Cour de cassation - chambre criminelle
Audience publique du mercredi 20 septembre 1995
N° de pourvoi: 95-83523
Non publié au bulletin
Rejet
Président : M. MILLEVILLE conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PIBOULEAU, les observations de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- STACY alias Y... James Sean alias David, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 31 mai 1995, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement des ETATS-UNIS d'AMERIQUE, a émis un avis favorable ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 14 de la loi du 10 mars 1927, 344, alinéa 1er, 407, alinéa 1er, 591 et 593 du Code de procédure pénale, vice de forme, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'occasion de l'examen, par la chambre d'accusation, d'une demande d'extradition présentée par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, à l'encontre de James A..., celui-ci a comparu assisté de Mme Z..., interprète, inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel de Paris ;
"alors que tout interprète qui apporte son concours à la justice doit prêter serment conformément à la loi ;
que les seules énonciations précitées ne mettent pas la Cour de Cassation en mesure de s'assurer si l'interprète ainsi requis, en application de l'article 14 de la loi du 10 mars 1927, avant d'apporter son concours devant la chambre d'accusation, avait prêté serment comme tel ;
que dès lors, l'arrêt attaqué est entaché d'une violation de la loi de nature à priver la décision rendue des conditions essentielles de son existence légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, lorsqu'il a comparu devant la chambre d'accusation, James A... était assisté d'un interprète inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Paris ;
Attendu qu'en cet état, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués ;
qu'en effet, les dispositions de l'article 102 du Code de procédure pénale relatives au concours d'un interprète devant le juge d'instruction et la chambre d'accusation, n'étant pas incompatibles avec celles de la loi du 10 mars 1927, sont applicables en matière d'extradition ;
qu'il en résulte que seul l'interprète qui n'est pas assermenté est tenu de prêter serment ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de la loi du 9 octobre 1981, des articles 1er du protocole n 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 16 de la loi du 10 mars 1927, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit être d'avis qu'il y avait lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition faite par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique à l'encontre de James A... ;
"aux motifs qu'à l'appui de leur requête, les autorités américaines ont fourni l'engagement pris par le parquet du comté de Maricopa que la peine capitale ne sera pas requise et qu'elles ont invoqué, sans la produire, la règle 15-1 g de la procédure pénale de l'Arizona qui interdit de prononcer la peine de mort lorsqu'elle n'a pas été réclamée par le procureur ;
qu'au vu de ces éléments, la Cour estime qu'il convient d'émettre un avis favorable à l'extradition de James A..., sous réserve que les autorités américaines compétentes fournissent de surcroît au gouvernement français, l'assurance que si la peine de mort venait à être prononcée, elle ne serait pas mise à exécution ;
"alors qu'en vertu de la loi du 9 octobre 1981, la peine de mort a été abolie et qu'aux termes de l'article 1er du protocole n 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la peine de mort étant abolie, nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ; qu'en conséquence, l'application de la peine de mort à une personne dont l'extradition a été accordée par le gouvernement français serait contraire à l'ordre public français ;
que l'article 16 de la loi du 10 mars 1927 dispose que l'avis de la chambre d'accusation est défavorable si la Cour estime que les conditions légales ne sont pas remplies ;
que dès lors, la chambre d'accusation, qui a constaté que les autorités américaines n'avaient pas fourni l'assurance que la peine de mort ne serait pas prononcée et exécutée en cas d'extradition de James A..., et s'est contredite en émettant un avis favorable à l'extradition au vu de ces éléments et a, de ce fait, privé la décision rendue des conditions essentielles de son existence légale" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 16 de la loi du 10 mars 1927, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a émis l'avis qu'il y avait lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition de James A..., faite par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, sous réserve que les autorités compétentes américaines fournissant l'assurance au gouvernement français que si elle venait à être prononcée, la peine de mort ne serait pas mise à exécution ;
"aux motifs que l'avocat de James A... prétend qu'en raison de l'attitude de la presse et du ministère public, dans cette affaire, son client risque d'être jugé de manière inéquitable, mais que la Cour estime que le moyen tiré du risque de procès inéquitable n'est fondé sur aucun élément pertinent ;
"alors que le conseil de James A... avait fait valoir dans son mémoire qu'en vertu de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal impartial et indépendant, établi par la loi qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ;
que, de plus, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ;
qu'il serait inéquitable d'admettre qu'un procès puisse avoir lieu dans le comté de Maricopa, dans la mesure où l'affaire dans laquelle serait impliqué James A... a défrayé la chronique ;
qu'il est à préciser à la Cour que la presse télévisée, en l'occurrence WTN, qui présente une émission hebdomadaire aux Etats-Unis, dans tous les Etats, intitulée "Americas's", a consacré quelques émissions à cette affaire ;
qu'il en est de même de la presse écrite ;
qu'il est important d'indiquer à la Cour que cette même chaîne télévisée a pris contact avec son cabinet pour l'interwiever sur les suites de l'affaire ; que compte tenu de la présentation de l'affaire par la presse, qui semblait retenir la culpabilité de James A..., il était souhaitable de ne pas alimenter une médiatisation déjà importante ;
que dans sa requête à l'appui d'une demande d'extradition le procureur Alexander Poulos a écrit : "j'ai soigneusement examiné tous les éléments de preuve dans la présente affaire et j'atteste qu'ils indiquent que A... est coupable des infractions majeures retenues contre lui dans l'acte d'accusation" ;
qu'ainsi la Cour ne pourra que constater que la culpabilité de A... est établie dans l'esprit du procureur du comté de Maricopa ;
qu'en se bornant à énoncer que la Cour estime que le moyen tiré du risque de procès inéquitable n'était fondé sur aucun élément pertinent, sans indiquer en quoi les éléments rappelés ci-dessus, précis et circonstanciés, seraient dépourvus de toute pertinence, la chambre d'accusation a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs et l'a, de ce fait, privée des conditions essentielles de son existence légale" ;
Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 14 de la loi du 10 mars 1927, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a émis l'avis qu'il y avait lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition de James A..., faite par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, sous réserve que les autorités compétentes américaines fournissent l'assurance, au gouvernement français, que si elle venait à être prononcée, la peine de mort ne serait pas mise à exécution ;
"aux motifs que l'avocat de James A... prétend, qu'en raison de l'attitude de la presse et du ministère public, dans cette affaire, son client risque d'être jugé de manière inéquitable, mais que la Cour estime que le moyen tiré du risque de procès inéquitable, n'est fondé sur aucun élément pertinent ;
"alors que l'avocat de James A... avait également fait valoir, dans son mémoire, qu'aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit, notamment, à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, à interroger ou faire interroger les témoins à charge, et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
que tel n'est pas le cas, en l'espèce, James A... étant ressortissant des Etats-Unis, sa famille y vivant, et qu'il est regrettable de constater que le temps avait manqué, ainsi que les facilités nécessaires, d'autant que trois personnes avaient été condamnées dans cette affaire, et que l'acte d'accusation de James A... n'était fondé que sur les dépositions de l'une d'entre elles, Andrew X... ;
qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions importantes, concernant les droits de la défense, la chambre d'accusation a privé la décision rendue des conditions essentielles de son existence légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que ces moyens reviennent à critiquer les motifs de l'arrêt qui se rattachent directement et servent de support à l'avis de la chambre d'accusation sur la suite à donner à la demande d'extradition ;
Q'ils sont irrecevables en application de l'article 16 de la loi du 10 mars 1927 ;
Et attendu que la chambre d'accusation était compétente et composée conformément aux dispositions du Code de procédure pénale ;
que la procédure est régulière ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Pibouleau conseiller rapporteur, MM. Guerder, Fabre, Pinsseau, Mme Baillot, M. Joly, conseillers de la chambre, M.
Nivôse conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 31 mai 1995
Titrages et résumés : (sur le 1er moyen) EXTRADITION - Chambre d'accusation - Procédure - Audience - Interprète - Interprète assermenté - Serment - Nécessité (non). (sur les 2e, 3e et 4e moyens réunis) EXTRADITION - Chambre d'accusation - Avis - Absence de recours.
Textes appliqués :
* Code de procédure pénale 1 et 2
* Loi 1927-03-10 art. 16