Le Mexique dépose une demande en interprétation de l'arrêt rendu le 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), et demande que soient indiquées d'urgence des mesures conservatoires
LA HAYE, le 5 juin 2008. Le Mexique a déposé ce jour une demande en interprétation de l'arrêt rendu le 31 mars 2004 par la Cour internationale de Justice (CIJ) en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique).
Le Mexique invoque l'article 60 du Statut de la Cour, lequel dispose que : «En cas de contestation sur le sens et la portée de l'arrêt, il appartient à la Cour de l'interpréter, à la demande de toute partie.» Une demande en interprétation donne lieu à l'ouverture d'une nouvelle affaire.
Le Mexique relève que, dans des affaires antérieures, la Cour a jugé que sa compétence aux fins d'interpréter l'un de ses propres arrêts «[était] une compétence spéciale qui résulte directement de l'article 60 du Statut».
Dans sa requête, le Mexique rappelle que, dans l'arrêt Avena susmentionné, la Cour a notamment jugé «que les Etats-Unis d'Amérique avaient violé l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires à l'égard de cinquante et un ressortissants mexicains en ne les informant pas ... de leurs droits à l'accès aux autorités consulaires et à l'assistance de ces dernières» ; et que la Cour a indiqué, à l'alinéa 9) du paragraphe 153 de son arrêt, les obligations incombant aux Etats-Unis d'Amérique à titre de réparation. Le Mexique soutient qu'un «différend fondamental» s'est fait jour «entre les parties sur la portée et le sens» de l'alinéa 9) du paragraphe 153 et qu'il convient que la Cour «oriente les parties». Le Mexique demande, par conséquent, que soit interprété ledit paragraphe, lequel se lit comme suit :
«153. Par ces motifs,
La Cour,...
9) Par quatorze voix contre une,
Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l'espèce, les Etats-Unis d'Amérique sont tenus d'assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains visés aux points 4), 5), 6) et 7) ci-dessus, en tenant compte à la fois de la violation des droits prévus par l'article 36 de la convention et des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt.»
Dans sa demande en interprétation, le Mexique indique qu'il «comprend le libellé du dispositif ... de l'arrêt Avena comme imposant une obligation de résultat aux Etats-Unis d'Amérique», alors qu' «il apparaît clairement que les Etats-Unis d'Amérique comprennent l'arrêt comme constituant une simple obligation de moyens». Le Mexique précise que, «si les Etats-Unis d'Amérique peuvent, aux termes de l'alinéa 9) du paragraphe 153 [de l'arrêt de la Cour], recourir à des «moyens de leur choix», l'obligation de permettre le réexamen et la revision n'est subordonnée à l'aboutissement d'aucun de ces moyens. En conséquence, les Etats-Unis d'Amérique ne sauraient se fonder sur un seul moyen ; il leur faut permettre l'examen et la revision requis et empêcher que soit exécuté tout ressortissant mexicain nommément désigné dans l'arrêt, à moins et jusqu'à ce que le réexamen et la revision soient achevés et qu'il soit établi qu'aucun préjudice ne résulte de la violation». Le Mexique soutient en outre que «les requêtes introduites par les ressortissants mexicains aux fins du réexamen et de la revision prescrits en ce qui les concerne dans l'arrêt Avena ont été rejetées à plusieurs reprises». Il indique également que, «le 25 mars 2008, la Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique a jugé que, dans le cas de José Ernesto Medellín Rojas, ... l'arrêt lui-même n'imposait pas directement aux juridictions des Etats-Unis d'Amérique de procéder au réexamen et à la revision en droit interne» et que «la Cour suprême, tout en reconnaissant expressément l'obligation incombant aux Etats-Unis d'Amérique, en vertu du droit international, de se conformer à l'arrêt a, en outre, indiqué que les moyens choisis par le président des Etats-Unis d'Amérique pour ce faire n'existaient pas en vertu de la constitution des Etats-Unis d'Amérique et a indiqué d'autres moyens, dont le vote de lois par le Congrès des Etats-Unis d'Amérique ou le respect volontaire par l'Etat du Texas». Le Mexique indique en outre qu'«il comprend l'obligation incombant aux Etats-Unis d'Amérique en vertu de l'alinéa 9) du paragraphe 153 comme portant également sur l'exécution de mesures indiquées par la Cour suprême, y compris des actes législatifs pris à l'échelon fédéral ou étatique, ou le respect de cette obligation par les juridictions ou les assemblées des Etats».
Dans sa demande en interprétation, le Mexique poursuit en indiquant que, après le prononcé de la décision de la Cour suprême, «le Texas a ... fixé la date d'exécution de M. Medellín au 5 août 2008». Il insiste sur le fait que «les actions du Texas, une subdivision politique des Etats-Unis d'Amérique, engagent la responsabilité internationale de ces derniers» et que «les Etats-Unis d'Amérique ne sauraient invoquer leur droit interne pour justifier la non-exécution des obligations juridiques internationales leur incombant en vertu de l'arrêt Avena». Le Mexique fait observer qu'«au moins quatre autres ressortissants mexicains sont également menacés par la fixation imminente par l'Etat du Texas de la date de leur exécution».
En conséquence, le Mexique prie la Cour «de dire et juger que l'obligation incombant aux Etats-Unis d'Amérique en vertu de l'alinéa 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena est une obligation de résultat, ainsi que cela est clairement indiqué dans l'arrêt, lequel précise que les Etats-Unis d'Amérique doivent assurer «le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité», mais les laisse recourir aux «moyens de leur choix» ;
et que, conformément à ladite obligation de résultat,
1) les Etats-Unis d'Amérique doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre le réexamen et la revision prescrits dans l'arrêt à titre de réparation ; et
2) les Etats-Unis d'Amérique doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'aucun ressortissant mexicain ayant droit au réexamen et à la revision en vertu de l'arrêt Avena ne soit exécuté à moins et jusqu'à ce que le réexamen et la revision soient achevés et qu'il soit établi qu'aucun préjudice ne résulte de la violation».
Le Mexique a également déposé ce jour une demande tendant à ce que soient indiquées d'urgence des mesures conservatoires, conformément à l'article 41 du Statut. Cet article dispose que «[l]a Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire». Le Mexique explique que «[d]es mesures conservatoires sont clairement justifiées tant pour protéger l'intérêt primordial qu'attache le Mexique à la vie de ses ressortissants que pour permettre à la Cour de prescrire les mesures demandées par le Mexique».
Contrairement à une demande en interprétation, une demande en indication de mesures conservatoires ne donne pas lieu à l'ouverture d'une nouvelle affaire mais à celle d'une procédure incidente dans le cadre d'une affaire existante.
Le Mexique prie la Cour d'indiquer les mesures suivantes :
«a) le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique prendra toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que José Ernesto Medellín, César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos ne soient pas exécutés en attendant l'issue de la procédure engagée ce jour ;
b) le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique informera la Cour de toutes les mesures prises en application de l'alinéa a) ; et
c) le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique fera en sorte qu'il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique ou de ses ressortissants en ce qui concerne toute interprétation que la Cour pourrait donner de l'alinéa 9) du paragraphe 153 de son arrêt en l'affaire Avena».