-Petit renouvellera sa tentative au début de chacune des législatures, avec désormais l'appui de membres de tous les groupes composant l'Assemblée. M. Claudius-Petit aura ainsi redonné une impulsion aux travaux parlementaires actuels il réussit à présenter un avant-rapport en Commission et obtient, quarante-cinq ans après le rapport Lefas, que s'instaure une nouvelle discussion au sein d'une commission parlementaire.
L'évolution déterminante toutefois se produit sous la cinquième législature de la V° République : pour la première fois depuis les prises de position radicales et socialistes qui précédèrent le débat de 1908, deux groupes représentant les trois principaux partis d'opposition (socialistes, communistes et radicaux de gauche) prirent collectivement position en faveur de l'abolition : une proposition du groupe communiste fut déposée le 24 mai 1973 et une proposition du groupe socialiste et des radicaux de gauche le 28 juin 1973.
Ce phénomène se confirme sous la sixième législature. Les trois propositions sont en effet redéposées dans des termes pratiquement identiques. Pierre Bas, le premier, reprend au mois de mai 1978 le texte de M. Claudius-Petit dont il était cosignataire. Cette proposition est également signée par MM. Cazalet, Delalande, Le Douarec, Séguin (R.P.R.), Chénard (socialiste), Delaneau, Fonteneau, Juventin, Frêche, Stasi (U.D.F.), Zeller (non-inscrit). Sont ensuite déposées le 6 juin 1978 par Hélène Constans et les membres de son groupe, la proposition communiste, et le 23 juin, par François Mitterrand et les membres de son groupe, y compris les radicaux de gauche apparentés, la proposition socialiste.
B. - UN DEBAT RECLAME
Ces dernières initiatives se heurtèrent aux hésitations du Gouvernement. Elles aboutirent certes à un vote positif de la commission des Lois mais ne purent aboutir en séance publique.
La position du ministre de la Justice, conforme à celle du chef de l'Etat, n'était pas une opposition de principe à l'abolition (ils se déclarent au contraire par principe favorables à celle-ci). Le Gouvernement a estimé cependant inopportun un débat sur la peine capitale dans une période où le peuple éprouve un sentiment grave et croissant d'insécurité : "Supprimer actuellement la peine de mort reviendrait à faire écrouler tout l'édifice répressif par lequel le peuple français a le sentiment d'être protégé. Ce serait prendre le risque terrible de provoquer des réactions d'auto-défense dont les conséquences seraient beaucoup plus meurtrières que le maintien de la peine de mort elle-même. Par conséquent... la question de l'abolition de la peine de mort n'est pas une question d'actualité."
(1).
A la fin de l'année 1978, à l'occasion de l'examen des crédits du ministère de la Justice pour 1979, l'Assemblée nationale eut à se prononcer sur deux amendements identiques, de M. Pierre Bas et du groupe socialiste, ayant pour objet de supprimer les frais des exécutions capitales. Le 18 octobre, devant la commission des Lois, le Garde de Sceaux exprimait "la crainte qu'un débat prématuré ne porte en réalité préjudice à la cause de l'abolition de la peine de mort". Le 24 octobre, en séance publique, l annonçait au contraire : "Le Gouvernement laissera venir en discussion l'an prochain des propositions de loi tendant à abolir la peine de mort... Le Gouvernement prend cet engagement, il le tiendra. Que l'Assemblée, à travers ses organes de travail, prenne elle-même ses responsabilités et le Gouvernement prendra les siennes."
(2). A l'issue de ce débat, le Gouvernement demanda un vote bloqué pour faire échec aux amendements abolitionnistes et les crédits de la justice furent en définitive adoptés par 271 voix contre 210.
Forte de cette promesse, la commission des Lois étudia et adopta le rapport de M. Philippe Séguin
(3) tendant à l'abolition pure et simple de la peine de mort.
La Conférence des présidents n'inscrivit pas ces propositions à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, et le Parlement dut se contenter de "débats de réflexion et d'orientation sur la déclaration du Gouvernement relative à l'échelle des peines criminelles (le 26 juin 1979 à l'Assemblée nationale et le 16 octobre 1979 au Sénat), non suivis de vote.
A l'issue des débats d'orientation au Sénat, le Garde des Sceaux avait envisagé le système suivant
(4) les deux cents crimes environ qui à l'heure actuelle sont passibles de la peine de mort seraient répartis en trois catégories
Dans une première catégorie, entreraient les crimes pour lesquels la peine de mort n'est plus ni requise ni prononcée, et pour lesquels elle serait désormais abolie. Dans cette catégorie, pourraient également se ranger les crimes politiques.
Dans une deuxième catégorie, on classerait certains crimes qui sont encore effectivement punis de mort, comme l'assassinat ou l'empoisonnement. Pour les crimes entrant dans cette catégorie, le Parlement pourrait se voir proposer de suspendre la peine de mort pour une durée probatoire de cinq ans.
La troisième catégorie serait celle des crimes abominables, comme les meurtres d'enfants pris en otage ou les meurtres accompagnés de sévices et de tortures, et également les crimes perpétrés par un prisonnier déjà condamné à la détention perpétuelle : dans ces cas-là, la peine de mort serait maintenue pour une durée de cinq ans, en se réservant de revoir plus tard la législation compte tenu de l'évolution tant des moeurs que de l'insécurité et de la criminalité en France. Le Garde des Sceaux avait ajouté qu'une contrepartie de la suspension de la peine de mort pourrait être un allongement du délai de prescription de l'action publique, actuellement de dix ans pour les crimes. On notera que les propositions du Garde des Sceaux, qui s'analysent en réalité comme une abolition temporaire de la peine de mort pour certains crimes, ne s'accompagnent plus de suggestions concernant l'échelle des peines. (A l'Assemblée en effet, M. Peyrefitte avait indiqué, s'agissant de la troisième catégorie d'incrimination que cette suspension ne pourrait s'envisager que si était instituée en même temps une peine de substitution à la peine de mort; cette idée n'a pas été reprise au Sénat.)
Le 16 novembre 1979, lors de l'examen du budget de la Justice, des amendements supprimant les crédits du bourreau furent à nouveau déposés, émanant non seulement de M. Pierre Bas et du groupe socialiste, comme l'année précédente, mais également de M. Séguin ainsi que du groupe communiste. Au cours de ce débat, le Garde des Sceaux a annoncé que, à la lumière des débats d'orientation, "le Gouvernement se prépare à déposer d'ici à la fin de la présente session un projet de loi sur la révision de l'échelle des peines". Il a ajouté "A l'occasion de l'examen de ce texte, vous pourrez, Mesdames, Messieurs les députés, débattre de ce problème au fond, et vos débats seront sanctionnés par un vote. L'Assemblée pourra user de son droit d'amendement et se prononcer"
(5).
L'ambiguïté des déclarations du Garde des Sceaux se manifesta encore au cours de ce même débat puisque, à une question de M. Pierre Bas qui demandait si, au cours du débat sur le projet que s'engageait à déposer le Gouvernement, les députés pourraient présenter tous les amendements qu'ils voudraient et si ceux-ci seraient mis aux voix, M. Peyrefitte eut cette réponse sybilline "l'Assemblée pourra amender le texte mais, à la fin de la discussion des articles, le Gouvernement pourra faire appel à la procédure spéciale de vote prévue par la Constitution et par le Règlement de l'Assemblée".
A l'issue de ce débat, les amendements abolitionnistes furent repoussés par 272 voix contre 215.
Mais peu après ces promesses, le Garde des Sceaux revient en arrière, et à une question écrite de M. Philippe Séguin
(6) qui s'étonnait en janvier 1980 que le projet relatif à l'échelle des peines n'ait pas encore été déposé, M. Peyrefitte répondit en ces termes
"Le problème de la peine de mort est un problème complexe, auquel il ne saurait être apporté de réponse simpliste. Les débats d'orientation à l'Assemblée nationale et au Sénat ont montré que la représentation nationale est profondément divisée sur cette question. Quant au peuple français, de nouveaux sondages ont souligné qu'il restait très défavorable dans sa majorité à l'abolition de la peine capitale. Un projet de loi sur l'échelle des peines criminelles doit donc respecter la sensibilité nationale, tout en marquant une étape importante dans la modernisation de notre législation pénale. Conformément aux engagements pris par le Gouvernement, les services de la Chancellerie n'ont pas manqué d'élaborer un tel texte. Toutefois, pour que ses intentions soient pleinement comprises dans notre pays et que sa discussion se déroule dans la sérénité souhaitable, le choix du moment est essentiel. Le Gouvernement considère que de récents crimes en série, qui ont profondément ému l'esprit public, rendent inopportun dans l'immédiat le dépôt de ce texte."
Ainsi le projet qui fut déposé par le Gouvernement ne fut pas celui espéré par ceux qui souhaitaient voter sur la peine de mort, mais le projet "Sécurité et liberté"
(7). Des amendements tendant à l'abolition de la peine de mort furent cependant déposés au cours du débat sur ce texte. Les amendements socialistes ne furent pas soutenus à l'Assemblée nationale, les députés de ce groupe ayant décidé de ne plus participer au débat. L'amendement communiste ainsi que celui de M. Pierre Bas furent repoussés par 252 voix contre 102.
Au Sénat, un amendement proposant l'abolition de la peine de mort déposé par M. Lederman fut aussi repoussé, sur l'avis négatif de sa commission des Lois, le rapporteur, M. Carous, ayant toutefois précisé expressément que cet avis ne devait en aucun cas signifier que le Sénat se prononçait pour ou contre le maintien de la peine de mort, mais simplement que la Commission ne souhaitait pas voir cette question résolue au fond à l'occasion de cet amendement
(8). L'amendement fut repoussé par 193 voix contre 108.
Le débat fut donc à nouveau relancé à l'occasion de l'examen des crédits du ministère de la Justice pour 1981. Trois amendements tendant à la suppression des crédits relatifs aux exécutions capitales furent déposés, l'un par M. Pierre Bas, l'autre par le groupe socialiste et le troisième par le groupe communiste.
L'auteur du présent rapport fit valoir qu'il serait "indécent, inadmissible", alors que, suivant la ligne tracée par le Garde des Sceaux, "nous avons engagé à l'Assemblée nationale un débat de réflexion qui ne s'est pas encore terminé par un vote, que des condamnations à mort puissent être exécutées en France d'ici au vote de notre Assemblée". Il ajouta "qu'il serait tout aussi indécent de mettre le Chef de l'Etat dans la position d'avoir à accorder ou à refuser une grâce à des condamnés à mort alors qu'il risque, quelques jours, quelques semaines ou quelques mois plus tard, d'être désavoué par la représentation nationale".
Le Garde des Sceaux répondit en ces termes "Pour sa part, le Gouvernement répète qu'il a préparé un avant-projet sur l'échelle des peines. Mais il estime qu'avant qu'un tel texte puisse être discuté et puisse être adopté, il importe que notre peuple retrouve une sécurité et une sérénité qu'il a perdues et faute desquelles ce problème ne peut être résolu comme vous souhaitez qu'il le soit. Le Gouvernement estime que le préalable absolu est le rétablissement en France d'un climat de sécurité"
(9).
Après cette déclaration, marquant un pas en arrière après le pas en avant constitué par les débats d'orientation, notre collègue Séguin replaça le débat dans les termes dans lesquels il se pose désormais
(10) : "la question qui nous est posée... est de savoir s'il est normal, s'il est décent que cette assemblée ne soit toujours pas autorisée à entamer un véritable débat sur l'abolition". Il a souligné à nouveau qu'"il serait grave que le détenteur du droit de grâce soit mis pratiquement devant l'alternative suivante : choisir entre le verdict d'une cour d'assises souveraine... et la position d'un Parlement qui n'a pu encore se prononcer définitivement". Il conclut qu'il s'abstiendrait sur les amendements (pour éviter de donner au Gouvernement un moyen d'esquiver le débat "à la faveur d'un scrutin douteux") mais qu'il voterait contre le budget pour réclamer à nouveau un débat trop longtemps différé. Dans le même esprit votre Rapporteur, au nom du groupe socialiste, retira son amendement, mais vota pour l'amendement que M. Bas maintint : celui-ci fut en définitive repoussé par 252 voix contre 203.
*
Si nous avons longuement rappelé les récents débats au cours desquels le Parlement a suscité les occasions de discuter, à défaut de pouvoir voter, de l'abolition, c'est pour montrer - ce qu'a bien compris le Gouvernement en déposant, dès cette session extraordinaire, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis - qu'il faut mettre un terme à une situation devenue de plus en plus ambiguë et intolérable.
M. Pierre Bas, pour sa part, a déposé à nouveau en juillet 1981 une proposition de loi tendant à abolir la peine de mort (proposition no 40), cosignée par MM. Jean Briane, Pierre Gascher, Mme Florence d'Harcourt, MM. Xavier Hunault, Jean Juventin, Emile Koehl, Philippe Séguin, Bernard Stasi, Olivier Stirn et Adrien Zeller, ainsi qu'une proposition de loi (no 41), cosignée par MM. Corrèze, Gascher, Mme Florence d'Harcourt et M. Koehl tendant à créer une peine de remplacement de la peine de mort (internement incompressible, c'est-à-dire impossibilité de bénéficier, pendant une période de vingt années, d'aucune des dispositions relatives aux réductions de peine et à l'aménagement de l'exécution des peines).
(1) J.O. Débats A.N. du 10 novembre 1977 réponse de M. Alain Peyrefitte à une question orale de M. Bonhomme.
(2) J.O. Débats A.N. du 25 octobre 1978, p. 6564.
(3) Rapport no 113 (sixième législature) adopté par la commission des Lois le 14 juin 1979.
(4) J.O. Débats Sénat du 17 octobre 1979, p. 3281 et suivantes.
(5) J.O. Débats A.N., 17 novembre 1979, p. 10220.
(6) J.O. Débats A.N. du 24 mars 1980. Réponse à la question écrite no 24576 du 14 janvier 1980.
(7) Des articles de ce projet ont eu pour effet de supprimer la peine de mort pour un certain nombre de crimes pour lesquels elle n'était plus jamais prononcée (vol à main armée, destruction de biens notamment).
(8) J.O. Débats Sénat, 8 novembre 1980, p. 4539.
(9) J.O. Débats A.N., 6 novembre 1980, p. 3605.
(10) J.O. Débats A.N., 6 novembre 1980, p. 3606.