MADRID (AFP) - Douze ans après sa sortie d'un "couloir de la mort" de Floride, aux Etats-Unis, Joaquin Martinez ne peut toujours pas supporter d'avoir chez lui des ampoules électriques. De passage à Madrid pour un Congrès mondial sur la peine capitale, il raconte son calvaire.
"A l'époque, nous avions encore la chaise électrique et comme dans les films, nos ampoules clignotaient, s'éteignaient puis se rallumaient quand ils exécutaient quelqu'un. Chez moi je n'ai pas d'ampoules, rien que des halogènes."
La mèche impeccablement coiffée vers l'arrière, cet élégant Espagnol, âgé de 41 ans, avait été arrêté en 1996 en Floride, accusé d'avoir commis un double homicide, avant d'être innocenté par la justice américaine et libéré en 2001.
"Je continue à rêver parfois que je suis prisonnier: je me réveille avec des frissons", témoignait-il lors de la présentation du V Congrès mondial contre la peine de mort, organisé à Madrid, en Espagne, par l'association française Ensemble contre la peine de mort (ECPM).
Du 12 au 15 juin, ses organisateurs espèrent rassembler plus de 1.500 personnes, venues de 90 pays, autour de tables rondes et avec la présence de personnalités politiques, dont le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
Comme celui de Joaquin Martinez, les cruels témoignages d'anciens condamnés ou de proches de prisonniers vivant aujourd'hui dans les "couloirs de la mort" viendront marquer les débats.
Coïncidence étrange, un autre Espagnol, Pablo Ibar, 40 ans dont 19 passés sous les verrous, est aujourd'hui détenu dans la même prison que Joaquin Martinez, en Floride.
Arrêté en 1994, soupçonné d'un triple meurtre, il a été condamné à mort en 2000. Ses proches n'ont jamais cessé de clamer son innocence.
Son père de 68 ans, Candido Ibar, qui vit aux Etats-Unis, conduit une fois par mois pendant sept heures pour le voir, parfois moins de trois heures, dans un parloir où les condamnés à mort et leurs proches se pressent autour d'une cinquantaine de tables.
"C'est lui qui m'encourage", explique-t-il à l'AFP, ses yeux fatigués prenant un air mi-amusé, à Madrid. "Je crois qu'il me voit, déjà âgé, il sait ce que je ressens et ça lui donne la force de m'encourager: il me dit, +ne t'inquiète pas+".
Aussi sportif que son père, un joueur de pelote basque, Pablo Ibar se maintient en forme physique et dévore les archives judiciaires pour mieux suivre son dossier, en attendant que la justice américaine décide si elle lui accorde ou non un nouveau procès.
Son complice présumé a lui été innocenté et libéré fin 2012, selon la famille.
"Qui sommes-nous pour décider d'ôter la vie à quelqu'un?", assène Candido Ibar. "Surtout quand apparaissent de nombreux cas où les condamnés sont finalement innocentés..."
Faire abolir la peine de mort partout dans le monde, c'est l'un des objectifs des Congrès organisés par ECPM tous les trois ans depuis 2001.
"Nous ne sommes pas là pour accuser mais plutôt convaincre les pays de se débarrasser de cette peine cruelle, inhumaine et dégradante", a expliqué le directeur d'ECPM, Raphaël Chenuil-Hazan.
La différence entre peine capitale et condamnation à perpétuité apparaît clairement dans les souvenirs d'Ahmed Haou, condamné à mort au Maroc en 1984 et gracié en 1999.
"A chaque instant, je pensais qu'ils allaient m'exécuter: c'est l'horreur absolue", se souvenait-il à Madrid.
Aujourd'hui, Ahmed Haou, 54 ans, voit pourtant une "lueur d'espoir" pour les condamnés à mort, soulignant notamment des "progrès" au Maroc, où il existe un moratoire de facto depuis 1993 mais où une centaine de condamnés attend dans les "couloirs de la mort".
Raphaël Chenuil-Hazan aussi parle d'espoir, expliquant que "vingt ou trente ans en arrière, deux tiers des pays étaient non-abolitionnistes et pratiquaient la peine de mort. Aujourd'hui c'est exactement l'inverse".
"Les 58 derniers pays qui exécutent encore, dont 20 à 25 pays qui exécutent régulièrement, sont évidemment les pays les plus difficiles à convaincre", lance-t-il cependant.