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Arrêt de la CIJ - Demande en interprétation de l'arrêt du 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)

arrêt du 19 janvier 2009 - Cour internationale de Justice
ARRÊT
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2009
Rôle général no 139
19 janvier 2009

DEMANDE EN INTERPRÉTATION DE L'ARRÊT DU 31 MARS 2004 EN L'AFFAIRE AVENA ET AUTRES RESSORTISSANTS MEXICAINS (MEXIQUE c. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE)

(MEXIQUE c. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE)

Article 60 du Statut de la Cour ⎯ Base de compétence autonome.
Conditions à l'exercice de la compétence pour connaître d'une demande en interprétation ⎯ Question de l'existence d'une contestation sur le sens et la portée du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt du 31 mars 2004 ⎯ Détermination de l'existence d'une contestation incombant à la Cour ⎯ Absence de contestation sur la question de savoir si le point 9) du paragraphe 153 énonce une obligation de résultat.
Question de l'existence d'une contestation sur les destinataires spécifiques de l'obligation de résultat ⎯ Deux approches possibles fondées sur les positions des Parties ⎯ Existence possible d'une contestation sur les destinataires spécifiques de l'obligation ⎯ Inexistence possible d'une contestation sur ce point en l'absence d'indications suffisamment précises.
Question de l'effet direct de l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 ⎯ Arrêt du 31 mars 2004 ne contenant aucune décision quant à la question de l'effet direct de l'obligation ⎯ Question de l'effet direct ne pouvant dès lors pas faire l'objet d'une demande en interprétation ⎯ Rappel du principe selon lequel des considérations de droit interne ne sauraient en tout état de cause pas délier les parties des obligations découlant des arrêts de la Cour.
*
Question de la méconnaissance par les Etats-Unis de leur obligation juridique de se conformer à l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 ⎯ Compétence de la Cour pour se prononcer sur cette question dans le cadre d'une demande en interprétation ⎯ Question de la violation éventuelle, par les Etats-Unis, de l'arrêt du 31 mars 2004 ⎯ Absence de compétence de la Cour pour connaître de cette question dans le cadre d'une procédure en interprétation.
*
Demande du Mexique visant à ce que la Cour ordonne aux Etats-Unis de fournir des garanties de non-répétition ⎯ Caractère obligatoire de l'arrêt du 31 mars 2004⎯ Engagements déjà pris par les Etats-Unis.

ARRÊT

Présents : Mme HIGGINS, président ; M. AL-KHASAWNEH, vice-président ; MM. RANJEVA,
KOROMA, BUERGENTHAL, OWADA, TOMKA, ABRAHAM, KEITH, SEPÚLVEDA-AMOR,
BENNOUNA, SKOTNIKOV, juges ; M. COUVREUR, greffier.

En l'affaire de la demande en interprétation de l'arrêt du 31 mars 2004,
entre
les Etats-Unis du Mexique,
représentés par
S. Exc. M. Juan Manuel Gómez-Robledo, ambassadeur, sous-secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l'homme, ministère des affaires étrangères du Mexique,
S. Exc. M. Joel Antonio Hernández García, ambassadeur, conseiller juridique du ministère des affaires étrangères du Mexique,
S. Exc. M. Jorge Lomónaco Tonda, ambassadeur du Mexique auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agents,
et
les Etats-Unis d'Amérique,
représentés par
M. John B. Bellinger, III, conseiller juridique du département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,
comme agent ;
M. James H. Thessin, conseiller juridique adjoint du département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,
comme coagent,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l'arrêt suivant :

1. Le 5 juin 2008, les Etats-Unis du Mexique (dénommés ci-après le «Mexique») ont déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d'instance contre les Etats-Unis d'Amérique (dénommés ci-après les «Etats-Unis»), dans laquelle, se référant à l'article 60 du Statut de la Cour et aux articles 98 et 100 de son Règlement, ils prient celle-ci d'interpréter le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt rendu par elle le 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) (C.I.J. Recueil 2004, p. 12) (ci-après «l'arrêt Avena»).

2. Conformément au paragraphe 2 de l'article 40 du Statut, la requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement des Etats-Unis par le greffier ; et, conformément au paragraphe 3 de cet article, tous les Etats admis à ester devant la Cour ont été informés de la requête.

3. Le 5 juin 2008, après le dépôt de sa requête, le Mexique, se référant à l'article 41 du Statut et aux articles 73, 74 et 75 du Règlement, a déposé au Greffe de la Cour une demande en indication de mesures conservatoires, afin de «sauvegarder ses droits et ceux de ses ressortissants» en attendant que la Cour se prononce sur la demande en interprétation de l'arrêt Avena.
Par ordonnance du 16 juillet 2008, la Cour, après avoir écarté la demande des Etats-Unis tendant à obtenir le rejet de la requête présentée par le Mexique (point I du paragraphe 80) et la radiation de l'affaire du rôle de la Cour, a indiqué les mesures conservatoires suivantes (point II du paragraphe 80) :
«a) Les Etats-Unis d'Amérique prendront toutes les mesures nécessaires pour que MM. José Ernesto Medellín Rojas, César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos ne soient pas exécutés tant que n'aura pas été rendu l'arrêt sur la demande en interprétation présentée par les Etats-Unis du Mexique, à moins et jusqu'à ce que ces cinq ressortissants mexicains aient bénéficié du réexamen et de la revision prévus aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt rendu par la Cour le 31 mars 2004 dans l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) ;
b) Le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique portera à la connaissance de la Cour les mesures prises en application de la présente ordonnance.»
Elle a en outre décidé que, «jusqu'à ce que la Cour rende son arrêt sur la demande en interprétation, elle demeurera[it] saisie des questions» qui faisaient l'objet de cette ordonnance (point III du paragraphe 80).

4. Par lettres du greffier en date du 16 juillet 2008, les Parties ont été informées que la Cour, conformément au paragraphe 3 de l'article 98 du Règlement, avait fixé au 29 août 2008 la date d'expiration du délai dans lequel les Etats-Unis pourraient présenter des observations écrites sur la demande en interprétation du Mexique.

5. Par lettre datée du 1er août 2008 et reçue au Greffe le même jour, l'agent des Etats-Unis, se référant au point II b) du paragraphe 80 de l'ordonnance du 16 juillet 2008, a informé la Cour des mesures que les Etats-Unis «[avaient] prises et continue[raient] de prendre» en application de ladite ordonnance.

6. Par lettre datée du 28 août 2008 et reçue au Greffe le même jour, l'agent du Mexique, faisant état de l'exécution de M. José Ernesto Medellín Rojas le 5 août 2008 aux Etats-Unis, dans l'Etat du Texas, et se référant au paragraphe 4 de l'article 98 du Règlement, a prié la Cour de donner au Mexique la possibilité de fournir par écrit un supplément d'information aux fins, d'une part, de développer, sur le fond, sa demande en interprétation à la lumière des observations écrites que les Etats-Unis devaient déposer et, d'autre part, de «modifier ses écritures en ajoutant un grief relatif à la violation de l'ordonnance du 16 juillet 2008».

7. Le 29 août 2008, dans le délai prescrit à cet effet, les Etats-Unis ont déposé leurs observations écrites sur la demande en interprétation du Mexique.

8. Par lettres du 2 septembre 2008, le greffier a informé les Parties que la Cour avait décidé de donner à chacune d'elle la possibilité de lui fournir par écrit un supplément d'information, conformément au paragraphe 4 de l'article 98 du Règlement, et avait fixé au 17 septembre et au 6 octobre 2008, respectivement, les dates d'expiration des délais pour le dépôt par le Mexique et par les Etats-Unis d'un tel supplément d'information. Chacune des Parties a déposé celui-ci dans le délai prescrit à cet effet.

*

9. Dans la requête, le Mexique a présenté les demandes suivantes :
«Le Gouvernement du Mexique prie la Cour de dire et juger que l'obligation incombant aux Etats-Unis en vertu du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena constitue une obligation de résultat puisqu'il est clairement formulé dans l'arrêt que les Etats-Unis sont tenus d'assurer «le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées» en recourant aux «moyens de leur choix» ;
et que, conformément à l'obligation de résultat susmentionnée,
1. les Etats-Unis doivent prendre toutes les mesures nécessaires en vue d'assurer le réexamen et la revision prescrits à titre de réparation par l'arrêt Avena ; et
2. les Etats-Unis doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucun ressortissant mexicain pouvant prétendre au réexamen et à la revision prescrits par l'arrêt Avena ne soit exécuté à moins et jusqu'à ce que ce réexamen et cette revision aient eu lieu et qu'il ait été établi qu'aucun préjudice n'a résulté de la violation.»

10. Au cours de l'instance, les Parties ont formulé les conclusions suivantes :
Au nom du Mexique,
dans le supplément d'information présenté à la Cour le 17 septembre 2008 :
«Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement du Mexique prie la Cour de dire et juger :
a) que, selon l'interprétation correcte de l'obligation imposée aux Etats-Unis par le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena, celle-ci constitue une obligation de résultat puisqu'il est clairement indiqué dans ledit arrêt que les Etats-Unis sont tenus d'assurer «le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité et des peines» ;
et que, conformément à l'interprétation de l'obligation de résultat susmentionnée,
1) les Etats-Unis, par l'intermédiaire de tous leurs organes compétents et de toutes leurs entités constitutives, y compris toutes les branches du gouvernement et tout détenteur de l'autorité publique, à l'échelon des Etats et à l'échelon fédéral, doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour accorder la réparation que constituent le réexamen et la revision prescrits dans l'arrêt Avena au point 9) du paragraphe 153 ;

2) les Etats-Unis, par l'intermédiaire de tous leurs organes compétents et de toutes leurs entités constitutives, y compris toutes les branches du gouvernement ainsi que tout détenteur de l'autorité publique, à l'échelon des Etats et à l'échelon fédéral, doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'aucun ressortissant mexicain ayant droit au réexamen et à la revision prescrits dans l'arrêt Avena ne soit exécuté à moins et jusqu'à ce que ce réexamen et cette revision aient été menés à bien et qu'il ait été établi qu'aucun préjudice n'a résulté de la violation commise ;
b) que les Etats-Unis ont violé l'ordonnance de la Cour en date du 16 juillet 2008 et l'arrêt Avena en exécutant José Ernesto Medellín Rojas sans lui avoir accordé un réexamen et une revision de son cas conformément aux conditions prévues par ledit arrêt ;
c) que les Etats-Unis sont tenus de garantir qu'aucun autre ressortissant mexicain ayant droit au réexamen et à la revision prescrits dans l'arrêt Avena ne sera exécuté à moins et jusqu'à ce que ce réexamen et cette revision aient été menés à bien et qu'il ait été établi qu'aucun préjudice n'a résulté de la violation commise.»
Au nom des Etats-Unis,
dans les observations écrites présentées le 29 août 2008 :
«Sur la base des faits et des arguments exposés plus haut, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique prie la Cour de dire et juger que la demande des Etats-Unis du Mexique est rejetée ; il prie la Cour, au cas où celle-ci ne rejetterait pas ladite demande, d'interpréter l'arrêt Avena selon les termes du paragraphe 62 ci-dessus.» (Par. 63.)
Le paragraphe 60 des observations écrites des Etats-Unis se lit notamment comme suit :
«Et les Etats-Unis acceptent l'interprétation que défend le Mexique ; ils conviennent que l'arrêt Avena impose une «obligation de résultat». Il n'y a donc nulle contestation à trancher et la requête du Mexique doit être rejetée.»
Le paragraphe 62 des observations écrites des Etats-Unis se lit notamment comme suit :
«les Etats-Unis prient la Cour d'interpréter l'arrêt comme le Mexique l'a demandé ⎯ c'est-à-dire de la manière suivante :
«[L]'obligation incombant aux Etats-Unis en vertu du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena constitue une obligation de résultat puisqu'il est clairement formulé dans l'arrêt que les Etats-Unis sont tenus d'assurer «le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées» en recourant aux «moyens de leur choix»» ; dans le supplément d'information présenté à la Cour le 6 octobre 2008 :
«Sur la base des arguments de fait et de droit exposés ci-dessus et dans les observations écrites initiales des Etats-Unis relatives à la demande en interprétation, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique prie la Cour de dire et juger que la demande en interprétation de l'arrêt Avena du Mexique est rejetée. Subsidiairement, les Etats-Unis prient la Cour, au cas où celle-ci ne rejetterait pas la demande dans son intégralité :
a) de rejeter les demandes additionnelles du Mexique par lesquelles celui-ci prie
la Cour :
1) de dire que les Etats-Unis ont violé l'ordonnance du 16 juillet 2008 ;
2) de dire que les Etats-Unis ont violé l'arrêt Avena ;
3) d'ordonner aux Etats-Unis de donner une garantie de non-répétition ;
b) d'interpréter l'arrêt Avena selon les termes du point a) du paragraphe 86 de la réponse du Mexique aux observations écrites des Etats-Unis.»

*
* *

11. La Cour rappelle que, au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena, elle a indiqué que :
«pour fournir la réparation appropriée en l'espèce, les Etats-Unis d'Amérique sont tenus d'assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains visés aux points 4), 5), 6) et 7) ci-dessus, en tenant compte à la fois de la violation des droits prévus par l'article 36 de la convention [de Vienne sur les relations consulaires] et des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt».

12. Le Mexique demande que soit interprété le point 9) du paragraphe 153, aux fins de savoir si celui-ci énonce une obligation de résultat, et prie la Cour de déclarer que tel est le cas et de donner certaines instructions aux Etats-Unis «conformément à l'obligation de résultat susmentionnée» (voir paragraphe 9 ci-dessus).

13. Le Mexique fonde sur l'article 60 du Statut sa demande en interprétation du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt rendu par la Cour le 31 mars 2004. Cet article est ainsi libellé : «[l]'arrêt est définitif et sans recours. En cas de contestation sur le sens et la portée de l'arrêt, il appartient à la Cour de l'interpréter, à la demande de toute partie.»

14. Les Etats-Unis ont indiqué à la Cour qu'ils considéraient eux aussi que l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 créait une obligation de résultat et qu'ils estimaient que, dès lors qu'il n'existait aucune contestation entre les Parties sur le sens et la portée des termes dont le Mexique sollicite l'interprétation, l'article 60 du Statut ne pouvait conférer compétence à la Cour pour procéder à une telle interprétation (voir par. 41 de l'ordonnance du 16 juillet 2008). Dans leurs observations écrites en date du 29 août 2008, les Etats-Unis ont également affirmé que, en raison de l'absence de contestation sur le sens et la portée du point 9) du paragraphe 153, la demande du Mexique était irrecevable.

15. La Cour relève que son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 n'a pas été rendue sur la base d'une compétence prima facie. Elle a précisé que «la compétence que l'article 60 [lui] confère ... n'est subordonnée à l'existence d'aucune autre base ayant fondé, dans l'affaire initiale, sa compétence à l'égard des parties» (ordonnance, par. 44).
La Cour a également indiqué que le fait que, depuis le prononcé de l'arrêt Avena, les Etats-Unis se soient retirés du protocole de signature facultative de la convention de Vienne sur les relations consulaires concernant le règlement obligatoire des différends était sans incidence sur sa compétence en vertu de l'article 60 du Statut (ibid., par. 44).

16. Dans son ordonnance en date du 16 juillet 2008, la Cour a examiné la question de savoir si les conditions énoncées à l'article 60 «aux termes [desquelles elles peut] connaître d'une demande en interprétation paraiss[ai]ent être remplies» (ibid., par. 45), précisant qu'elle «p[ouvait] connaître d'une demande en interprétation de tout arrêt rendu par elle dès lors qu'existe une «contestation sur le sens ou la portée [de cet] arrêt»» (ibid., par. 46).

17. Dans la même ordonnance, la Cour a relevé que «les versions française et anglaise de l'article 60 du Statut ne sont pas en totale harmonie» et que l'existence d'une contestation au sens de l'article 60 n'est pas subordonnée aux mêmes critères que celle d'un différend au sens du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut (ibid., par. 53). Elle a néanmoins observé qu'«il sembl[ait] que les deux Parties voient dans le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena une obligation internationale de résultat» (ibid., par. 55).

18. Toutefois, la Cour a également indiqué que «[les Parties] n'en paraiss[ai]ent pas moins diverger d'opinion quant au sens et à la portée de cette obligation de résultat ⎯ plus précisément quant à la question de savoir si cette communauté de vues est partagée par toutes les autorités des Etats-Unis, à l'échelon fédéral et à celui des Etats, et si cette obligation s'impose à ces autorités» (ibid., par. 55).

19. La Cour a précisé que la décision rendue sur la demande en indication de mesures conservatoires «ne préjuge[ait] aucune question dont [elle] aurait à connaître dans le cadre de l'examen de la demande en interprétation» (ibid., par. 79).

20. En conséquence, il convient que la Cour recherche de nouveau, dans le cadre de la présente procédure, s'il existe bien une contestation sur la question de savoir si l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena est une obligation de résultat. Elle aura aussi à se demander à cette occasion si une divergence d'opinion existe bien entre les Parties sur la question de savoir si cette obligation s'impose à l'ensemble des autorités des Etats-Unis, à l'échelon fédéral et à celui des Etats.

21. Ainsi qu'il ressort clairement de la jurisprudence constante de la Cour, la recevabilité d'une demande en interprétation est subordonnée à l'existence d'une contestation (Demande d'interprétation de l'arrêt du 20 novembre 1950 en l'affaire du droit d'asile (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402 ; Demande en revision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 216-217, par. 44 ; voir aussi Demande en interprétation de l'arrêt du 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36, par. 12).

22. Comme cela a été rappelé ci-dessus, aux paragraphes 4 et 8, le greffier a, par lettres en date du 16 juillet et du 2 septembre 2008, informé les Parties que la Cour avait décidé de donner à chacune d'elle la possibilité de lui fournir par écrit des observations et un supplément d'information, conformément aux paragraphes 3 et 4 de l'article 98 du Règlement.

23. La Cour a dûment examiné les observations et suppléments d'information communiqués par les Parties quant à l'existence d'une éventuelle contestation rendant nécessaire une interprétation aux fins de déterminer si l'obligation d'assurer le réexamen et la revision, par la voie judiciaire, des verdicts rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains cités dans l'arrêt Avena est une obligation de résultat.

24. Le Mexique s'est notamment référé à la conduite de l'exécutif fédéral des Etats-Unis, affirmant que certains aspects de celle-ci reflétaient le désaccord des Etats-Unis avec le Mexique sur le sens et la portée de l'arrêt Avena. Selon le Mexique, cette divergence de vues s'est manifestée à travers la position adoptée par le Gouvernement des Etats-Unis devant la Cour suprême, à savoir que l'arrêt Avena n'a pas d'effet direct en droit interne et ne s'impose pas aux juridictions internes sans l'intervention du président des Etats-Unis, et que l'article 94 de la Charte des Nations Unies ne fait peser l'obligation de respecter les arrêts de la Cour que sur les pouvoirs politiques des Etats parties à la Charte. Selon le Mexique, «le dispositif [de l'arrêt Avena] énonce une obligation de résultat visant tous les organes des Etats-Unis, y compris les autorités judiciaires à l'échelon fédéral et à celui des Etats, qui doit être respectée indépendamment des obstacles posés par le droit interne.» Le Mexique soutient que le Gouvernement des Etats-Unis, en raison de sa vision restrictive des moyens de mise en œuvre de l'arrêt, a manqué de prendre toutes les mesures nécessaires pour amener l'ensemble des autorités compétentes à respecter l'obligation incombant aux Etats-Unis. Le Mexique a notamment relevé que le Gouvernement des Etats-Unis n'avait pas cherché à appuyer, devant la Cour suprême, la demande de sursis à exécution présentée par M. Medellín. Ce comportement refléterait un désaccord fondamental entre les Parties concernant l'obligation des Etats-Unis d'atteindre un résultat spécifique par tous les moyens nécessaires. En outre, le Mexique fait valoir que l'existence d'une contestation est également établie du fait des positions adoptées par les organes exécutif, législatif et judiciaire compétents au niveau fédéral et au niveau de l'Etat du Texas, qui divergent de celle du Mexique sur le sens et la portée du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena.

25. Dans leurs observations écrites du 29 août 2008 et leur supplément d'information du 6 octobre 2008, les Etats-Unis ont soutenu que chacun des points soulevés par le Mexique devant la Cour avait trait non à une contestation sur la question de savoir si les Parties considéraient les obligations énoncées au point 9) du paragraphe 153 comme des obligations de résultat, mais à l'insatisfaction résultant pour le Mexique de la manière dont l'arrêt avait jusqu'alors été exécuté par les Etats-Unis. Les Etats-Unis affirment avoir souscrit de manière constante à l'interprétation que le Mexique donne du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena. Ils conviennent notamment de ce que le point 9) leur prescrit de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucun des ressortissants mexicains cités dans l'arrêt ne soit exécuté sans avoir bénéficié du réexamen et de la revision requis et sans qu'il n'ait été établi qu'aucun préjudice n'a résulté pour lui de la violation de la convention. En particulier, les Etats-Unis affirment que, la Cour leur ayant laissé le soin d'exécuter l'arrêt par les moyens de leur choix, le président a notamment choisi de donner effet audit arrêt en enjoignant aux juridictions d'Etat, par un mémorandum en date du 28 février 2005 adressé à l'Attorney General des Etats-Unis, de s'y conformer. Le pouvoir exécutif a ainsi soutenu devant la Cour suprême, dans l'affaire opposant M. Medellín à l'Etat du Texas, que cette décision du président était licite et liait les juridictions d'Etat. Selon les Etats-Unis, aucune conclusion quant à l'existence d'une divergence de vues entre les Parties ne saurait être tirée du débat sur l'applicabilité directe des arrêts de la Cour qui a eu lieu devant la Cour suprême, étant donné que cette question relève strictement de leur droit interne. La Cour suprême a conclu que l'arrêt Avena énonçait une obligation internationale incombant aux Etats-Unis. En outre, ces derniers contestent que les positions prises par d'autres autorités gouvernementales des Etats-Unis puissent permettre d'établir l'existence d'une divergence de vues entre les Parties quant à l'interprétation de l'arrêt Avena ; ils relèvent que le Mexique fonde son argumentation à cet égard sur les positions adoptées par certains organes n'ayant pas la capacité d'exprimer la position officielle de l'Etat sur le plan international. Dès lors, le fait que le Texas, ou toute autre entité constitutive des Etats-Unis, puisse interpréter différemment l'arrêt de la Cour, n'aurait aucune pertinence quant à la question qui est soumise à celle-ci.

26. Les Etats-Unis ont, à maintes reprises, confirmé que l'obligation en question était une obligation de résultat et que, si l'arrêt Avena les laissait libres de recourir aux moyens de leur choix, il ne faisait aucun doute que cette obligation devait être honorée.

27. Dans son ordonnance du 16 juillet 2008, la Cour a fait observer qu'«il semble que les deux Parties voient dans le point 9) du paragraphe 153 ... une obligation internationale de résultat» (par. 55 de l'ordonnance). Ses constatations en la matière revêtant un caractère provisoire, la Cour a examiné les arguments avancés par les Parties dans les observations écrites du 29 août 2008 et les suppléments d'information du 17 septembre et du 6 octobre 2008, sur la question de savoir si elles reconnaissaient toutes deux que l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 constituait une obligation de résultat ⎯ c'est-à-dire une obligation d'aboutir à un résultat précis. Il s'agit en l'occurrence de l'obligation qui incombe aux Etats-Unis d'assurer le réexamen et la revision visés aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt Avena à ceux des ressortissants mexicains cités dans celui-ci qui encourent toujours la peine de mort sans avoir bénéficié de ce réexamen et de cette revision.
De plus, MM. José Ernesto Medellín Rojas, César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos ont fait l'objet de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires relative à ladite obligation, que la Cour a rendue le 16 juillet 2008. La Cour observe qu'il doit être satisfait à cette obligation de résultat dans un délai raisonnable. Même des efforts sérieux des Etats-Unis, s'ils n'aboutissent pas à la revision et au réexamen visés aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt Avena, ne sauraient être considérés comme satisfaisant à une telle obligation.

28. Les Etats-Unis ont affirmé avec insistance qu'ils reconnaissaient pleinement l'obligation de résultat énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena, et persistent donc à soutenir qu'il n'existe aucune contestation sur le fait de savoir si ce point énonce une obligation de résultat ni, dès lors, aucune contestation au sens de la condition posée à l'article 60 du Statut. Le Mexique, se référant à certaines omissions du gouvernement fédéral ainsi qu'à certaines actions et déclarations d'organes gouvernementaux ou d'autres autorités publiques, prétend quant à lui que, en réalité, les Etats-Unis ne reconnaissent pas être soumis à une obligation de résultat, et donc qu'il y a bien contestation au sens de l'article 60.

29. C'est à la Cour elle-même qu'il appartient de déterminer s'il existe effectivement une contestation (voir Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 12).
Pour ce faire, la Cour a notamment examiné les observations écrites et suppléments d'information des Parties en cherchant à identifier leur position à la lumière des observations formulées par la Cour au paragraphe 55 de son ordonnance, à savoir qu'
«elles ... paraissent ... diverger d'opinion quant au sens et à la portée de cette obligation de résultat ⎯ plus précisément quant à la question de savoir si cette communauté de vues est partagée par toutes les autorités des Etats-Unis, à l'échelon fédéral et à celui des Etats, et si cette obligation s'impose à ces autorités».

30. La Cour estime qu'il y a deux façons possibles d'envisager la question de savoir si, compte tenu de ce qui précède, il existe au sens de l'article 60 du Statut une contestation dont le règlement appelle une interprétation des dispositions du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena.

31. En premier lieu, on peut considérer que divers éléments semblent révéler l'existence d'une différence d'appréciation qui constituerait une contestation au sens de l'article 60 du Statut.
Le Mexique relève que, devant la Cour suprême des Etats-Unis en l'affaire Medellín c. Texas (Cour suprême, vol. 128 (2008), p. 1346), «l'exécutif fédéral a soutenu que le paragraphe 1 de l'article 94 [de la Charte des Nations Unies] ne visait que les pouvoirs politiques des Etats parties ... et non pas l'Etat partie pris dans son ensemble», et il ajoute qu'«on ne trouve aucun appui pour cette interprétation ... ni dans le texte même ou dans les but et objet de cette disposition, ni dans les principes généraux du droit international». Le Mexique soutient que c'est sur la base de cette «interprétation erronée» que «la Cour [suprême] a conclu que la formulation de l'obligation de respecter les arrêts de la Cour du paragraphe 1 de l'article 94 empêchait ... les autorités judicaires ⎯ les autorités les mieux placées pour exécuter l'obligation imposée par l'arrêt Avena ⎯ de prendre les mesures pertinentes», cette disposition de la Charte renvoyant, selon la Cour suprême, à un «engagement de la part des Membres de l'Organisation des Nations Unies de prendre ultérieurement, par l'intermédiaire de leurs pouvoirs politiques, des mesures d'exécution d'une décision de la CIJ» (ibid., p. 1358). De l'avis du Mexique il en découle que la plus haute autorité judiciaire des Etats-Unis a considéré que l'arrêt Avena n'énonce pas une obligation de résultat s'imposant à tous les organes constitutifs des Etats-Unis ⎯ y compris les autorités judiciaires à l'échelon fédéral et à celui des Etats. Dans cette perspective, non seulement l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 n'est-elle pas réellement considérée comme une obligation de résultat, mais une telle interprétation ne tient pas compte, selon le Mexique, de la conclusion, formulée dans l'arrêt Avena, selon laquelle :
«chaque fois que la violation des droits individuels conférés à des ressortissants mexicains par l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la [convention de Vienne sur les relations consulaires] se traduit, dans le déroulement des procédures judiciaires qui suivent, par une détention prolongée des individus en question ou par un verdict de culpabilité et par une condamnation à des peines sévères, il faut examiner les conséquences juridiques de ladite violation et les prendre en considération dans le cadre du réexamen et de la revision à opérer. La Cour considère que c'est la procédure judiciaire qui est adaptée à cette tâche.» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 65-66, par. 140.)
En outre, selon le Mexique, cette appréciation portée par la Cour suprême est incompatible avec l'interprétation de l'arrêt Avena selon laquelle celui-ci impose une obligation de résultat à tous les organes constitutifs des Etats-Unis, y compris au pouvoir judiciaire.

32. A cet égard, le libellé des conclusions finales du Mexique ⎯ présenté le 17 septembre 2008 dans son supplément d'information ⎯ visait à affirmer que l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena incombe à l'ensemble des entités censées constituer les Etats-Unis (voir paragraphe 10 ci-dessus).
Le Mexique rejette par ailleurs l'argument de l'Etat du Texas selon lequel M. Medellín avait, avant son exécution, bénéficié, de la part des juridictions au niveau de l'Etat et à l'échelon fédéral, du réexamen et de la revision prescrits au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena.

33. Le Mexique soutient également que les actions et déclarations des Etats-Unis contredisent leur affirmation selon laquelle ils reconnaissent que le réexamen et la revision constituent une obligation de résultat. Il renvoie à la décision du Gouvernement des Etats-Unis de ne pas comparaître aux audiences que la Cour suprême a tenues pour examiner la demande de sursis à exécution de M. Medellín. Le Mexique relève par ailleurs que les Etats-Unis ont tenté très tardivement de faire intervenir le Congrès pour s'assurer que l'ensemble de leurs entités constitutives se conformeraient effectivement à ladite obligation.

34. En outre, le Mexique avance que la Cour suprême a jugé que l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 ne pouvait ni être exécutée directement par les autorités judiciaires sur le fondement d'un mémorandum du président, ni l'être sans l'intervention du pouvoir législatif. De l'avis du Mexique ⎯ avis que les Etats-Unis ne partagent pas ⎯, cela signifie nécessairement que l'obligation en question n'est pas véritablement considérée comme une obligation de résultat.

35. La Cour observe que les éléments qui précèdent pourraient indiquer qu'il existe, entre les Parties, une contestation au sens de l'article 60 du Statut.

36. En second lieu, d'autres éléments donnent à penser qu'il n'existe au contraire pas de contestation entre les Parties. La Cour relève, sans nécessairement souscrire à certaines observations relatives au droit international formulées par la Cour suprême dans son raisonnement, que cette dernière a indiqué que l'arrêt Avena énonce une obligation s'imposant aux Etats-Unis, tout en précisant que ladite obligation n'a pas d'effet direct en droit interne et qu'il ne peut y être donné effet par un mémorandum du président.

37. Se référant à l'affirmation de la Cour, dans son ordonnance du 16 juillet 2008, selon laquelle une contestation paraissait exister quant à la portée de l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 et quant aux destinataires spécifiques de celles-ci, les Etats-Unis ont rappelé, dans leurs observations écrites du 29 août 2008, que le gouvernement fédéral «parlait au nom» de tous les organes et entités constitutifs de l'autorité gouvernementale, et qu'il était responsable des actes de ceux-ci. Bien que cette affirmation paraisse concerner des questions différentes de celle dont la Cour a estimé, au paragraphe 55 de son ordonnance du 16 juillet 2008, qu'elle pouvait faire l'objet de l'éventuelle contestation, on peut considérer que le Mexique n'a pour sa part examiné cette question que de manière assez indirecte dans son supplément d'information du 17 septembre 2008.

38. La Cour relève qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 98 de son Règlement, quand une partie introduit une demande en interprétation d'un arrêt, cette demande «indique avec précision le point ou les points contestés quant au sens ou à la portée de l'arrêt».
Le Mexique a eu la possibilité de préciser les points contestés quant au sens et à la portée de l'arrêt Avena, d'abord dans sa requête du 5 juin 2008, puis dans les conclusions formulées au terme du supplément d'information qu'il a déposé le 17 septembre 2008.
La requête fait état d'une contestation portant sur la question de savoir si l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena constitue une obligation de résultat. Les Etats-Unis ont reconnu sans tarder que l'obligation à laquelle ils étaient tenus était une obligation de résultat. Les points mis en avant par le Mexique semblent concerner tout particulièrement la question de la mise en œuvre par les Etats-Unis des obligations leur incombant aux termes de l'arrêt Avena. S'il est vrai que le Mexique, dans les différents passages du supplément d'information qu'il a déposé le 17 septembre 2008, fait référence à certaines actions et déclarations des entités constitutives des Etats-Unis, ainsi qu'à ce qu'il considère comme un défaut d'action du gouvernement fédéral à certains égards, il reste néanmoins très vague quant à l'objet précis de la prétendue contestation. De surcroît, il est difficile de discerner, sauf par déduction, la position du Mexique quant à l'existence d'une contestation sur la question de savoir si l'obligation de résultat incombe à toutes les autorités, à l'échelon fédéral et à celui des Etats, et si celles-ci s'accordent à penser que tel est le cas.

39. La Cour observe que, dans sa requête du 5 juin 2008, le Mexique l'avait simplement priée de confirmer que l'obligation imposée aux Etats-Unis au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena constituait une obligation de résultat.
Lorsque le Mexique, durant la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires, a formulé ses conclusions, il a prié la Cour de dire
«a) que les Etats-Unis d'Amérique, par l'intermédiaire de tous leurs organes compétents et de toutes leurs entités constitutives, y compris toutes les branches du gouvernement et tout détenteur de l'autorité publique, à l'échelon des Etats comme à l'échelon fédéral, doivent, dans l'attente de l'issue de l'instance introduite par le Mexique le 5 juin 2008, prendre toute mesure pour éviter qu'il ne soit procédé à l'exécution de MM. José Ernesto Medellín, César Roberto Fierro Reyna, Ruben Ramirez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos, à moins et jusqu'à ce que ces cinq ressortissants mexicains aient fait l'objet du réexamen et de la revision prévus aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt rendu par la Cour en l'affaire Avena.»

40. Le Mexique a eu une nouvelle occasion d'indiquer les points précis qu'il considérait comme faisant l'objet d'une contestation lorsqu'il a reformulé ses conclusions finales aux points a) 1) et a) 2) du paragraphe 86 de son supplément d'information du 17 septembre 2008 (voir paragraphe 32 ci-dessus).

41. De l'avis de la Cour, on pourrait soutenir que la demande formulée au point a) 1) du paragraphe 86, selon laquelle les Etats-Unis, «par l'intermédiaire de tous leurs organes compétents ..., doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour accorder la réparation que constituent le réexamen et la revision», ne signifie pas qu'il y ait une obligation de résultat incombant aux divers organes compétents, entités constitutives et détenteurs de l'autorité publique, mais uniquement que les Etats-Unis devront agir par l'intermédiaire de ceux-ci pour s'acquitter des obligations qui sont les leurs en vertu du point 9) du paragraphe 153.
Le même libellé ⎯ «les Etats-Unis, par l'intermédiaire de tous leurs organes compétents et de toutes leurs entités constitutives» ⎯ figure au point a) 2) du paragraphe 86 des conclusions finales du Mexique. Que ce soit sous l'angle de la conformité aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 98 du Règlement ou d'un point de vue plus général, on pourrait soutenir qu'en définitive le Mexique n'a établi l'existence d'aucune contestation l'opposant aux Etats-Unis. D'ailleurs, ces derniers ont clairement affirmé qu'ils pouvaient souscrire à la première conclusion finale (point a)) du Mexique, priant la Cour à titre subsidiaire, dans leurs propres conclusions finales, «b) d'interpréter l'arrêt Avena selon les termes du point a) du paragraphe 86 de la réponse du Mexique aux observations écrites des Etats-Unis».
Le Mexique n'a pas précisé que l'obligation imposée par l'arrêt Avena aux Etats-Unis liait directement les organes, entités ou autorités de ce pays, même si cela pourrait être déduit des arguments qu'il a présentés, notamment dans son supplément d'information.

* *

42. La Cour relève que, compte tenu de tous ces éléments, deux façons d'envisager la question de savoir s'il existe ou non une contestation au sens de l'article 60 du Statut peuvent être discernées.

* *

43. Toutefois, de l'avis de la Cour, même si l'on devait finalement conclure à l'existence, en l'espèce, d'une contestation au sens de l'article 60 du Statut, la demande du Mexique se heurterait à un autre obstacle. En effet, les différents points de vue exprimés par les Parties sur l'existence d'une contestation font apparaître des opinions divergentes sur la question de savoir si le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena prévoit qu'un effet direct soit donné à l'obligation qu'il énonce.

44. Aucun passage de l'arrêt Avena ne prescrit ni n'implique que les tribunaux des Etats-Unis seraient tenus de faire une application directe du point 9) du paragraphe 153. Il est vrai que l'obligation énoncée dans ce paragraphe est une obligation de résultat qui doit à l'évidence être exécutée de manière inconditionnelle ; le défaut d'exécution constitue un comportement internationalement illicite. Cependant, l'arrêt laisse aux Etats-Unis le choix des moyens d'exécution, sans exclure l'adoption, dans un délai raisonnable, d'une législation appropriée, si cela est jugé nécessaire en vertu du droit constitutionnel national. L'arrêt Avena n'empêcherait pas davantage une exécution directe de l'obligation en cause, si un tel effet était permis par le droit interne. En somme, la question n'a pas été tranchée par l'arrêt initial de la Cour et ne peut dès lors lui être soumise dans le cadre d'une demande en interprétation en vertu de l'article 60 du Statut (Demande d'interprétation de l'arrêt du 20 novembre 1950 en l'affaire du droit d'asile (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402).

45. L'argumentation du Mexique, telle qu'exposée au paragraphe 31 ci-dessus, porte sur la question générale des effets d'un arrêt de la Cour dans l'ordre juridique interne des Etats parties à l'affaire dans laquelle cet arrêt a été rendu et non pas sur celle du «sens» et de la «portée» de l'arrêt Avena, comme l'exige l'article 60 du Statut de la Cour. De par son caractère général, la question qui sous-tend la demande en interprétation présentée par le Mexique échappe à la compétence conférée de manière spécifique à la Cour par l'article 60. S'il y a une contestation, elle ne porte pas sur l'interprétation de l'arrêt Avena, et en particulier du point 9) du paragraphe 153.

46. En conséquence, la Cour ne saurait faire droit à la demande en interprétation de l'arrêt Avena présentée par le Mexique.

* *

47. Avant d'en venir aux demandes additionnelles formulées par le Mexique, la Cour fait observer que les considérations de droit interne qui ont, jusqu'à présent, empêché que soit honorée l'obligation incombant aux Etats-Unis, ne sauraient les en délier. Les Etats-Unis ont été laissés libres de recourir aux moyens de leur choix pour la mise en œuvre de cette obligation et, dans l'hypothèse où le moyen retenu ne permettrait pas d'atteindre le résultat escompté dans un délai raisonnable, ils doivent recourir promptement à d'autres moyens efficaces à cette fin.

*
* *

48. Dans le cadre de l'instance introduite par sa requête en interprétation, le Mexique a présenté à la Cour trois demandes additionnelles. Premièrement, il prie la Cour de dire et juger que les Etats-Unis ont violé l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 en exécutant M. Medellín le 5 août 2008 sans que celui-ci ait bénéficié du réexamen et de la revision requis par l'arrêt Avena. Deuxièmement, le Mexique considère que cette exécution constitue en outre une violation de l'arrêt Avena lui-même. Troisièmement, il demande à la Cour d'ordonner aux Etats-Unis de fournir des garanties de non-répétition.

49. Les Etats-Unis soutiennent que la Cour n'a pas compétence pour connaître des demandes additionnelles du Mexique. Pour ce qui est de la demande du Mexique relative à la violation alléguée de l'ordonnance du 16 juillet 2008, les Etats-Unis sont d'avis, en premier lieu, que le défaut de compétence de la Cour pour statuer sur la demande en interprétation s'étend à cette demande incidente. En deuxième lieu, et à titre subsidiaire, les Etats-Unis avancent qu'une telle demande excède, en tout état de cause, la compétence conférée à la Cour par l'article 60 du Statut.
De même, les Etats-Unis considèrent qu'aucune base de compétence ne permet à la Cour de statuer sur la demande du Mexique afférente à une prétendue violation de l'arrêt Avena. Enfin, ils contestent que la Cour ait compétence pour ordonner des garanties de non-répétition.

* *

50. En ce qui concerne l'argument du Mexique selon lequel les Etats-Unis ont violé l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 16 juillet 2008 lorsqu'ils ont exécuté M. Medellín, la Cour fait observer que, dans ladite ordonnance, elle a conclu qu'«[elle] parai[ssait] pouvoir connaître, en vertu de l'article 60 du Statut, de la demande en interprétation» (ordonnance, par. 57). La Cour a ensuite indiqué dans son ordonnance que «[l]es Etats Unis d'Amérique [devaient] prendr[e] toutes les mesures nécessaires pour que MM. José Ernesto Medellín Rojas, César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García, et Roberto Moreno Ramos ne soient pas exécutés tant que n'aura[it] pas été rendu l'arrêt sur la demande en interprétation présentée par les Etats-Unis du Mexique, à moins et jusqu'à ce que ces cinq ressortissants mexicains aient bénéficié du réexamen et de la revision prévus aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt rendu par la Cour le 31 mars 2004 dans l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)» (ibid., par. 80, point II a)).

51. La Cour n'a pas à rechercher d'autre base de compétence que celle de l'article 60 du Statut pour connaître de cette allégation de violation de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue dans le cadre de la même instance. La compétence que lui confère cette disposition entraîne nécessairement la compétence incidente pour statuer sur les violations alléguées de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires. Cela demeure vrai même lorsque la Cour décide, au stade de l'examen de la demande en interprétation, comme elle l'a fait en l'espèce, de ne pas exercer sa compétence pour statuer en vertu de l'article 60.

52. M. Medellín a été exécuté dans l'Etat du Texas le 5 août 2008, après avoir présenté en vain un recours en habeas corpus et des demandes de sursis à exécution, et après qu'un sursis à exécution sollicité par la voie du recours en grâce lui eut été refusé. M. Medellín a été exécuté sans avoir pu bénéficier du réexamen et de la revision prévus aux paragraphes 138 à 141 de l'arrêt Avena, contrairement à ce qu'avait prescrit la Cour dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008.

53. La Cour en conclut que les Etats-Unis ne se sont pas acquittés de l'obligation dont ils étaient tenus en vertu de l'ordonnance qu'elle a rendue le 16 juillet 2008, dans le cas de M. José Ernesto Medellín Rojas.

54. La Cour note par ailleurs que l'ordonnance du 16 juillet 2008 prescrivait que cinq personnes nommément désignées ne devaient pas être exécutées sans avoir bénéficié du réexamen et de la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées à leur encontre ou jusqu'à ce qu'elle ait rendu son arrêt sur la demande en interprétation du Mexique. Aussi convient-il de rappeler que demeure intacte, en vertu des points 4), 5), 6), 7) et 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena lui-même, l'obligation incombant aux Etats-Unis de ne pas exécuter MM. César Roberto Fierro Reyna, Rubén Ramírez Cárdenas, Humberto Leal García et Roberto Moreno Ramos tant qu'ils n'auront pas bénéficié du réexamen et de la revision requis. La Cour relèvera encore que les autres personnes nommément désignées dans l'arrêt Avena doivent également pouvoir bénéficier, dans les conditions qui y sont précisées, du réexamen et de la revision requis.

55. La Cour rappelle enfin que, ainsi qu'ils l'ont eux-mêmes reconnu, les Etats-Unis ne se seront pas acquittés de l'obligation qui leur incombe tant qu'ils n'auront pas assuré le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre tous les ressortissants mexicains visés aux points 4), 5), 6) et 7) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena, en tenant compte à la fois des dispositions de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires et des paragraphes 138 à 141 dudit arrêt.

* *

56. S'agissant de la demande additionnelle par laquelle le Mexique prie la Cour de dire que les Etats-Unis ont violé l'arrêt Avena en exécutant José Ernesto Medellín Rojas sans lui avoir accordé le réexamen et la revision requis aux termes de cet arrêt, la Cour note que la seule base de compétence invoquée dans la présente affaire à cet égard est l'article 60 du Statut et que celui-ci ne lui permet pas de connaître de violations éventuelles de l'arrêt dont elle est priée de donner une interprétation.

57. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la demande additionnelle du Mexique ayant trait à des violations alléguées de l'arrêt Avena doit être rejetée.

* *

58. Le Mexique prie enfin la Cour d'ordonner aux Etats-Unis de fournir des garanties de non-répétition (point 2 c) des conclusions du Mexique) tendant à ce qu'aucun des ressortissants mexicains cités dans l'arrêt Avena ne soit exécuté sans avoir bénéficié du réexamen et de la revision prescrits dans le dispositif dudit arrêt.

59. Les Etats-Unis contestent que la Cour ait compétence pour leur ordonner de fournir des garanties de non-répétition, à titre principal, parce que la Cour est dépourvue de compétence sur la base de l'article 60 du Statut pour connaître de la demande en interprétation du Mexique et, à titre subsidiaire, parce qu'elle ne saurait de toute manière ordonner, dans le cadre d'une procédure en interprétation, que de telles garanties soient fournies.

60. La Cour considère qu'il lui suffit de rappeler que l'arrêt qu'elle a rendu en l'affaire Avena reste obligatoire et que les Etats-Unis sont toujours tenus de l'appliquer pleinement.

*
* *

61. Par ces motifs,

LA COUR,

1) Par onze voix contre une,
Dit que les questions qui, selon les Etats-Unis du Mexique, opposent les Parties et appellent une interprétation en vertu de l'article 60 du Statut, n'ont pas été décidées par la Cour dans le cadre de l'arrêt rendu le 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), y compris le point 9) de son paragraphe 153, et ne peuvent dès lors pas donner lieu à l'interprétation sollicitée par les Etats-Unis du Mexique ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, juges ;
CONTRE : M. Sepúlveda-Amor, juge ;

2) A l'unanimité,
Dit que les Etats-Unis d'Amérique ont violé l'obligation dont ils étaient tenus en vertu de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008, dans le cas de M. José Ernesto Medellín Rojas ;

3) Par onze voix contre une,
Réaffirme que les obligations énoncées au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena continuent de s'imposer aux Etats-Unis d'Amérique et prend acte des engagements pris par les Etats-Unis d'Amérique en la présente instance ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ;
CONTRE : M. Abraham, juge ;

4) Par onze voix contre une,
Rejette, dans ces conditions, la demande des Etats-Unis du Mexique tendant à ce qu'elle ordonne aux Etats-Unis d'Amérique de fournir des garanties de non-répétition ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, juges ;
CONTRE : M. Sepúlveda-Amor, juge ;

5) Par onze voix contre une,
Rejette le surplus des conclusions des Etats-Unis du Mexique.
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, juges ;
CONTRE : M. Sepúlveda-Amor, juge.


Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le dix-neuf janvier deux mille neuf, en trois exemplaires, dont l'un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement des Etats-Unis du Mexique et au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique.

Le président,
(Signé) Rosalyn HIGGINS.


Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.



MM. les juges KOROMA et ABRAHAM joignent des déclarations à l'arrêt ;
M. le juge SEPÚLVEDA-AMOR joint à l'arrêt l'exposé de son opinion dissidente.


(Paraphé) R. H.


(Paraphé) Ph. C.
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