Demande en interprétation de l'arrêt du 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)
La Cour dit que les questions soulevées par le Mexique ne peuvent pas donner lieu à une interprétation de l'arrêt et que les Etats-Unis d'Amérique ont violé l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 dans le cas de M. José Ernesto Medellín Rojas, exécuté le 5 août 2008
LA HAYE, le 19 janvier 2009. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu aujourd'hui son arrêt en l'affaire relative à la Demande en interprétation de l'arrêt du 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique).
Dans sa requête du 5 juin 2008, le Mexique priait la Cour d'interpréter le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena. Celui-ci se lit comme suit :
"153. Par ces motifs,
La Cour, ...
9) Par quatorze voix contre une,
Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l'espèce, les Etats-Unis d'Amérique sont tenus d'assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la revision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains visés aux points 4), 5), 6) et 7) ci-dessus, en tenant compte à la fois de la violation des droits prévus par l'article 36 de la convention [de Vienne sur les relations consulaires] et des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt."
Dans l'arrêt rendu ce jour, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,
"1) Par onze voix contre une,
Dit que les questions qui, selon les Etats-Unis du Mexique, opposent les Parties et appellent une interprétation en vertu de l'article 60 du Statut, n'ont pas été décidées par la Cour dans le cadre de l'arrêt rendu le 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), y compris le point 9) de son paragraphe 153, et ne peuvent dès lors pas donner lieu à l'interprétation sollicitée par les Etats-Unis du Mexique ;
2) A l'unanimité,
Dit que les Etats-Unis d'Amérique ont violé l'obligation dont ils étaient tenus en vertu de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008, dans le cas de M. José Ernesto Medellín Rojas ;
3) Par onze voix contre une,
Réaffirme que les obligations énoncées au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena continuent de s'imposer aux Etats-Unis d'Amérique et prend acte des engagements pris par les Etats-Unis d'Amérique en la présente instance ;
4) Par onze voix contre une,
Rejette, dans ces conditions, la demande des Etats-Unis du Mexique tendant à ce qu'elle ordonne aux Etats-Unis d'Amérique de fournir des garanties de non-répétition ;
5) Par onze voix contre une,
Rejette le surplus des conclusions des Etats-Unis du Mexique."
Raisonnement de la Cour
1. Demande en interprétation de l'arrêt Avena
⎯ Question de l'existence d'une contestation sur le sens et la portée de l'arrêt Avena
La Cour rappelle que le Mexique fonde sa demande en interprétation du point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena sur l'article 60 de son Statut. Cet article est ainsi libellé : "[l]'arrêt est définitif et sans recours. En cas de contestation sur le sens et la portée de l'arrêt, il appartient à la Cour de l'interpréter, à la demande de toute partie." La Cour examine donc si les conditions énoncées à l'article 60 sont réunies, et notamment s'il existe en l'espèce une telle contestation entre les Parties au sens de cette disposition, comme le prétend le Mexique.
La Cour constate d'abord l'absence de contestation entre les Parties sur la question de savoir si le point 9) susmentionné énonce une obligation de résultat.
La Cour cherche ensuite à identifier l'existence possible d'une contestation entre les Parties quant aux destinataires spécifiques de cette obligation de résultat. Elle identifie deux façons d'envisager la question de savoir s'il existe, au sens de l'article 60 de son Statut, une telle contestation.
En premier lieu, elle indique que divers éléments semblent révéler l'existence d'une différence d'appréciation entre les Parties quant aux destinataires de l'obligation. Elle rappelle que, selon le Mexique, l'interprétation retenue par la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Medellín c. Texas (Cour suprême, vol. 128 (2008), p. 1346) — à savoir que les arrêts de la Cour internationale de Justice ne sont, comme tels, pas directement applicables dans l'ordre juridique interne des Etats-Unis — est "incompatible avec l'interprétation de l'arrêt Avena selon laquelle celui-ci impose une obligation de résultat à tous les organes constitutifs des Etats-Unis, y compris au pouvoir judiciaire".
En second lieu, la Cour indique que d'autres éléments donnent à penser qu'il n'existe pas de contestation entre les Parties sur la question des destinataires spécifiques de l'arrêt Avena. La Cour souligne qu'au titre du paragraphe 2 de l'article 98 de son Règlement, toute demande en interprétation qui lui est présentée doit indiquer "avec précision" le ou les points contestés. Elle relève que "[le Mexique] reste néanmoins très vague quant à l'objet précis de la prétendue contestation" et en infère que, tant "sous l'angle de la conformité aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 98 du Règlement [que] d'un point de vue plus général, on pourrait soutenir qu'en définitive le Mexique n'a établi l'existence d'aucune contestation l'opposant aux Etats-Unis" et que "le Mexique n'a pas précisé que l'obligation imposée par l'arrêt Avena aux Etats-Unis liait directement les organes, entités ou autorités de ce pays, même si cela pourrait être déduit des arguments qu'il a présentés".
⎯ Question de l'effet direct de l'obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena
De l'avis de la Cour, les différents points de vue exprimés par les Parties font apparaître "des opinions divergentes sur la question de savoir si le point 9) [susmentionné] prévoit qu'un effet direct soit donné à l'obligation qu'il énonce". La Cour relève néanmoins que, "même si l'on devait finalement conclure à l'existence, en l'espèce, d'une contestation au sens de l'article 60 du Statut, la demande du Mexique se heurterait à un autre obstacle". Elle souligne en effet qu'"[a]ucun passage de l'arrêt Avena ne prescrit ni n'implique que les tribunaux des Etats-Unis seraient tenus de faire une application directe du point 9) du paragraphe 153". Or, observe-t-elle, selon sa jurisprudence constante, une question qui n'a pas été tranchée par un arrêt initial "ne peut ... lui être soumise dans le cadre d'une demande en interprétation" de cet arrêt. La Cour en conclut qu'elle "ne saurait faire droit à la demande en interprétation de l'arrêt Avena présentée par le Mexique".
La Cour ajoute néanmoins que "les considérations de droit interne qui ont, jusqu'à présent, empêché que soit honorée l'obligation incombant aux Etats-Unis, ne sauraient les en délier". Elle poursuit en soulignant que "[l]es Etats-Unis ont été laissés libres de recourir aux moyens de leur choix pour la mise en œuvre de cette obligation et [que], dans l'hypothèse où le moyen retenu ne permettrait pas d'atteindre le résultat escompté dans un délai raisonnable, ils doivent recourir promptement à d'autres moyens efficaces à cette fin."
2. Demandes additionnelles formulées par le Mexique
La Cour se penche ensuite sur les trois demandes additionnelles formulées par le Mexique, ce dernier estimant qu'en exécutant M. José Ernesto Medellín Rojas le 5 août 2008 sans que celui-ci ait bénéficié du réexamen et de la revision requis par l'arrêt Avena, les Etats-Unis : 1) ont violé l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 ; 2) ont violé l'arrêt Avena lui-même et 3) doivent fournir des garanties de non-répétition.
Sur le premier point, la Cour "conclut que les Etats-Unis ne se sont pas acquittés de l'obligation dont ils étaient tenus en vertu de l'ordonnance qu'elle a rendue le 16 juillet 2008, dans le cas de M. José Ernesto Medellín Rojas". La Cour rejette la seconde demande additionnelle du Mexique en notant que "la seule base de compétence invoquée dans la présente affaire ... est l'article 60 du Statut [, qui] ne lui permet pas de connaître de violations éventuelles de l'arrêt dont elle est priée de donner une interprétation". Enfin, la Cour rappelle que "l'arrêt qu'elle a rendu en l'affaire Avena reste obligatoire et que les Etats-Unis sont toujours tenus de l'appliquer pleinement" ; prenant notamment acte des engagements pris par les Etats-Unis d'Amérique en la présente instance, elle rejette la troisième demande additionnelle.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ; M. Couvreur, greffier.
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MM. les juges Koroma et Abraham joignent des déclarations à l'arrêt ;
M. le juge Sepúlveda-Amor joint à l'arrêt l'exposé de son opinion dissidente.