COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-cinquième session - Point 11 b) de l'ordre du jour provisoire
DROITS CIVILS ET POLITIQUES ET NOTAMMENT : DISPARITIONS ET EXÉCUTIONS SOMMAIRES
Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Rapport de Mme Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale, présenté conformément à la résolution 1998/68 de la Commission des droits de l'homme
TABLE DES MATIÈRES
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III. SITUATIONS COMPORTANT DES VIOLATIONS DU DROIT A LA VIE 16 - 33
A. Peine capitale 16 - 17
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V. QUESTIONS PRÉOCCUPANT PARTICULIÈREMENT LA RAPPORTEUSE SPÉCIALE 50 - 77
A. Peine capitale 50 - 64
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VI. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS 78 - 97
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III. SITUATIONS COMPORTANT DES VIOLATIONS DU DROIT A LA VIE
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A. Peine capitale
16. Dans sa résolution 1998/68, la Commission des droits de l'homme a prié le Rapporteur spécial de continuer à surveiller l'application des normes internationales en vigueur relatives aux garanties et restrictions concernant l'imposition de la peine capitale, compte tenu des observations formulées par le Comité des droits de l'homme dans son interprétation de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du deuxième Protocole facultatif s'y rapportant.
17. C'est ainsi que la Rapporteuse spéciale a transmis 36 appels urgents au nom de 84 personnes nommément désignées et de groupes de personnes dont l'identité n'était pas précisée aux gouvernements des pays suivants : Bahamas (2), Égypte (1), États-Unis d'Amérique (6), Iran (République islamique d') (8), Iraq (2), Japon (1), Nigéria (2), Pakistan (1), Philippines (1), République démocratique du Congo ((2), Rwanda (3), Sierra Leone (2), Singapour (1), Soudan (1), Tadjikistan (1), Trinité-et-Tobago (1) et Turkménistan (1). Elle a adressé des plaintes au Gouvernement iraquien au sujet d'irrégularités concernant l'application de la peine de mort à 62 personnes nommément désignées et l'exécution de centaines de détenus dans le cadre de ladite "campagne de nettoyage des prisons" en novembre et décembre 1997. Pour plus de détails concernant la question de la peine capitale, on se reportera à la section A du chapitre V du présent rapport.
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V. QUESTIONS PRÉOCCUPANT PARTICULIÈREMENT LA RAPPORTEUSE SPÉCIALE
A. Peine capitale
50. La Rapporteuse spéciale partage et réaffirme l'opinion de son prédécesseur, selon laquelle la peine capitale doit être considérée comme une dérogation au droit fondamental à la vie et, en tant que telle, être interprétée dans un sens restrictif. La perte de la vie étant irréparable, il est par ailleurs impératif que tout au long de la procédure d'examen des crimes passibles de la peine capitale toutes les restrictions et règles énoncées dans les instruments internationaux pertinents soient pleinement respectées. La Rapporteuse spéciale intervient lorsqu'il y a lieu de penser que les restrictions internationales, qui sont analysées dans les paragraphes suivants, ne sont pas respectées. En pareil cas, l'application de la peine capitale peut être assimilée à une forme d'exécution sommaire ou arbitraire. C'est pourquoi, en examinant les cas portés à son attention, la Rapporteuse spéciale a tenu compte essentiellement de la nécessité de veiller à ce que le droit à un procès équitable, y compris les garanties concernant l'impartialité, l'indépendance et la compétence des juges, soit pleinement respecté. Par ailleurs, elle a été guidée dans ses travaux par les principes fondamentaux de l'opportunité de l'abolition de la peine de mort et de la nécessité de respecter les restrictions et limitations spéciales concernant l'application de la peine de mort.
1. L'opportunité de l'abolition de la peine de mort
51. La Rapporteuse spéciale note que, bien que la peine capitale ne soit pas encore interdite en droit international, divers organes et organismes des Nations Unies ont réaffirmé avec force, en plusieurs occasions, qu'il serait souhaitable de l'abolir. A sa cinquante-troisième session, le 3 avril 1997, la Commission des droits de l'homme a fait un pas important dans cette direction en adoptant la résolution 1997/12 sur la question de la peine de mort. Dans cette résolution, la Commission a pour la première fois engagé tous les États qui n'avaient pas encore aboli la peine de mort à limiter progressivement le nombre d'infractions qui emportent cette peine. Elle les a également engagés à envisager de suspendre les exécutions en vue d'abolir définitivement la peine de mort. Dans la résolution 1998/8 qu'elle a adoptée sur la même question à sa cinquante-quatrième session, la Commission engage les États à "instituer un moratoire sur les exécutions, en vue d'abolir définitivement la peine de mort". Cela étant, la Rapporteuse spéciale se félicite que le Parlement bulgare ait décidé, le 28 novembre 1998, d'abolir la peine de mort. La dernière exécution capitale en Bulgarie a eu lieu en 1989. On notera qu'à ce jour plus de 100 pays ont aboli la peine de mort, soit dans la législation soit dans la pratique.
52. La Rapporteuse spéciale note avec satisfaction que dans le Statut de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, la peine capitale ne figure pas parmi les peines la Cour que peut prononcer. On se rappellera que ni le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ni le Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui ont été créés par le Conseil de sécurité en 1993 et en 1994 respectivement, ne sont autorisés à prononcer la peine de mort.
53. A l'échelon régional, les nouveaux membres du Conseil de l'Europe ont, à compter de la date de leur adhésion au Conseil, un an pour signer et trois ans pour ratifier le Protocole No 6 se rapportant à la Convention européenne des droits de l'homme qui vise l'abolition de la peine de mort et sont tenus, par ailleurs, d'instituer sans délai un moratoire sur les exécutions. Cependant, la Rapporteuse spéciale a appris qu'en Fédération de Russie, des centaines de personnes avaient été condamnées à mort et un nombre indéterminé de personnes exécutées depuis l'adhésion de ce pays en 1996. La peine capitale devrait être abolie en Fédération de Russie d'ici février 1999, conformément aux obligations qui incombent aux membres du Conseil de l'Europe. La Rapporteuse spéciale est également préoccupée d'apprendre qu'en 1997 l'Ukraine continuait d'exécuter des détenus en dépit de la demande de moratoire. La Rapporteuse spéciale note avec satisfaction que la Chambre des Communes du Royaume-Uni a décidé, le 20 mai 1998, d'incorporer le Protocole No 6 dans la législation britannique. Elle se félicite aussi que le Conseil des affaires générales de l'Union européenne ait décidé le 29 juin 1998 d'adopter une politique visant à promouvoir l'abolition de la peine de mort. Dans la déclaration dans laquelle elle définit cette politique, intitulée "Principes directeurs de la politique de l'Union européenne à l'égard de pays tiers concernant la peine de mort", l'Union européenne fixe comme objectif à atteindre l'abolition universelle de la peine de mort, position que partagent l'ensemble de ses États membres et à laquelle ils sont fermement attachés.
54. La Rapporteuse spéciale constate avec regret qu'en dépit de la tendance actuelle en faveur de l'abolition de la mort, certains pays ont recommencé à procéder à des exécutions. Elle note qu'en juin 1998 l'Éthiopie a de nouveau procédé à une exécution pour la première fois depuis 1991 et que deux frères ont été exécutés à Gaza après avoir été reconnus coupables de meurtre. C'était la première fois que l'Autorité palestinienne procédait à des exécutions. Elle a aussi appris que deux exécutions avaient eu lieu aux Bahamas en 1998 après deux années pendant lesquelles aucune exécution n'avait été pratiquée dans ce pays. Son attention a aussi été appelée sur le fait que, depuis le rétablissement de la peine de mort aux Philippines en 1993, plus de 820 personnes avaient été condamnées à mort.
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VI. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Recommandations
1. Peine capitale
81. La Rapporteuse spéciale recommande vivement aux États qui ne l'ont pas encore fait de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, en particulier, le deuxième Protocole facultatif s'y rapportant. Tous les États devraient harmoniser les dispositions de leur législation nationale relatives à l'application de la peine capitale avec les normes internationales. Les États qui appliquent la peine capitale devraient respecter toutes les normes garantissant l'équité des procès qui figurent dans les instruments juridiques internationaux, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
82. Les gouvernements des pays dans lesquels la peine capitale existe encore sont invités instamment à n'épargner aucun effort pour en restreindre l'application et à prendre des mesures en vue de l'abolir complètement, dans la législation et dans la pratique. Ils devraient notamment instituer un moratoire sur les exécutions, conformément à la résolution 1998/8 de la Commission des droits de l'homme, et prendre immédiatement des mesures pour harmoniser leur législation et leur pratique juridique internes avec les normes internationales interdisant l'imposition de la peine de mort aux mineurs et aux malades ou handicapés mentaux. Ils sont invités en outre à revoir leur législation et leur pratique juridique en excluant des crimes pour lesquels une sentence de mort peut être prononcée ceux qui ne peuvent être considérés comme faisant partie des crimes "les plus graves", conformément à l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aucune infraction ne doit, quelles que soient les circonstances, être obligatoirement punie de la peine de mort.
83. Les gouvernements des pays où il existe encore des lois qui prévoient l'application de la peine de mort mais qui ont mis en place un moratoire de facto sur les condamnations à mort et les exécutions sont invités à prendre les mesures voulues pour supprimer de leur législation les dispositions relatives à la peine de mort, en particulier dans le cas des enfants.
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