COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-septième session - Point 11 b) de l'ordre du jour provisoire
DROITS CIVILS ET POLITIQUES ET NOTAMMENT LES QUESTIONS CONCERNANT : DISPARITIONS ET EXÉCUTIONS SOMMAIRES
Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Rapport de Mme Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale, présenté conformément à la résolution 2000/31 de la Commission des droits de l'homme
TABLE DES MATIÈRES
I. LE MANDAT 5 - 9
A. Attributions 5 - 6
B. Cas de violations du droit à la vie dans lesquels la Rapporteuse spéciale intervient 7 - 8
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II. ACTIVITÉS 10 - 22
[...]
B. Communications 11 - 17
[...]
III. APERÇU DES SITUATIONS COMPORTANT DES VIOLATIONS DU DROIT À LA VIE 23 - 37
[...]
G. Peine capitale 37
[...]
IV. VIOLATIONS DU DROIT À LA VIE DE GROUPES PARTICULIERS 38 - 50
A. Violations du droit à la vie des femmes 38 - 41
[...]
F. Violations du droit à la vie de personnes appartenant à des minorités sexuelles 48 - 50
V. QUESTIONS REQUÉRANT UNE ATTENTION SPÉCIALE 51 - 95
[...]
D. Violations du droit à la vie des enfants 65
[...]
F. Peine capitale 76 - 95
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VII. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS 103 - 119
[...]
B. Recommandations 107 - 119
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I. LE MANDAT
A. Attributions
5. Dans sa résolution 2000/31, la Commission des droits de l'homme a prié la Rapporteuse spéciale de continuer à examiner les cas d'exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, de réagir effectivement aux informations qui lui parviennent, de renforcer son dialogue avec les gouvernements et d'assurer le suivi des recommandations formulées dans ses rapports sur des visites dans certains pays. La Commission a également prié la Rapporteuse spéciale de continuer à surveiller l'application des normes internationales en vigueur relatives aux garanties et restrictions concernant l'imposition de la peine capitale, compte tenu des observations formulées par le Comité des droits de l'homme dans son interprétation de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du deuxième Protocole facultatif s'y rapportant.
[...]
B. Cas de violations du droit à la vie dans lesquels la Rapporteuse spéciale intervient
7. Au cours de la période considérée, la Rapporteuse spéciale est intervenue dans les situations suivantes :
[...]
k) Violations du droit à la vie en relation avec la peine de mort. Le Rapporteur spécial intervient lorsque la peine capitale est infligée en violation des articles 6, paragraphe 2, et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 37 a) de la Convention relative aux droits de l'enfant, de l'article 77, paragraphe 5) et d'autres articles pertinents des Conventions de Genève de 1949 et des Protocoles additionnels de 1977 y relatifs. En outre, le Rapporteur spécial suit les diverses résolutions adoptées par des organes de l'ONU, notamment :
i) Résolutions de l'Assemblée générale 2857 (XXVI), du 20 décembre 1971, et 32/61, du 8 décembre 1977, relatives à la peine capitale;
ii) Résolution 44/128 de l'Assemblée générale, en date du 15 décembre 1989, par laquelle l'Assemblée a adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort;
iii) Résolutions 1997/12, 1998/8, 1999/61 et 2000/65 de la Commission des droits de l'homme concernant la peine de mort;
iv) Résolution 1984/50 du Conseil économique et social en date du 25 mai 1984, par laquelle le Conseil a approuvé les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, que l'Assemblée générale des Nations Unies a fait siennes dans sa résolution 39/118, adoptée le 14 décembre 1984;
v) Résolution 1989/64 du Conseil économique et social, adoptée le 24 mai 1989.
8. Compte tenu de ces principes directeurs et de ces normes internationales, le Rapporteur spécial intervient dans les cas suivants :
a) Le crime visé ne peut être considéré comme relevant de la catégorie des "crimes les plus graves", dont il est question à l'article 6, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
b) La peine de mort est imposée rétroactivement;
c) Des personnes sont condamnées à mort pour des crimes commis lorsqu'elles étaient âgées de moins de 18 ans;
d) Des femmes enceintes ou venant d'accoucher risquent la peine de mort;
e) Des malades ou des handicapés mentaux ou des personnes dont les facultés mentales sont extrêmement limitées risquent la peine de mort;
f) Une sentence de mort qui a été exécutée est annulée à titre posthume;
g) L'accès au consulat de son pays est refusé ou n'est pas facilité à une personne risquant la peine de mort;
h) L'accusé(e) se voit dénier le droit de faire appel de sa condamnation à mort ou de solliciter la grâce ou une commutation de peine;
i) Une sentence de mort est prononcée à l'issue d'un procès au cours duquel les normes internationales d'impartialité, de compétence, d'objectivité et d'indépendance du pouvoir judiciaire n'ont pas été respectées;
j) Le système juridique n'est pas conforme aux normes minimales en matière d'équité des procès;
k) La peine de mort est imposée en tant que mesure obligatoire au mépris des garanties énumérées ci-dessus et sans qu'il soit tenu compte de l'existence de circonstances atténuantes impérieuses.
[...]
II. ACTIVITÉS
[...]
B. Communications
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12. Au cours de la période considérée, la Rapporteuse spéciale a lancé 116 appels urgents aux gouvernements des pays suivants : Argentine (2), Bolivie (4), Brésil (6), Burundi (1), Canada (1), Chine (4), Colombie (25), Côte d'Ivoire (1), Cuba (1), Égypte (1), Équateur (1), Émirats arabes unis (1), États-Unis d'Amérique (11), Fédération de Russie (2), Gambie (1), Guatemala (4), Guinée équatoriale (1), Honduras (3), Inde (2), Indonésie (4), Iran (République islamique d') (4), Israël (1), Jamaïque (1), Jordanie (1), Liban (1), Mexique (7), Myanmar (1), Népal (1), Nicaragua (1), Oman (1), Ouzbékistan (5), Pakistan (2), Pérou (4), Philippines (1), République démocratique du Congo (1), Sri Lanka (2), Tadjikistan (1), Venezuela (2), Yémen (2) et Zimbabwe (1). Elle a également adressé un appel urgent à l'Autorité palestinienne. Sur ces appels urgents 43 ont été lancés conjointement avec d'autres mécanismes de la Commission des droits de l'homme, tels que le Rapporteur spécial sur la question de la torture, le Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d'expression, la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants, le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Représentant spécial chargé d'examiner la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran, le Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées dans leur propre pays et le Représentant du Secrétaire général chargé de la question des défenseurs des droits de l'homme.
13. Ces appels urgents concernaient 339 personnes ainsi que les groupes suivants : personnes menacées par la vague de violence dans les territoires occupés, aux Moluques (Indonésie), à Pahalgam, Anantnag et Pogal au Cachemire (Inde) et sur l'île de Jolo (Philippines); un grand nombre de détenus en République islamique d'Iran; des journalistes et des membres d'organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme au Mexique et au Pérou qui avaient reçu des menaces de mort; des communautés autochtones au Brésil; des journalistes afghans au Pakistan; toute la population de Grozny (Tchétchénie); des dirigeants de l'opposition au Zimbabwe; des civils à Jaffna (Sri Lanka) et en Côte d'Ivoire; un grand nombre de prisonniers en Guinée équatoriale; un grand nombre de personnes condamnées à mort en Chine, aux États-Unis d'Amérique, en Ouzbékistan et au Yémen; des militants des droits de l'homme, des avocats, des dirigeants politiques et des syndicalistes, des paysans et des dirigeants autochtones en Colombie.
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III. APERÇU DES SITUATIONS COMPORTANT DES VIOLATIONS DU DROIT À LA VIE
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G. Peine capitale
37. Dans sa résolution 2000/31, la Commission des droits de l'homme a prié la Rapporteuse spéciale de continuer à surveiller l'application des normes internationales en vigueur relatives aux garanties et restrictions concernant l'imposition de la peine capitale, compte tenu des observations formulées par le Comité des droits de l'homme dans son interprétation de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du deuxième Protocole facultatif s'y rapportant. Dans ce contexte, la Rapporteuse spéciale a lancé 32 appels urgents en faveur de 44 personnes nommément désignées et de groupes de personnes dont l'identité n'était pas précisée aux gouvernements des pays suivants : Burundi (1), Chine (4), Cuba (1), Égypte (1), Émirats arabes unis (1), États-Unis d'Amérique (11), Iran (République islamique d') (4), Oman (1), Ouzbékistan (5), République démocratique du Congo (1), Tadjikistan (1) et Yémen (2). Elle a également adressé un appel urgent à l'Autorité palestinienne. Cette question est examinée plus en détail à la section V.F du présent rapport.
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IV. VIOLATIONS DU DROIT À LA VIE DE GROUPES PARTICULIERS
A. Violations du droit à la vie des femmes
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40. La Rapporteuse spéciale voudrait également appeler l'attention sur le cas de Mme Betty Lou Beets, condamnée à mort pour le meurtre de son mari dans l'État du Texas (États-Unis d'Amérique). En février 2000, la Rapporteuse spéciale a écrit au Gouvernement des États-Unis pour lui faire part d'informations selon lesquelles des preuves cruciales de circonstances atténuantes n'avaient jamais été présentées au jury lors du procès de Mme Beets, notamment le fait que celle-ci avait été soumise à des violences physiques, sexuelles et psychologiques dès son plus jeune âge. D'après ces informations, elle avait été violée à l'âge de 5 ans, et avait été ensuite brutalisée et fait l'objet de violences sexuelles par ses maris successifs. Mme Beets a été exécutée le 24 février 2000. Il a été signalé à la Rapporteuse spéciale que Mme Beets était la deuxième femme à être exécutée au Texas en 100 ans et la quatrième femme seulement à être exécutée dans l'ensemble du pays depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976.
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F. Violations du droit à la vie de personnes appartenant à des minorités sexuelles
[...]
50. La Rapporteuse spéciale juge inacceptable que dans certains États, les relations homosexuelles soient encore passibles de la peine de mort. Il y a lieu de rappeler que selon l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, une sentence de mort ne peut être imposée que pour les crimes les plus graves, ce qui exclut manifestement la question de l'orientation sexuelle. La Rapporteuse spéciale tient en l'occurrence à réaffirmer sa conviction que les préjugés persistants visant les personnes appartenant à des minorités sexuelles et tout particulièrement la criminalisation de faits liés à l'orientation sexuelle renforcent la stigmatisation sociale dont sont victimes ces personnes. Celles-ci sont du même coup davantage exposées à la violence et aux atteintes aux droits de l'homme, notamment les menaces de mort et les violations du droit à la vie, qui se produisent souvent dans un climat d'impunité. La Rapporteuse spéciale note en outre que la façon souvent tendancieuse dont ce sujet est abordé dans les médias contribue également à ce climat d'impunité et d'indifférence à l'égard des meurtres de personnes appartenant à des minorités sexuelles.
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V. QUESTIONS REQUÉRANT UNE ATTENTION SPÉCIALE
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D. Violations du droit à la vie des enfants
65. Au cours de la période considérée, la Rapporteuse spéciale a adressé des appels urgents en faveur de six mineurs aux gouvernements des pays suivants : Bolivie (1), Colombie (2), Honduras (1), République islamique d'Iran (1) et Venezuela (1). Elle est également intervenue en faveur de deux personnes qui avaient été condamnées à mort pour des crimes commis avant l'âge de 18 ans et dont l'exécution était imminente aux États-Unis d'Amérique. Pour un examen plus détaillé de cette question, se reporter à la section F ci-dessous. La Rapporteuse spéciale a en outre transmis des allégations de violations du droit à la vie concernant 67 mineurs aux gouvernements des pays ci-après : Bolivie (1), Colombie (4), Fédération de Russie (1), Honduras (32), Israël (3), Myanmar (2), Népal (4), Rwanda (5) et Soudan (15). Elle a également adressé au Gouvernement burundais une lettre lui transmettant des allégations d'exécutions sommaires perpétrées contre un groupe de 43 personnes, dont un grand nombre d'enfants, par des soldats gouvernementaux à Kabezi, le 31 décembre 1999.
[...]
F. Peine capitale
76. La peine capitale doit être considérée en toutes circonstances comme une dérogation exceptionnelle au droit fondamental à la vie et, en tant que telle, appliquée de la façon la plus restrictive possible. Il est également indispensable que toutes les restrictions concernant la peine capitale et les normes correspondantes d'un procès équitable énoncées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme soient pleinement respectées dans les procédures applicables aux crimes passibles de cette peine.
77. La Rapporteuse spéciale intervient lorsqu'il y a lieu de penser que les restrictions internationales, analysées ci-après, ne sont pas respectées. En pareil cas, l'application de la peine capitale peut être assimilée à une forme d'exécution sommaire ou arbitraire. C'est pourquoi, en examinant les cas portés à son attention, la Rapporteuse spéciale a tenu compte essentiellement de la nécessité de veiller au plein respect du droit à un procès équitable, y compris des garanties concernant l'impartialité, l'indépendance et la compétence des juges.
1. Restrictions concernant l'application de la peine capitale
78. L'application de la peine capitale aux mineurs délinquants est interdite en vertu du droit international, et la Rapporteuse spéciale s'est à maintes reprises déclarée fermement opposée à cette pratique. La Convention relative aux droits de l'enfant, ratifiée par tous les États hormis les États-Unis d'Amérique et la Somalie, l'exclut explicitement dans le cas d'infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. Le consensus international de plus en plus large selon lequel la peine capitale ne doit pas s'appliquer aux enfants et aux mineurs délinquants a encore été confirmé par une résolution adoptée le 17 août 2000 par la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Dans cette résolution, la Sous-Commission a condamné catégoriquement l'imposition et l'application de la peine de mort à des personnes âgées de moins de 18 ans au moment de la commission du crime. Elle a en outre demandé à la Commission des droits de l'homme de réaffirmer sa résolution 2000/65.
79. La Rapporteuse spéciale est préoccupée par la situation aux États-Unis d'Amérique où 70 personnes environ sont actuellement condamnées à mort pour des crimes commis alors qu'elles avaient moins de 18 ans. Treize mineurs délinquants auraient été exécutés aux États-Unis depuis 1990. Selon des informations fournies par le Gouvernement des États-Unis, 10 personnes ont été condamnées à mort et six exécutées au cours des deux dernières années pour des crimes commis alors qu'elles étaient âgées de moins de 18 ans. Au cours de la période considérée, la Rapporteuse spéciale est intervenue en faveur de deux mineurs délinquants passibles de la peine de mort aux États-Unis. En août 2000, elle a adressé au Gouvernement des États-Unis un appel urgent en faveur d'Alexander Edmund Williams, qui avait été condamné à mort dans l'État de Géorgie pour un crime commis à l'âge de 17 ans et qui en outre aurait été atteint d'une grave maladie mentale. Dans sa réponse à cette communication, le Gouvernement des États-Unis a informé la Rapporteuse spéciale que la Cour suprême de Géorgie avait prononcé un sursis de durée indéterminée à l'exécution de M. Williams le 22 août 2000, soit deux jours avant la date prévue pour celle-ci. En juin 2000, la Rapporteuse spéciale a lancé un appel urgent en faveur de Shaka Sankofa, aussi connu sous le nom de Gary Graham, qui devait être exécuté le 22 juin 2000, après avoir été condamné à mort pour un crime commis alors qu'il était âgé de 17 ans. M. Sankofa a été exécuté comme prévu le 22 juin dans l'État du Texas.
80. La Rapporteuse spéciale a pris connaissance avec une profonde préoccupation du sort de "Kasonga", un enfant de 14 ans recruté de force comme enfant-soldat par les forces armées de la République démocratique du Congo. Ce garçon et quatre autres soldats avaient été déclarés coupables de meurtre et condamnés à mort. Le 15 janvier 2000, "Kasanga" aurait été exécuté en même temps que les quatre hommes dans les 30 minutes ayant suivi un jugement sommaire rendu par un tribunal militaire. Après avoir été informée de cette exécution, la Rapporteuse spéciale est intervenue par écrit auprès du Gouvernement de la République démocratique du Congo pour exiger que les autorités mènent une enquête circonstanciée sur cette affaire. À cet égard, elle tient à faire observer qu'en janvier 2000, le Ministre des droits de l'homme de la République démocratique du Congo aurait déclaré que le pays avait imposé un moratoire sur les exécutions. La Rapporteuse spéciale a également reçu des informations selon lesquelles, en octobre 1999, deux jeunes âgés respectivement de 17 et 18 ans avaient été pendus dans la ville de Rasht après avoir été reconnus coupables de meurtre. Durant la période considérée, des exécutions d'enfants âgés de moins de 18 ans au moment de la commission du crime auraient eu lieu en République démocratique du Congo, en Afghanistan, en République islamique d'Iran et aux États-Unis d'Amérique.
81. Dans son dernier rapport à la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/2000/3), la Rapporteuse spéciale a noté que depuis 1990, six pays auraient exécuté des condamnés âgés de moins de 18 ans au moment où ils ont commis leur crime : l'Arabie saoudite, les États-Unis d'Amérique, le Nigéria, le Pakistan, la République islamique d'Iran et le Yémen. Après la publication de ce rapport, la Rapporteuse spéciale a écrit aux gouvernements de ces États pour leur demander des renseignements sur leur législation et leur pratique en ce qui concerne la condamnation à mort de délinquants mineurs. À la date de l'établissement du présent rapport, les Gouvernements du Yémen et des États-Unis avaient répondu à sa demande. Dans sa réponse, le Gouvernement yéménite a indiqué qu'il s'apprêtait à promulguer une loi interdisant l'imposition de la peine de mort à des personnes âgées de moins de 18 ans. La Rapporteuse spéciale invite instamment le Gouvernement yéménite à mettre cette réforme en application dans les plus brefs délais. Dans sa réponse à la lettre de la Rapporteuse spéciale, le Gouvernement des États-Unis s'est reporté au questionnaire concernant l'application de la peine de mort envoyé en juillet 1999, qui sera examiné plus en détail ci-dessous. La Rapporteuse spéciale saisit cette occasion pour remercier ces gouvernements de leurs réponses. À ce propos, elle note en outre avec satisfaction que le Gouvernement pakistanais a aboli la peine de mort pour les enfants.
82. Dans sa résolution 1989/64, le Conseil économique et social a recommandé aux États de renforcer la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, notamment en supprimant celle-ci pour les handicapés mentaux ou les personnes dont les capacités mentales sont extrêmement limitées. De plus, les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort (résolution 1984/50 du Conseil) stipulent que la peine capitale ne peut être appliquée aux personnes aliénées. La Rapporteuse spéciale appuie vigoureusement ces recommandations et invite instamment les États à prendre des mesures pour inclure de telles restrictions dans leur législation nationale. Elle considère en outre que la vieillesse peut parfois entraîner des infirmités susceptibles d'amoindrir les capacités mentales et physiques. Durant la période considérée, la Rapporteuse spéciale a lancé des appels urgents en faveur de quatre personnes qui risquaient d'être exécutées aux États-Unis après avoir été condamnées à mort en dépit d'indices laissant supposer qu'elles souffraient de maladie ou de déficience mentale. À cet égard, la Rapporteuse spéciale prend note du cas de Thomas Provenzano, condamné à mort pour meurtre dans l'État de Floride en 1984. Dans son appel adressé au Gouvernement des États-Unis, la Rapporteuse spéciale a rappelé qu'il avait été établi dès avant son procès que M. Provenzano souffrait de troubles paranoïdes de la personnalité et de schizophrénie paranoïaque. De plus, son état mental se serait encore détérioré au cours des 15 années qu'il avait passées dans le quartier des condamnés à mort. M. Provenzano a été exécuté le 21 juin 2000.
83. Dans un certain nombre de pays, des crimes qui n'entrent pas dans la catégorie des "crimes les plus graves" visés au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sont passibles de la peine capitale. Le paragraphe 1 des Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort dispose que seules les infractions intentionnelles ayant des conséquences fatales ou d'autres conséquences extrêmement graves doivent être passibles de la peine de mort. La Rapporteuse spéciale est fermement convaincue que ces restrictions interdisent de prononcer des condamnations à mort pour des infractions économiques ou autres infractions dites "sans victime", pour des actes touchant les valeurs morales dominantes, ni pour des actes de caractère religieux ou politique - y compris des actes de trahison, l'espionnage et d'autres actes définis de manière vague et généralement décrits comme étant des "crimes contre l'État". Elle s'inquiète de voir imposer une peine de mort obligatoire pour des délits qui ne font pas partie des "crimes les plus graves" ou lorsque les normes relatives à un procès équitable ne sont pas respectées. Dans bien des cas, l'état mental ou physique du délinquant n'est pas pris en considération, pas plus que les femmes enceintes ne sont dispensées de subir cette peine. Certaines lois prévoyant une peine de mort obligatoire ont également un caractère vague.
84. La façon dont les condamnés sont exécutés est une autre source de préoccupation : les pendaisons publiques et autres formes inhumaines d'exécution continuent d'être pratiquées dans de nombreux pays. À cet égard, la Rapporteuse spéciale tient à renvoyer au paragraphe 9 des Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, qui stipule que "[l]orsque la peine capitale est appliquée, elle est exécutée de manière à causer le minimum de souffrances possibles".
85. En juillet 1999, la Rapporteuse spéciale a envoyé un questionnaire à tous les États qui continuent d'appliquer la peine capitale en vertu de leur législation ou dans les faits. Dans ce questionnaire, les gouvernements concernés étaient priés de fournir des renseignements sur les points suivants : a) infractions automatiquement passibles de la peine capitale en vertu de la législation nationale; b) dispositions autorisant l'application de la peine capitale à des mineurs de moins de 18 ans; c) nombre d'exécutions de mineurs de moins de 18 ans au cours des deux dernières années ou de personnes condamnées pour des infractions qu'elles ont commises avant l'âge de 18 ans, et brève description de ces cas; d) énumération des infractions passibles de la peine capitale en vertu de la législation nationale. Durant la période considérée, les gouvernements des pays ci-après ont répondu au questionnaire : Cameroun, États-Unis d'Amérique, Myanmar et Oman. La Rapporteuse spéciale relève que les gouvernements des pays ci-après avaient déjà envoyé leur réponse au questionnaire : Antigua-et-Barbuda, Arménie, Barbade, Bélarus, Égypte, Émirats arabes unis, Jamahiriya arabe libyenne, Japon, Lituanie, Malaisie, République arabe syrienne, Rwanda, Soudan, Trinité-et-Tobago et Ukraine.
2. Procès équitable
86. L'exécution d'une peine capitale étant irrévocable, il est impératif, dans les procédures judiciaires liées à l'imposition de la peine de mort, d'appliquer les normes les plus strictes d'impartialité, de compétence, d'objectivité et d'indépendance de la magistrature, conformément aux instruments internationaux pertinents. Les accusés qui risquent la peine de mort doivent pouvoir dûment exercer le droit de bénéficier des services d'un défenseur compétent à tous les stades de la procédure et être présumé innocents tant que leur culpabilité n'a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable. Ces garanties doivent être respectées dans tous les cas sans exception ni discrimination.
87. La Rapporteuse spéciale craint que dans de nombreux cas les procédures suivies pour juger les infractions passibles de la peine capitale ne satisfassent pas aux normes les plus rigoureuses d'impartialité, de compétence, d'objectivité et d'indépendance de la magistrature, conformément aux instruments juridiques internationaux en vigueur. À cet égard, elle tient à complimenter M. George Ryan, Gouveneur de l'Illinois (États-Unis d'Amérique), pour le courage moral dont il a fait preuve en décidant en janvier 2000 d'imposer un moratoire sur les exécutions dans l'État d'Illinois lorsqu'il est apparu que le système de justice pénale de cet État était peut-être défectueux. Certaines informations montrent que, depuis 1973, 87 personnes au moins ont été libérées de prison aux États-Unis après avoir été reconnues innocentes des crimes pour lesquels elles avaient été condamnées à mort. La Rapporteuse spéciale souhaite en outre appeler l'attention sur une étude consacrée au système fédéral d'application de la peine capitale, publiée par le Département de la justice des États-Unis le 12 septembre 2000. Cette étude révèle des disparités raciales et géographiques notables dans l'application de la peine de mort. Il ressort également de ses conclusions que le pouvoir discrétionnaire du ministère public à l'égard des personnes passibles de la peine de mort a abouti à des condamnations arbitraires au niveau fédéral.
88. La procédure judiciaire doit dans tous les cas respecter et garantir à l'accusé le droit au réexamen des faits de la cause et des aspects juridiques de l'affaire par une juridiction supérieure composée de juges autres que ceux qui ont examiné l'affaire en première instance. Par ailleurs, il ne peut être dérogé au droit de l'accusé de présenter un recours en grâce ou de demander une commutation de peine. On se reportera à cet égard à l'avis exprimé par le Conseil économique et social dans sa résolution 1989/64, dans laquelle le Conseil a recommandé aux États membres d'instituer une procédure d'appel obligatoire ou de réformation prévoyant un appel à la clémence ou un recours en grâce, dans toutes les affaires où l'accusé risque la peine capitale. Dans son dernier rapport à la Commission (E/CN.4/2000/3, par. 65), la Rapporteuse spéciale a appelé l'attention sur des faits nouveaux survenus dans la région des Caraïbes, où un certain nombre d'États ont pris des mesures visant à faciliter l'application de la peine capitale en limitant les possibilités pour les personnes risquant la peine de mort de saisir les organes internationaux de protection des droits de l'homme. Elle relève à cet égard que, le 12 septembre 2000, la section judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni a décidé de commuer la peine de mort à laquelle six personnes avaient été condamnées en Jamaïque, jugeant qu'il était illégal d'exécuter des personnes ayant introduit un recours devant des organes internationaux tels que le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies et la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
89. La pratique consistant à établir des juridictions ou des tribunaux spéciaux face à des situations de conflit interne ou à d'autres circonstances exceptionnelles peut également compromettre gravement le droit à un procès équitable. En effet, les juges nommés auprès de ces tribunaux ont souvent des liens étroits avec les responsables de l'application des lois ou l'armée, quand ils n'en relèvent pas directement. La création de tribunaux de ce type a souvent pour objet d'accélérer le déroulement de la procédure, ce qui peut conduire à des condamnations à mort hâtives. De graves violations des normes relatives à l'équité des procès, notamment celles qui ont trait à l'indépendance et à l'impartialité des juges, seraient commises par les tribunaux d'exception.
90. La Rapporteuse spéciale est également préoccupée par des informations selon lesquelles la plupart des étrangers actuellement condamnés à mort aux États-Unis, soit plus de 60 personnes, l'ont été sans avoir été informés de leur droit à recevoir une aide juridique de leur consulat, énoncé à l'article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Durant la période considérée, la Rapporteuse spéciale a adressé au Gouvernement des États-Unis un appel urgent concernant le cas de M. Miguel Angel Flores, ressortissant mexicain, condamné à mort pour meurtre dans l'État du Texas en 1989. La Rapporteuse spéciale avait reçu des informations selon lesquelles M. Flores, à la suite de son arrestation, n'avait pas été informé de son droit de communiquer avec le consulat mexicain. Qui plus est, le Gouvernement mexicain n'aurait été averti de son arrestation qu'un an après qu'il eut été jugé, reconnu coupable et condamné à mort. À cet égard, la Rapporteuse spéciale tient à appeler l'attention sur l'avis consultatif No 6 rendu le 2 octobre 1999 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme concernant les droits individuels des étrangers emprisonnés risquant la peine de mort. Dans son avis consultatif, la Cour a indiqué que le droit de faire appel à une assistance consulaire, conformément à l'article 36 de la Convention de Vienne, faisait partie intégrante des normes internationales relatives aux droits de l'homme. La Cour a conclu que l'imposition de la peine de mort dans de telles circonstances constituait une violation du droit à ne pas être soumis à une privation arbitraire de la vie, énoncé dans des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme tels que la Convention américaine relative aux droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
3. Opportunité de l'abolition de la peine de mort
91. Aujourd'hui, la peine de mort est abolie soit en droit soit dans la pratique dans plus de la moitié des États du monde. Environ 75 pays et territoires l'ont abolie quel que soit le délit commis, dont une trentaine au cours des 10 dernières années. Adopté en 1989, le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, a été ratifié par 43 pays, et 7 autres États l'ont signé, manifestant ainsi leur intention de devenir ultérieurement parties à cet instrument.
92. La Rapporteuse spéciale est consciente du fait qu'en vertu de son mandat, elle doit se borner à n'intervenir que dans les cas d'exécutions qui violent les restrictions imposées par le droit international et les résolutions adoptées par divers organes de l'ONU. C'est précisément ce qu'elle a fait. En même temps, on ne saurait faire abstraction des tendances qui se dessinent à l'échelle mondiale et qui trouvent leur expression dans ces mêmes résolutions, lesquelles servent en outre d'orientation pour élargir le mandat conféré à la Rapporteuse spéciale. Il est essentiel de rendre compte de la possibilité qu'ont les pays qui maintiennent la peine de mort de respecter les garanties et restrictions relatives à la peine de mort. Or, celles-ci continuent d'être violées jusqu'à ce jour. Aussi la Rapporteuse spéciale s'inquiète-t-elle vivement de la capacité qu'ont les pays qui maintiennent la peine de mort d'observer ces normes. Cette préoccupation a été exprimée par divers organes de l'ONU s'occupant des droits de l'homme qui, à diverses reprises, ont confirmé le consensus de plus en plus large existant au niveau international en faveur de l'abolition de la peine de mort. Tout récemment, à sa cinquante-sixième session, la Commission des droits de l'homme a adopté, pour la quatrième année consécutive, une résolution (2000/65) préconisant toutes sortes de restrictions à l'imposition de la peine capitale. La Commission a engagé tous les États qui n'ont pas encore aboli la peine de mort à instituer un moratoire sur les exécutions, en vue d'abolir définitivement la peine de mort. Elle a en outre prié les États qui maintiennent la peine de mort de s'acquitter pleinement des obligations qu'ils ont contractées en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l'enfant en ce qui concerne cette peine. En même temps, la Rapporteuse spéciale note qu'à sa cinquante-quatrième session, la Troisième Commission de l'Assemblée générale a décidé de ne pas examiner le projet de résolution A/C.3/54/L.8/Rev.1 sur la question de la peine de mort. Cette résolution, présentée par l'Union européenne et coparrainée par 72 délégations, aurait fait écho à la résolution 2000/65 de la Commission des droits de l'homme en appelant tous les États qui maintiennent la peine de mort à instituer un moratoire sur les exécutions, en vue d'abolir définitivement la peine de mort.
93. À l'échelon régional, les Conventions européenne et américaine relatives aux droits de l'homme comportent toutes deux des protocoles spéciaux en faveur de l'abolition de la peine de mort. Tous les nouveaux membres du Conseil de l'Europe ont, à compter de la date de leur adhésion au Conseil, un an pour signer et trois ans pour ratifier le Protocole No 6 à la Convention européenne concernant l'abolition de la peine de mort et sont tenus, par ailleurs, d'instituer sans délai un moratoire sur les exécutions. Au moment de l'établissement du présent rapport, 39 États avaient ratifié le Protocole No 6 et un État l'avait signé. À ce propos, la Rapporteuse spéciale note également qu'à sa vingt-sixième session, tenue en novembre 1999 à Kigali, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté une résolution invitant notamment les États parties à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à envisager d'instituer un moratoire sur les exécutions et à étudier la possibilité d'abolir la peine de mort.
Dans cette résolution, la Commission africaine a noté avec préoccupation que certains États parties à la Charte africaine imposaient la peine de mort dans des conditions qui ne concordaient pas avec les droits associés à un procès équitable garantis par la Charte.
94. Le consensus de plus en plus large qui se dégage au niveau international en faveur de l'abolition se traduit encore par le fait que dans le Statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome le 17 juillet 1998, la peine capitale ne figure pas parmi les peines que la Cour peut prononcer. Il est en outre utile de rappeler que ni le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ni le Tribunal pénal international pour le Rwanda, créés par le Conseil de sécurité en 1993 et en 1994 respectivement, ne sont autorisés à prononcer la peine de mort.
95. Il ressort de ce qui précède que le respect des restrictions concernant l'imposition de la peine capitale et l'application des normes garantissant un procès équitable dans les pays qui maintiennent cette peine laissent gravement à désirer. La Rapporteuse spéciale estime que la nature et l'ampleur de ces irrégularités permettent un degré d'arbitraire inacceptable dans l'application de la peine de mort. Elle considère en outre qu'une exécution consécutive à une condamnation à mort prononcée à l'issue d'un procès lors duquel les règles fondamentales relatives à l'équité des procès énoncées à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n'ont pas été respectées est une violation du droit à la vie. De ce fait, elle encourage vivement tous les États qui maintiennent encore la peine de mort à instituer immédiatement un moratoire sur les exécutions et à créer des commissions d'enquête chargées d'établir dans quelle mesure les garanties et restrictions concernant l'application de la peine de mort sont respectées. Dans le rapport sur la peine capitale qu'il a présenté au Conseil économique et social, le Secrétaire général s'est déclaré préoccupé de constater que les États favorables au maintien de la peine capitale ne publiaient aucune statistique officielle sur le recours à ce châtiment (E/2000/3, par. 20). Le manque d'information dans ce domaine empêche de contrôler que les garanties de protection des droits des personnes risquant la peine capitale sont bien respectées.
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VII. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
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B. Recommandations
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11. Peine capitale
119. La Rapporteuse spéciale constate que les garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort ne sont pas respectées dans un grand nombre des cas qui ont été portés à sa connaissance. Elle est également préoccupée par le manque de transparence et d'information sur la peine capitale et l'exécution des sentences de mort. Elle invite par conséquent tous les gouvernements des pays dans lesquels la peine capitale existe encore à instituer un moratoire sur les exécutions et, avant que celles-ci ne reprennent, à mettre en place des commissions nationales pour rendre compte de la situation à la lumière des normes et des résolutions internationales. Il n'est procédé à l'exécution de personnes condamnées à mort pour des crimes commis quand elles avaient moins de 18 ans que dans un très petit nombre de pays. Il y a pratiquement consensus sur le fait que cela ne devrait pas être possible. La Rapporteuse spéciale engage les quelques pays qui exécutent encore des enfants à abolir cette pratique. Afin de s'assurer que les garanties entourant l'imposition de la peine capitale sont bien respectées, il faudrait faire en sorte que toutes les décisions judiciaires pertinentes soient rendues publiques et portées à la connaissance des mécanismes qui surveillent l'application de cette peine.
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