Rapport
1
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Rapporteur: M
me Renate WOHLWEND, Liechtenstein, Group du Parti populaire européen
Résumé
L'Assemblée parlementaire s'oppose de principe à la peine de mort en toutes circonstances. L'expérience européenne a montré de façon incontestable que la peine de mort n'est pas nécessaire pour enrayer les crimes violents.
Les Etats-Unis d'Amérique et le Japon, en tant qu'Etats observateurs, et le Bélarus, qui aspire à devenir membre du Conseil de l'Europe, sont invités à se joindre au consensus croissant des pays démocratiques qui protègent les droits de l'homme et la dignité humaine en abolissant la peine capitale.
Le rapport adresse une liste de recommandations spécifiques aux Etats-Unis, au Japon et au Belarus visant à promouvoir un moratoire suivi de l'abolition définitive de la peine de mort.
A. Projet de résolution2
1. L'Assemblée parlementaire réitère son opposition de principe à la peine de mort en toutes circonstances. Elle est fière d'avoir contribué avec succès à éradiquer ce châtiment inhumain et dégradant dans presque toute l'Europe, en ayant fait de l'abolition de la peine de mort une condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.
2. L'expérience européenne a montré de façon incontestable que la peine de mort n'est pas nécessaire pour enrayer les crimes violents et que les dirigeants politiques ayant ouvert la voie à l'abolition n'ont pas eu à subir de réactions hostiles de la part de l'opinion publique.
3. L'Assemblée exhorte les Etats-Unis d'Amérique et le Japon, en tant qu'Etats observateurs, et le Bélarus, qui aspire à devenir membre du Conseil de l'Europe, à se joindre au consensus croissant des pays démocratiques qui protègent les droits de l'homme et la dignité humaine en abolissant la peine de mort.
4. S'agissant des Etats-Unis d'Amérique, l'Assemblée:
4.1. félicite les Etats américains qui ont récemment aboli la peine de mort (en particulier le Nouveau-Mexique, le New Jersey et l'Etat de New York) et invite les autres Etats, ainsi que l'Etat fédéral, à suivre leur exemple;
4.2. regrette que l'application arbitraire et partiale de la peine de mort aux Etats-Unis et les scandales publics entourant les différentes méthodes d'exécution en usage (injection létale, chaise électrique, peloton d'exécution) aient entaché la réputation de ce pays, sur lequel comptent ses amis pour être un modèle pour les droits de l'homme;
4.3. estime que, plus particulièrement en ces temps de restrictions budgétaires, les ressources limitées seraient mieux utilisées pour améliorer la prévention de la criminalité et accroître le taux d'élucidation des crimes graves plutôt que pour mener de longues batailles juridiques en vue de mettre à mort les auteurs de crimes.
5. De même, dans l'affaire Avena (
Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) de la Cour internationale de justice, l'Assemblée demande instamment:
5.1. que le législateur fédéral promulgue une législation autorisant les ressortissants mexicains condamnés à mort sans avoir pu bénéficier de l'assistance consulaire prévue par la Convention de Vienne sur les relations consulaires à être rejugés suivant les procédures adéquates;
5.2. que toutes les autorités judiciaires des Etats-Unis aient la possibilité de garantir qu'à l'avenir tout ressortissant étranger risquant la peine de mort bénéficie d'une assistance consulaire appropriée, conformément aux obligations internationales des Etats-Unis en vertu de la Convention de Vienne.
6. S'agissant du Japon, l'Assemblée:
6.1. se déclare extrêmement déçue de l'occasion manquée de la présence dans les récents gouvernements de ministres de la justice ouvertement abolitionnistes. Des moratoires de fait ont malheureusement été suivis d'une poursuite de la pratique atroce d'exécutions effectuées dans le plus grand secret et prenant les condamnés à mort et leurs familles par surprise;
6.2. espère que la récente introduction du système de procès avec jury au Japon contribuera à accroître la sensibilisation de la population à la fois à la cruauté du système de la peine de mort et à sa faillibilité, promouvant ainsi son abolition éventuelle.
7. S'agissant du Bélarus, l'Assemblée, rappelant ses
Résolutions 1671 (2009) et 1727 (2010):
7.1. condamne vivement la poursuite des exécutions depuis 2008, qui ont causé beaucoup de tort à la crédibilité de la demande du Bélarus de se rapprocher de la famille des Etats européens démocratiques qui protègent les droits de l'homme et la dignité humaine;
7.2. exhorte les autorités compétentes à déclarer un moratoire sur les exécutions sans autre délai et à prendre les mesures nécessaires pour abolir la peine de mort en droit.
B. Exposé des motifs, par Mme Wohlwend, rapporteur
Sommaire
Page
1. Introduction 3
2. Evolutions en Europe: une reconnaissance croissante de la peine de mort en tant que violation des droits de l'homme 4
2.1. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme 4
2.2. Evolutions dans la Fédération de Russie 5
2.3. Bélarus: le «trou noir» dans une Europe dans l'ensemble abolitionniste 6
2.4. Abolition en toutes circonstances: Protocole n° 13 7
3. Evolutions aux Etats-Unis d'Amérique 7
3.1. De lents progrès vers l'abolition 7
3.2. Echec persistant dans l'exécution de l'arrêt Avena (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) de la Cour internationale de justice 9
3.2.1. Obligations conventionnelles des Etats-Unis 9
3.2.2. L'affaire Avena de la Cour internationale de justice 10
3.2.3. L'affaire Medellín de la Cour suprême des Etats-Unis et la position de l'administration Bush 10
3.2.4. Conclusion: une législation est de toute urgence nécessaire pour garantir le respect de la décision Avena 11
4. Evolution au Japon: déception malgré la présence temporaire de ministres de la justice abolitionnistes au sein du gouvernement 11
5. Bref rappel des principaux motifs en faveur de l'abolition 12
5.1. Irréversibilité de la peine de mort 12
5.2. Application arbitraire et partiale de la peine de mort 13
5.3. Inefficacité de la peine de mort 13
5.4. Coût 14
5.5. Obligations et opinion internationales 14
Annexe: Lettre de M
me Renate Wohlwend, rapporteur, et M. Christos Pourgourides, Président de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, à M
me Hillary Rodham Clinton, Secrétaire d'Etat, Etats-Unis d'Amérique, en date du 26 avril 2010 (en anglais) 15
1. Introduction
1. Le 23 juin 2008, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a été saisie pour rapport sur le thème «La peine de mort dans les Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe - une violation inadmissible des droits de l'homme»
3. Le 29 septembre 2008, la commission a été saisie pour rapport sur le sujet connexe «Respect de la décision de la Cour internationale de justice dans l'affaire Avena»
4. Lors de sa réunion du 10 novembre 2008, la commission m'a désignée comme rapporteur pour ces deux thèmes. Le 29 janvier 2009, la commission a décidé de traiter les deux sujets ensemble dans le cadre du présent rapport. Dans un souci de synthèse, le titre du rapport ne fait pas expressément référence à l'affaire Avena
(même si, en effet, ce dernier sujet fait partie intégrante du rapport).
2. Du 24 au 26 février 2010, j'ai assisté, avec une sous-commission ad hoc constituée à cette fin
5, au 4
e Congrès mondial pour l'abolition de la peine de mort à Genève, où j'ai prononcé un discours
6 en plénière et tenu des réunions d'information à l'intention de parlementaires et d'experts, en particulier originaires des Etats-Unis d'Amérique, du Japon et du Bélarus. J'ai rencontré l'ambassadeur Rafael Valle Garagorri, qui venait d'être désigné par le premier ministre espagnol à la tête d'une nouvelle initiative diplomatique ayant pour objectif l'abolition. La Commission internationale contre la peine de mort a pour objectif de promouvoir l'abolition de la peine de mort partout dans le monde. Elle est composée d'un président, Federico Mayor Zaragoza, ancien directeur général de l'UNESCO, et d'un maximum de 10 commissaires, personnalités de stature internationale, à l'autorité morale et à l'expertise reconnue en matière de droits de l'homme.
3. Lors de la réunion de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme du 26 avril 2010, j'ai été autorisée à écrire une lettre à la Secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique concernant la mise en oeuvre de l'arrêt Avena de la Cour internationale de justice (CIJ), conjointement avec le Président de la commission, M. Christos Pourgourides (en annexe).
4. Pendant toute la durée de mon mandat, je suis intervenue en tant que rapporteur sur l'abolition de la peine de mort dans des Etats observateurs afin de m'élever contre les menaces d'exécution dans les Etats observateurs du Conseil de l'Europe et au Bélarus, et contre les exécutions partout dans le monde qui menacent des Européens
7.
5. L'Assemblée parlementaire s'est toujours consacrée à la cause abolitionniste, invitant à plusieurs reprises les Etats membres du Conseil de l'Europe à signer et à ratifier - en plus du Protocole n° 6 qui prévoit l'abolition de la peine de mort en temps de paix
8 - le Protocole n° 13
9, qui oblige les signataires à abolir la peine de mort en toutes circonstances. Elle continue à exercer des pressions sur les Etats observateurs du Conseil de l'Europe, en particulier les Etats-Unis et le Japon, pour qu'ils abolissent la peine capitale
10. L'Assemblée a également décidé qu'elle ne réactivera le statut d'invité spécial pour le Parlement du Bélarus qu'à la condition qu'il introduise au préalable un moratoire sur les exécutions
11.
6. Le Conseil de l'Europe a de plus en plus fondé ses arguments contre la peine capitale sur la Convention européenne des droits de l'homme («CEDH»), qui énonce le droit à la vie et l'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants
12. Comme nous le verrons
13, la Cour européenne des droits de l'homme en est presque venue à conclure que la reconnaissance explicite de la peine de mort à l'article 2 de la CEDH est désormais obsolète. Mettant en avant l'obligation positive de l'Etat de protéger la vie et soulignant les conditions inhumaines régnant dans les couloirs de la mort, qui sont physiquement et psychologiquement équivalentes à de la torture, ainsi que les méthodes tout aussi inhumaines et dégradantes d'exécution en usage dans les pays non abolitionnistes, le Conseil de l'Europe a enregistré quelques progrès au cours de la dernière décennie sur la voie de l'abolition en Europe et au niveau mondial, et en particulier dans ses Etats observateurs et ceux qui souhaitent devenir membre du Conseil
14. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire
15. Les Etats-Unis d'Amérique, le Japon et le Bélarus en particulier demeurent des exemples frappants d'Etats qui continuent à imposer la peine capitale.
7. Le présent rapport entend passer en revue les évolutions dans ces Etats depuis la dernière fois que l'Assemblée a fait le point sur la situation de la peine de mort, en mettant l'accent sur les Etats observateurs - les Etats-Unis d'Amérique et le Japon. Il rappellera aussi brièvement pourquoi les Etats non abolitionnistes pourraient tirer parti de l'abolition. Mais pour commencer, j'aimerais faire le point sur la situation en Europe.
2. Evolutions en Europe: une reconnaissance croissante de la peine de mort en tant que violation des droits de l'homme
2.1. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
8. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a évolué de telle manière que l'on peut parler d'un consensus croissant en Europe affirmant que la peine de mort constitue une violation des droits de l'homme.
9. Dans son arrêt de 1989 dans l'affaire
Soering c. Royaume-Uni, la Cour a estimé qu'extrader le requérant, accusé de meurtre, vers un pays (les Etats-Unis d'Amérique) où il risquait d'être exécuté ne constituait pas une violation de l'Article 2 (droit à la vie), en raison de la référence explicite à la peine de mort en tant qu'exception au droit à la vie énoncée à l'article 2, paragraphe 1, deuxième phrase. Cependant, la Cour a estimé que les conditions dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis étaient équivalentes à un traitement cruel, inhumain et dégradant:
«[Eu égard] à la très longue période à passer dans le "couloir de la mort" dans des conditions aussi extrêmes, avec l'angoisse omniprésente et croissante de l'exécution de la peine capitale, et à la situation personnelle du requérant, en particulier son âge et son état mental à l'époque de l'infraction, une extradition vers les Etats-Unis exposerait l'intéressé à un risque réel de traitement dépassant le seuil fixé par l'article 316.»
10. Seize ans plus tard, dans l'affaire
Öcalan c. Turquie, la Cour semblait prête à traiter la question de la peine de mort comme violant l'Article 2, malgré la référence explicite à ce châtiment dans cet article, compte tenu de l'évolution du consensus contre la peine capitale en Europe. L'arrêt de chambre renvoyait à l'affaire
Soering, considérant que le temps était peut-être venu de reconnaître que la pratique des Etats avait changé eu égard à la peine de mort au point de rendre la référence à l'article 2 obsolète. Une fois saisie, la Grande Chambre de la Cour a éludé la question. Rappelant le «nombre élevé d'Etats qui n'ont pas signé ou ratifié le Protocole n° 13 relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances», la Cour ne pouvait pas encore «constater que les Etats contractants ont une pratique établie de considérer l'exécution de la peine de mort comme un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention, compte tenu du fait que cette dernière disposition n'admet aucune dérogation, même en temps de guerre.» La Grande Chambre a jugé inutile «de parvenir à une conclusion définitive sur ces points puisque, [...] il serait contraire à la Convention, même si l'article 2 de celle-ci devait être interprété comme autorisant toujours la peine de mort, d'exécuter une telle peine à l'issue d'un procès inéquitable»
17. Ainsi, étant donné que M. Öcalan, selon la Cour, «n'a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial (en raison de la présence d'un juge militaire parmi les magistrats de la Cour de sûreté de l'Etat), que les médias ont exercé sur les juges une influence défavorable pour lui et que ses avocats n'ont pas eu un accès suffisant au dossier du procès pour assurer convenablement sa défense», la Cour a conclu à une violation fondée sur un traitement inhumain à la suite d'un procès inéquitable plutôt que de considérer que la peine de mort constituait en soi une violation de l'article 2
18.
11. En 2010, la Cour a fait un autre pas en avant sur la question de la peine de mort et de l'article 2 dans l'affaire
Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni. Évaluant les progrès enregistrés en matière de ratification et la jurisprudence eu égard à la peine de mort depuis l'arrêt
Soering, la Cour a conclu que:
«le droit découlant de l'article 1er du Protocole n° 13 de ne pas être condamné à la peine de mort, qui n'admet aucune dérogation et s'applique en toutes circonstances, compte, avec les droits énoncés aux articles 2 et 3, comme un droit fondamental, consacrant l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe. Il faut donc en interpréter les dispositions de manière étroite.
...
[Le fait que] tous les Etats membres sauf deux ont maintenant signé le Protocole n° 13 et tous les Etats signataires sauf trois l'ont ratifié . . . [plus] la pratique cohérente des Etats de respecter le moratoire sur la peine capitale montrent clairement que l'article 2 a été amendé de façon à interdire la peine de mort en toutes circonstances».
12. Ainsi, pour la première fois, la Cour s'est fondée sur l'article 2 de la CEDH, nonobstant sa formulation, pour justifier le devoir de ne pas expulser ou extrader une personne qui court le risque grave d'être condamnée à mort par le pays d'accueil. La Cour a estimé que le consensus européen contre la peine de mort avait atteint un point de maturité suffisant pour passer outre «l'exception de la peine de mort» explicite à l'article 2 de la CEDH - droit à la vie.
2.2. Evolutions dans la Fédération de Russie
13. S'agissant de la Fédération de Russie, la ratification du Protocole n° 6, et donc l'abolition de la peine de mort en droit - conformément à l'engagement spécifique pris par la Russie avant d'adhérer au Conseil de l'Europe - est toujours en attente. Mais la Douma d'Etat a prolongé le moratoire sur la peine de mort en novembre 2006 jusqu'à 2010, et à la fin de l'année 2009, la Cour constitutionnelle russe l'a encore une fois prolongé «jusqu'à la ratification du Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme», interdisant ainsi dans les faits les exécutions en temps de paix
19.
2.3. Bélarus: le «trou noir» dans une Europe dans l'ensemble abolitionniste
14. La situation au Bélarus est très bien décrite par le témoignage d'Oleg Alkaev
, directeur de la maison d'arrêt (SIZO) n° 1 de Minsk de décembre 1996 à mai 2001, s'adressant à Amnesty international en janvier 2009
20:
«Le détenu a les yeux bandés et ses mains sont attachées dans le dos, et il est emmené dans une autre pièce. On lui dit qu'on va le tenir afin qu'il ne s'assoie pas n'importe où. On l'oblige à se mettre à genoux, et en une seconde, il est abattu. Je ne me souviens pas de cas où le détenu se soit débattu ou ait lutté. Leur volonté est anéantie. Ils sont au bord de la folie. Ils savent qu'ils vont mourir mais ne savent pas combien de temps il leur reste, ça pourrait être cinq minutes ou bien 15, mais ils pensent qu'ils ont encore le temps et se contentent de ça.»
15. J'aimerais rappeler qu'Oleg Alkaev est aussi un témoin clé en ce qui concerne l'utilisation présumée du pistolet d'exécution officiel dans une série d'exécutions extrajudiciaires qui ont fait l'objet d'un rapport important de Christos Pourgourides sur les disparitions de personnalités éminentes au Bélarus
21.
16. Le Bélarus aspire à devenir membre du Conseil de l'Europe. Le maintien de la peine de mort dans le pays en violation à la fois du droit à la vie et de l'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants constitue un obstacle majeur à la levée de la suspension du statut d'invité spécial et à l'adhésion.
17. En février 2008, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe de l'époque, Terry Davis, condamnait les exécutions de Syarhey Marozaw, Valery Harbaty et Ihar Danchenka. «Je suis révolté par la volonté persistante des autorités du Bélarus d'isoler leur pays du reste de l'Europe», notait Terry Davis. «Par ces condamnations à mort, elles semblent fières de défier les valeurs humaines communes aux autres pays européens.» En avril 2008, le rapporteur de l'Assemblée sur la situation au Bélarus exhortait ce pays à abolir la peine capitale, dans une lettre ouverte aux présidents des deux chambres du Parlement du Bélarus, qui a été publiée dans les médias officiels. En juin 2009, l'Assemblée a voté en faveur d'une invitation de son Bureau à lever la suspension du statut d'invité spécial du Parlement du Bélarus à la condition
- qui a été introduite par un amendement à la résolution à mon initiative - que le Bélarus déclare d'abord un moratoire sur l'imposition de la peine capitale22. Mais peu de temps après, deux autres exécutions ont eu lieu, celles d'Andreï Jouk
et de Vassili Iouzeptchouk23. Alors que les cas de ces deux hommes étaient en cours d'examen par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, le Bélarus a procédé à leurs exécutions «dans le secret le plus total»24. Dans sa Résolution
1727 (2010), l'Assemblée a par conséquent décidé de suspendre ses contacts à haut niveau avec les autorités du Bélarus.
18.
Lors du 4e Congrès mondial sur l'abolition de la peine de mort qui s'est tenu à Genève en février 2010, j'ai rencontré de hauts responsables du Bélarus, dont Mikalai Samaseika, président du groupe de travail sur la peine de mort récemment mis en place par le Parlement du Bélarus
25. Comme l'a justement dit le Président de l'Assemblée, Mevlüt Çavuşoğlu, en février dernier, la création même de ce groupe de travail est un pas dans la bonne direction et l'Assemblée est prête à aider le groupe de travail à lancer un débat public éclairé en vue de créer les conditions de l'abolition
26. J'aimerais rappeler dans ce contexte que la Cour suprême du Bélarus avait déjà conclu en mars 2004 que la peine de mort, en vertu de la Constitution du Bélarus, n'était qu'une mesure temporaire et qu'un moratoire sur les exécutions pouvait être déclaré à tout moment par le Président ou par le parlement
27. Il est grand temps que cette initiative soit enfin prise. Le temps des «signaux» contradictoires, de souffler le chaud et le froid, est définitivement révolu.
2.4. Abolition en toutes circonstances: Protocole n° 13
19. Outre les situations dans la Fédération de Russie et au Bélarus décrites ci-dessus, certains autres problèmes doivent encore être résolus en Europe. La Lettonie a maintenu la peine de mort dans ses textes pour certains crimes dans des circonstances exceptionnelles
28. La Russie et l'Azerbaïdjan n'ont pas signé, et l'Arménie, la Lettonie et la Pologne ont signé mais pas ratifié le Protocole n° 13 relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances
29. Ainsi, des améliorations sont encore possibles concernant l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances à l'échelle européenne.
20. Pour ce qui est de l'abolition au niveau mondial, la Coalition mondiale contre la peine de mort
30 a lancé en 2009 une campagne en vue de la ratification du Deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui est le seul traité universel interdisant les exécutions et prévoyant l'abolition totale de la peine de mort. Parmi les pays cibles figurent l'Arménie, la Lettonie et la Pologne qui sont les seuls Etats membres du Conseil de l'Europe ayant aboli la peine de mort et n'ayant toujours pas ratifié le Deuxième protocole facultatif
31.
3. Evolutions aux Etats-Unis d'Amérique
3.1. De lents progrès vers l'abolition
21. Depuis 2006, date à laquelle l'Assemblée a adopté sa dernière recommandation concernant l'abolition de la peine de mort dans les Etats membres et observateurs
32, certains progrès ont été enregistrés aux Etats-Unis, quoique lents. Au cours des trois dernières années, trois Etats ont aboli la peine capitale
33, la récente crise financière a rendu des pans entiers de la société américaine et des dirigeants des différents Etats plus ouverts aux arguments économiques en faveur de l'abolition
34, et la Cour suprême a fait preuve de sa volonté de considérer à nouveau la question de la constitutionnalité des exécutions
35.
22. Les chiffres viennent étayer la tendance abolitionniste dans la société américaine. Bien que le taux d'exécutions ait augmenté précipitamment depuis que la Cour suprême a rétabli la peine de mort en 1976
36, leur nombre est resté stable ces dernières années, s'établissant autour de 45 par an. Si les chiffres recensant le nombre de personnes mises à mort sur une base annuelle ne sont guère encourageants (42 en 2007
37, 37 en 2008
38 et 52 en 2009
39), le nombre de condamnations à mort prononcées ces trois dernières années est plus révélateur des tendances actuelles. Les condamnations à mort sont en baisse: le total de 106 condamnations à mort qui, selon le Centre américain d'information sur la peine de mort, ont été prononcées sur tout le territoire des Etats-Unis pour 2009, représenterait la septième année consécutive de baisse et le total annuel le plus bas depuis la reprise des exécutions en 1977
40. En outre, ces trois dernières années, des lois sur l'abolition de la peine de mort ont été adoptées dans les Etats de New York, du New Jersey et du Nouveau-Mexique, ramenant le nombre des Etats abolitionnistes à 15, plus le District de Columbia en tant que 16
e juridiction (non étatique) abolitionniste. Si l'abolition
de jure de la peine de mort dans ces Etats peut être considérée comme une simple formalité, puisque les trois Etats avaient à des degrés divers observé un moratoire depuis 1976 (New York et New Jersey le respectant strictement, et le Nouveau-Mexique de manière plus libre)
41, l'abrogation de fait de la peine capitale dans ces Etats a fait la une des journaux à travers tous les Etats-Unis et ouvert la voie à un débat concernant la moralité, l'efficacité et la faisabilité économique de ce châtiment.
23. La question des coûts du système de la peine capitale a permis au mouvement abolitionniste de faire de réels progrès, compte tenu des économies déprimées des Etats et de la diminution des fonds disponibles pour les programmes sociaux et de maintien de l'ordre. Comme au Nouveau-Mexique, où les considérations économiques ont été décisives pour l'abolition de la peine de mort décidée par le gouverneur Bill Richardson, de nombreux gouverneurs et citoyens d'Etats historiquement favorables à la peine capitale mais en manque de fonds réexaminent leurs options. Dans les Etats du Colorado, du Kansas, du Maryland, du Montana, du New Hampshire, du Nebraska, en plus de celui du Nouveau-Mexique, la crise économique et ses répercussions sur les budgets publics ont ouvert des débats sur l'abolition de la peine capitale comme moyen de réduire les coûts. Dans ces Etats, les électeurs préféreront peut-être utiliser les sommes d'argent actuellement investies dans les batailles juridiques face aux appels contre les condamnations à mort pour des programmes sociaux qui amélioreront les écoles ou stimuleront le développement pendant la récession. Une attention particulière a été portée sur le fait que l'argent dépensé pour maintenir les détenus dans les couloirs de la mort pourrait être mieux utilisé au Maryland, où des études ont estimé que le coût d'une
seule exécution s'élevait à la somme astronomique de 37 millions de dollars
42. Curieusement, dans d'autres Etats comme le Texas et la Californie - où il y a le plus grand nombre d'exécutions par an et le plus grand nombre de détenus dans les couloirs de la mort respectivement
43 - l'argument économique en faveur de l'abolition n'a guère été entendu
44. D'un point de vue financier, la Californie est l'Etat qui bénéficierait le plus de l'abolition. Le coût annuel du système de la peine capitale en Californie est évalué à US$137 millions. L'abrogation de la peine de mort et son remplacement par la réclusion à perpétuité permettraient d'économiser près de 92%, soit 125,5 millions de dollars par an
45. Ces fonds pourraient être investis dans des ressources supplémentaires pour la police afin de faire monter le taux lamentable d'élucidation des crimes violents en Californie, qui est très en-deçà de la barre des 50%
46.
24. La Cour suprême des Etats-Unis laisse aussi deviner des failles dans sa carapace anti-abolition. Après l'invalidation temporaire par la Cour de la peine capitale dans l'affaire Furman c. Géorgie en 1972, elle n'a pas souhaité réexaminer la question de la constitutionnalité de la peine de mort jusqu'en 2007. À cette époque, dans les trois semaines qui ont suivi la décision en l'affaire Baze c. Rees d'envisager un recours fondé sur le huitième amendement («peines cruelles ou inhabituelles») contre l'exécution par injection létale
47, la Cour est intervenue pour stopper trois autres exécutions pour des motifs liés au huitième amendement
48. Bien que la Cour ait finalement conclu dans l'affaire Baze que les injections létales ne constituaient pas une violation du huitième amendement, il est encourageant de considérer qu'elle a fait preuve d'une certaine tendance au cours de la dernière décennie consistant à être plus critique vis-à-vis de la peine de mort, au moins dans certains cas. La Cour a par exemple proscrit l'exécution d'un détenu retardé mental en 2002 dans l'affaire Atkins c. Virginie
49 ainsi que l'application de la peine de mort à des délinquants mineurs en 2005 dans l'affaire Roper c. Simmons
50, et son examen de la légalité des injections létales a eu pour effet d'instaurer un moratoire provisoire sur les exécutions dans toute la nation.
25. Un autre signe de progrès sur la voie de l'abolition provient d'un autre organe juridique puissant, l'
American Law Institute. Chargé de formuler des synthèses («
restatements») et des modèles de codes de droit, l'ALI est capable de façonner sa propre version de la législation. Les
restatements et codes de l'Institut sont cités comme des sources persuasives dans presque toutes les juridictions et domaines de droit aux Etats-Unis, et plutôt que de simplement «réitérer» le droit jurisprudentiel en vigueur, ces publications sont par nature novatrices et tournées vers l'avenir. Cet organe a voté en octobre 2009 pour le retrait de l'article 210.6 de son modèle de Code pénal, recommandant
que celui-ci n'inclue plus la peine de mort, «au vu des obstacles actuels insurmontables d'ordre structurel et institutionnel empêchant la mise en oeuvre d'un système minimal approprié dans la gestion de la peine capitale»
51.
26. Le Conseil de l'
American Law Institute, dans son rapport à ses membres, déclarait qu'«à moins d'être certains de pouvoir recommander des procédures répondant aux plus importantes des préoccupations, l'Institut ne devrait pas continuer à jouer un rôle de légitimation de la peine capitale, intentionnellement ou non, en maintenant l'article dans le modèle de Code pénal»
52. Selon le Centre d'information sur la peine de mort, «par cette initiative, l'
American Law Institute se retire de toute tentative visant à créer un système de peine de mort acceptable parce que le système s'est révélé inutilisable»
53.
27. Du point de vue de l'opinion publique, cependant, les récentes évolutions laissent moins d'espoir. Un sondage Gallup d'octobre 2009 révèle qu'au niveau fédéral, 65% des citoyens soutiennent encore la peine de mort pour une personne condamnée pour meurtre
54. Ce chiffre ne révèle aucune tendance à la baisse au cours de la décennie écoulée, tournant autour de 64 à 70%. En réalité, 80% des Américains estiment que la peine de mort n'est pas assez souvent imposée ou qu'elle est imposée à la bonne fréquence, bien que la plupart des Américains pensent qu'au moins une personne innocente a été exécutée aux Etats-Unis au cours des cinq dernières années
55. Bien que les législateurs et responsables politiques américains invoquent l'important soutien en faveur de la peine capitale comme étant un obstacle à son abolition, il est important de noter que la peine de mort jouissait d'un soutien populaire au moment de son abolition dans tous les Etats abolitionnistes actuels
56.
3.2. Echec persistant dans l'exécution de l'arrêt Avena (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique) de la Cour internationale de justice
3.2.1. Obligations conventionnelles des Etats-Unis
28. Ratifiée par plus de 170 pays, la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 réglemente la création et le fonctionnement des consulats au niveau mondial. L'article 36 de cette convention réglemente la communication consulaire et les contacts avec les ressortissants étrangers. Lorsque des étrangers sont appréhendés, arrêtés ou placés en détention, les autorités doivent les informer sans délai de leur droit de communiquer avec le consulat et de prévenir le consulat de leur arrestation. A la demande du ressortissant étranger, le consulat doit alors être informé sans délai. L'Article 36 confère aussi le droit aux consulats de communiquer avec leurs ressortissants détenus, de leur rendre visite et de leur proposer de l'aide, y compris le droit de pourvoir à leur représentation en justice. L'article exige ensuite que les lois et règlements locaux doivent permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés aux étrangers retenus et à leurs représentants consulaires. Un accès en temps opportun à l'assistance consulaire est d'une importance cruciale lorsque des individus risquent d'être jugés dans le cadre d'un système juridique étranger souvent peu familier.
29. Les droits et obligations découlant de l'article 36 sont réciproques par nature. Comme l'a déclaré la Secrétaire d'Etat Madeleine Albright en 1998
57, la capacité des consulats américains à fournir une telle assistance dépend fortement de la mesure dans laquelle les gouvernements étrangers honorent leurs obligations de notification consulaire vis-à-vis des Etats-Unis. Par ailleurs, les Etats-Unis doivent être prêts à accorder à d'autres pays le même respect scrupuleux des exigences de notification consulaire que celui auquel ils s'attendent pour eux-mêmes et leurs ressortissants à l'étranger de la part de ces pays.
30. Les Etats-Unis ont ratifié la Convention de Vienne sur les relations consulaires sans réserves en 1969, mais le respect des obligations énoncées à l'article 36 a longtemps été défaillant - même dans les cas où des ressortissants étrangers risquaient la peine capitale s'ils étaient reconnus coupables.
31. En 1969, les Etats-Unis ont également ratifié sans condition le Protocole de signature facultative à cette convention concernant le règlement obligatoire des différends, selon lequel les différends concernant l'interprétation ou l'application de l'article 36 relèvent de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice. En vertu de l'article 59 du Statut de la CIJ, ses décisions dans de tels cas sont obligatoires pour les parties en litige; en vertu de l'article 94 (1) de la Charte des Nations-Unies, chaque membre des Nations Unies s'engage à se conformer à la décision de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie. Les Etats-Unis ont en fait été le premier pays à saisir la justice en vertu du Protocole facultatif à la Convention de Vienne, en réaction à l'enlèvement du personnel diplomatique et consulaire américain en Iran en 1979.
3.2.2. L'affaire Avena de la Cour internationale de justice
32. En janvier 2003, le Mexique a saisi la CIJ au nom d'un groupe de ressortissants mexicains qui avaient été condamnés à mort sans avoir été informés de leurs droits consulaires. Le Mexique demandait à la Cour d'examiner si ses ressortissants mexicains avaient le droit à des voies de recours légales pour violation de l'article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Les Etats-Unis ont participé pleinement à l'affaire, qui a été intitulée Avena et autres ressortissants mexicains.
33. Dans cette procédure, le Mexique cherchait à s'assurer que chacun de ses ressortissants reçoive la protection auquel il avait droit en vertu du droit interne et du droit international.
34. La CIJ a rendu son jugement le 31 mars 2004. Elle a constaté des violations de l'article 36 dans 51 des 52 cas examinés. La Cour a estimé que les tribunaux américains devaient «réexaminer et réviser» les condamnations et les peines prononcées afin de déterminer dans chaque cas si la violation de l'article 36 portait atteinte aux droits de l'accusé.
3.2.3. L'affaire Medellín de la Cour suprême des Etats-Unis et la position de l'administration Bush
35. En 2004, dans l'affaire Medellín c. Dretke, la Cour suprême des Etats-Unis a accepté d'examiner si l'arrêt Avena devait être exécuté par les tribunaux nationaux. Toutefois, avant que la Cour n'entende une argumentation orale dans cette affaire, le Président a adressé un mémorandum au ministre de la Justice des Etats-Unis déclarant:
«J'ai décidé, conformément à l'autorité qui m'est investie en tant que Président par la Constitution et les lois des Etats-Unis d'Amérique, que les Etats-Unis s'acquitteront de leurs obligations internationales découlant de l'arrêt Avena et qu'il sera demandé aux tribunaux de l'Etat de donner effet à ladite décision, conformément aux principes généraux de courtoisie, dans les cas des 51 ressortissants mexicains traités dans cette décision».
36. Dans un mémoire déposé auprès de la Cour suprême, l'Avocat général des Etats-Unis expliquait que le respect de l'arrêt Avena «sert à protéger les intérêts des ressortissants américains à l'étranger, fait la promotion de la bonne conduite des relations étrangères et souligne l'engagement des Etats-Unis au sein de la communauté internationale en faveur de l'Etat de droit».
37. La Cour suprême a décidé de ne pas statuer sur le fond de l'affaire et a estimé au lieu de cela que la requête en
habeas corpus au niveau de l'Etat déposée par M. Medellín, fondée sur l'arrêt
Avena et le mémorandum présidentiel, devait d'abord être examinée par les tribunaux texans.
38. Une fois que les tribunaux texans eurent conclu que ni la décision
Avena ni le mémorandum présidentiel n'avaient qualité d'une loi fédérale obligatoire ayant vocation à se substituer à la procédure de l'Etat concernant l'introduction de nouvelles requêtes en
habeas corpus, la Cour suprême des Etats-Unis a de nouveau accepté d'examiner le cas de M. Medellin.
39. Dans leur mémoire à la Cour suprême, toutes les parties - y compris le Texas - sont convenues que le respect de la décision Avena était une obligation internationale contraignante; le seul litige entre les parties concernait les moyens appropriés de garantir son exécution en droit interne.
40. La Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Medellín c. Texas le 25 mars 2008. La Cour a estimé que la décision Avena n'était pas directement applicable en droit interne en l'absence d'une législation d'application et que le Président n'avait pas le pouvoir d'exécuter unilatéralement cette décision.
41. Si les opinions de la majorité, concordantes et dissidentes, différaient largement dans leurs approches des questions juridiques présentées, il y a eu l'unanimité pour dire que le respect de la décision Avena est une obligation juridique internationale des Etats-Unis et que le Congrès est compétent pour la mettre en oeuvre. La Cour a également reconnu à l'unanimité qu'il importait de garantir le respect de la décision Avena.
3.2.4 Conclusion: une législation est de toute urgence nécessaire pour garantir le respect de la décision Avena
42. Il est urgent d'adopter une législation pour garantir le respect de l'arrêt Avena. Cela a été rappelé dans une lettre adressée au secrétaire d'Etat et au ministre de la Justice le 15 octobre 2009 par un groupe de sénateurs américains. La réponse du ministère de la Justice en date du 1
er avril 2010 reconnaît que la législation serait la façon «optimale» de mettre en oeuvre la décision Avena, mais le secrétaire d'Etat doit encore réagir à la lettre des sénateurs. Dans l'intervalle, le Texas semble avoir l'intention de procéder à l'exécution d'un autre ressortissant mexicain couvert par la décision Avena.
43. À la suite d'une discussion sur ce thème au sein de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme le 26 avril 2010, j'ai donc écrit une lettre (en annexe), avec le Président de la commission, au secrétaire d'Etat américain exhortant le ministère américain des Affaires étrangères (
Department of State) de recommander au Congrès l'adoption d'une législation visant à mettre les Etats-Unis d'Amérique en conformité avec la décision
Avena, conformément à la récente reconnaissance par le ministre adjoint de la Justice que cette législation serait une façon optimale de donner effet à ce jugement en droit interne.
44. Etant fortement attachés à l'Etat de droit, une valeur généralement partagée par les Etats-Unis d'Amérique, nous avons fait clairement connaître notre trouble profond car les Etats-Unis n'ont jusqu'à ce jour pas mis en oeuvre ce jugement, qui a été prononcé il y a déjà six ans. Cela risque de créer un dangereux précédent que certains gouvernements pourront invoquer, au détriment des citoyens de tous nos pays. À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse à cette lettre.
4. Evolution au Japon: déception malgré la présence temporaire de ministres de la Justice abolitionnistes au sein du gouvernement
45. La situation au Japon est complexe. Les changements dans le système politique et judiciaire donnent une image ambiguë, tandis que les conditions dans les couloirs de la mort ne montrent guère de signes d'amélioration; le soutien de l'opinion publique en faveur de la peine de mort s'est en réalité accru, atteignant un pic jamais égalé juste au moment où la possibilité de l'abolition pointait à l'horizon.
46. D'un point de vue politique, l'étincelle d'espoir qu'avait fait naître la nomination par le Premier Ministre Yukio Hatoyama de l'abolitionniste Keiko Chiba comme ministre de la Justice semble s'être éteinte. Entre septembre 2009, moment de sa nomination, et le 2 juin 2010, date à laquelle l'administration de Hatoyama a pris fin suite à la démission du Premier Ministre, le Japon a conservé un moratoire de fait sur la peine de mort
58. Keiko Chiba est restée ministre de la Justice sous le nouveau Premier Ministre Naoto Kan, mais la double exécution de deux personnes le 28 juillet 2010
59 en la présence de la ministre a mis une fin brutale à ce moratoire de fait. Par ailleurs, malgré la position abolitionniste de la ministre Chiba, il y aurait toujours 107 personnes dans les couloirs de la mort au Japon
60. Les espoirs des abolitionnistes du monde entier qui croyaient que la ministre Chiba pourrait réformer le système pénal japonais et réussirait à abolir la peine capitale ont donc été déçus jusqu'à maintenant, même si la ministre, après les exécutions auxquelles elle a assisté, a annoncé la création d'un groupe de travail chargé de revoir la question de la peine de mort et souligné le besoin d'un débat approfondi à ce sujet. Si l'on en croit l'histoire, il est peu probable que l'abolition de ce châtiment puisse résulter du bref mandat politique d'un seul ministre de la Justice abolitionniste. Entre 1989 et 1993, par exemple, quatre ministres successifs avaient refusé d'autoriser les exécutions, mais en vain. Leurs mandats ont été suivis par une période particulièrement cruelle sous l'ancien ministre de la Justice Kunio Hatoyama (baptisé «la Faucheuse» par les opposants à la peine de mort parce qu'il avait signé 13 ordres d'exécution en moins d'un an, autorisant ainsi davantage d'exécutions au Japon qu'au cours de n'importe quelle année écoulée depuis 1975
61) et ses deux successeurs, Okiharu Yasuoka et Eisuke Mori,
qui ont inversé la tendance dans le pays.
47. Ces dernières années, le soutien de l'opinion publique à la peine capitale au Japon s'est même accru, atteignant 85,6%, soit un saut de quatre points depuis 2004
62. En outre, l'atmosphère de secret qui entoure le processus d'exécution au Japon continue de masquer la vérité, les citoyens japonais demeurant dans l'ensemble peu informés des conditions régnant dans les couloirs de la mort et du processus judiciaire. Comme cela a été le cas depuis de nombreuses années, les informations sur les couloirs de la mort se limitent au fait que les condamnés n'ont pas le droit de parler à quiconque en dehors de leur famille proche et de leurs avocats. Même la communication avec les autres détenus ou avec les surveillants est interdite. Hormis le fait d'être soumis à l'isolement, les condamnés à mort sont contraints de rester assis sans bouger et sont observés par des caméras 24 heures sur 24. Ils ne sont informés de la date de leur exécution que le jour même, et leurs familles n'en sont informées qu'après coup
63. Amnesty International est à l'origine d'un travail de recherche important sur la santé mentale des détenus des couloirs de la mort
64.
48. Les Japonais ne sont dans l'ensemble pas informés du système des exécutions dans leur propre pays. Ce manque de transparence est particulièrement troublant d'autant que dans le nouveau système - établi en 2008 - des juges non professionnels peuvent condamner à mort une personne reconnue coupable. Ces jurys de «juges citoyens» se composent de six non-juristes et de trois juges professionnels
65. On espère cependant que cette nouvelle évolution du système judiciaire donnera à l'opinion publique japonaise un aperçu de la complexité du système pénal et que les «juges citoyens» exigeront davantage de transparence afin d'être capables de prendre véritablement des décisions en toute connaissance de cause.
5. Bref rappel des principaux motifs en faveur de l'abolition66
5.1. Irréversibilité de la peine de mort
49. En tant qu'êtres humains faillibles, nous ne saurions prétendre être capables de mettre en place un système pénal exempt d'erreurs. Compte tenu de la probabilité de reconnaître coupable et de condamner un innocent, il est inacceptable d'imposer une sanction qui soit permanente et irréversible. Un système qui condamne et emprisonne un individu à tort peut prendre des mesures, si peu adéquates soient-elles, pour réparer l'erreur, mais dès lors qu'un Etat a exécuté une personne innocente, il n'y a aucun moyen de réparer le tort causé. Les chiffres provenant du système américain prouvent que de telles erreurs sont commises à tour de bras: 139 individus dans les couloirs de la mort ont été reconnus innocents et disculpés depuis 1973
67, dans la plupart des cas sur la base d'une erreur de témoins oculaires, de négligence, voire de conduite fautive intentionnelle de la police et des autorités chargées des poursuites, d'avocats de la défense incompétents, d'erreurs scientifiques, de témoignages d'indicateurs peu fiables et de faux aveux
68.
50. Il existe encore d'autres marges d'erreur dans l'application pratique de l'arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Atkins c. Virginie, qui a estimé qu'aucune personne retardée mentale ne devait être soumise à la peine capitale. Malgré la décision Atkins et en violation du Huitième Amendement relatif à l'interdiction des peines cruelles ou inhabituelles, il existe des preuves que de nombreux Etats continuent d'exécuter des individus atteints de maladies mentales en raison d'écarts entre les normes des différents Etats quant à la définition du retard mental aux fins d'une exécution «justifiable».
5.2. Application arbitraire et partiale de la peine de mort
51. De nombreuses études, concernant notamment les Etats-Unis, montrent que la peine de mort est appliquée de manière partiale en fonction de l'appartenance raciale ou sociale des auteurs de crimes ou des victimes
69 et de leur sexe
70.
52. Harry Blackmun, juge auprès de la Cour suprême des Etats-Unis, a constaté que l'expérience de la peine de mort avait échoué. Après deux décennies de lutte pour mettre en place un système judiciaire appliquant la peine capitale qui serait cohérent, juste et exempt d'erreurs, Blackmun a déclaré qu'il «n'apporterait pas de petites retouches à la machinerie de la mort»
71. Des facteurs arbitraires comme la race de l'accusé et de la victime, le choix opportun des représentants légaux des accusés, la juridiction devant laquelle l'accusé est condamné, la question de savoir si le gouverneur de cette juridiction est en phase de réélection, sont très étroitement liés à l'imposition de la peine capitale. Plus particulièrement, la race est un facteur déterminant essentiel quant à savoir si la peine de mort va être prononcée. Un rapport du
General Accounting Office a conclu que «dans 82% des études [revue], il a été constaté que la race [. . .] exerçait une influence sur la probabilité d'être accusé d'un meurtre puni de la peine capitale ou d'être condamné à mort»
72, en particulier lorsque les condamnés noirs présentent des traits du visage typiquement «noirs»
73. Un autre facteur essentiel, la qualité des représentants légaux, dépasse souvent totalement le contrôle des accusés, puisque la quasi-totalité des condamnés à mort n'ont pas les moyens de se payer un défenseur et doivent être défendus par des avocats commis d'office. L'examen de 461 cas impliquant la peine capitale par le quotidien
The Dallas Morning News a révélé que près d'un condamné à mort sur quatre avait été représenté lors du procès ou en appel par des avocats commis d'office qui avaient fait l'objet de sanctions disciplinaires pour faute professionnelle à un moment donné dans leur carrière
74. Dans l'Etat de Washington, un cinquième des 84 personnes ayant été exécutées au cours des 20 dernières années avaient été représentées par des avocats qui avaient été ou ont été ultérieurement radiés de l'ordre des avocats, suspendus d'exercice ou arrêtés. Au total, le taux de radiation de l'ordre des avocats pour cet Etat est inférieur à 1%
75. Une société démocratique dévouée aux droits de l'homme ne saurait autoriser que des facteurs totalement arbitraires décident de la vie ou de la mort d'un homme entre les mains d'un Etat.
5.3. Inefficacité de la peine de mort
53. Les partisans de la peine de mort mentionnent deux principales raisons en faveur de l'imposition de la peine capitale: l'effet dissuasif et de rétribution. Cependant, les données statistiques montrent qu'aucun de ces objectifs n'est atteint lorsqu'un Etat met à mort des individus
76. La grande majorité des criminologues s'accorde à dire que la peine de mort n'a aucun effet dissuasif par rapport à ceux déjà obtenus par la réclusion de longue durée, et plus particulièrement par un taux élevé d'élucidation des infractions
77. Les homicides commis par l'Etat ne jouent pas non plus le rôle d'une justice rétributive. La durée prolongée des procédures d'appels dans les couloirs de la mort peut rouvrir de vieilles blessures pour les familles des victimes sans apporter de conclusion satisfaisante
78. Une mort supplémentaire, loin de remédier à la mort de victimes innocentes, ne fait que créer davantage de souffrances, en particulier pour la famille de la personne exécutée et ses proches. En outre, lorsque la peine de mort risque d'être ou doit
79 être prononcée pour des crimes particuliers, des individus coupables peuvent parfois être acquittés et libérés si des jurés anti-peine de mort renoncent à formuler un verdict de culpabilité s'il existe un risque que ce verdict aboutisse à une condamnation à mort pour l'accusé
80. Ainsi, la peine capitale peut conduire à des niveaux inappropriés de sanctions aux deux extrêmes.
54. Le coût de maintenir un détenu dans les couloirs de la mort est extrêmement élevé. Aux Etats-Unis, où la Constitution exige un processus judiciaire long et complexe dans les cas susceptibles d'aboutir à une condamnation à mort, les sommes que dépense l'Etat dans les batailles juridiques pour les appels concernant les condamnations à mort pourraient être mieux utilisées à d'autres fins, et en particulier pour améliorer la dissuasion en augmentant le taux d'élucidation des crimes graves
81.
5.5. Obligations et opinion internationales
55. Tandis que 139 pays ont aboli la peine de mort en droit ou en fait, le maintien de la peine capitale aux Etats-Unis et au Japon les place en compagnie d'Etats tels que la Chine, l'Arabie Saoudite, la Corée du Nord, la Somalie et l'Iran, qui appliquent toujours la peine de mort à grande échelle
82.
56. Par ailleurs, le maintien de la peine de mort aux Etats-Unis et au Japon est contraire selon moi à leurs obligations en tant qu'Etats observateurs du Conseil de l'Europe. En vertu de la Résolution statutaire (93) 26 relative au statut d'observateur, un Etat souhaitant devenir un Etat observateur du Conseil de l'Europe doit être prêt à accepter les principes de la démocratie et de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales
83. Comme nous l'avons vu ci-dessus, l'imposition de la peine de mort a été reconnue en Europe comme étant contraire à ces idéaux, bafouant l'article 2 de la CEDH, le droit à la vie, ainsi que l'article 3, l'interdiction de traitements inhumains et dégradants. Alors que deux Etats ayant le statut d'observateurs - le Canada et le Mexique - ont aboli la peine de mort, le Japon et les Etats-Unis continuent de l'appliquer. L'Assemblée a donc estimé que le Japon et les Etats-Unis violaient leurs obligations au titre de la Résolution statutaire (93) 26
84.
57. Compte tenu du consensus international qui s'intensifie contre la peine capitale, au moins parmi les pays ayant une forte tradition de respect des droits de l'homme, l'imposition de la peine de mort entre de plus en plus en conflit avec les obligations légales internationales. Ainsi, en exécutant José Ernesto Medellín à la suite du jugement dans l'affaire Medellín c. Texas
85, les Etats-Unis n'ont pas tenu compte de l'arrêt de la Cour internationale de justice dans l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)
86 et se sont ainsi retrouvés dans la position de violer la Charte des Nations unies et la Convention de Vienne
87.
Annexe
Lettre de Mme Renate Wohlwend, rapporteur, et M. Christos Pourgourides, Président de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme à Mme Hillary Rodham Clinton, Secrétaire d'Etat, Etats-Unis d'Amérique, en date du 26 avril 2010 (en anglais)
...
As Chair of the Committee on Legal Affairs and Human Rights of the Council of Europe's Parliamentary Assembly, and, respectively, as the Assembly's rapporteur on the death penalty in the Council of Europe's observer states, we the undersigned warmly invite the United States to implement the decision of the International Court of Justice (ICJ) in
Avena and Other Mexican Nationals. Our
Committee of 83 lawmakers from the Council of Europe's 47 member states discussed the implementation of the
Avena judgment at its meeting on 26 April 2010 in Strasbourg (France) and unanimously decided to address this letter to you.
The United States has a duty under the United Nations Charter and other international instruments, including the Vienna Convention on Consular Relations (VCCR) and its Optional Protocol, to comply with
Avena by providing the Mexican nationals affected by the judgment with review and reconsideration of their convictions and sentences. As we are strongly attached to the rule of law, a value generally shared by the United States, we are deeply troubled that the United States has thus far failed to implement the judgment, which was pronounced six years ago. This threatens to set a dangerous precedent which certain governments may rely upon, to the detriment of citizens of all our countries.
We understand that Senators Leahy, Kerry, Feingold, Cardin, and Franken have asked for the guidance of the Obama Administration regarding the means by which the United States can best comply with
Avena. Following the decision of the U.S. Supreme Court in
Medellín v. Texas, legislation is clearly necessary in order to enforce the ICJ's judgment in U.S. courts. We therefore strongly encourage the Department of State to recommend to Congress the passage of legislation to bring the U.S. into compliance with
Avena, in line with the recent recognition by the Assistant Attorney General that legislation would be an optimal way to give domestic legal effect to this judgment.
The Mexican nationals affected by the United States' ongoing violation of international law have been convicted of capital crimes without being given the consular assistance they were entitled to. One of the
Avena plaintiffs, José Medellín, was executed without judicial review and reconsideration of his case as required by the ICJ - an outcome that we find unacceptable. Unless the United States acts quickly and decisively to promote required legislation, other executions may follow.
We therefore warmly invite the Obama Administration to exercise leadership on this issue. Independently of the Council of Europe's general stance against capital punishment, which we share, we expect that the United States will honor its international obligations, particularly when lives are at stake.
1 Renvoi en commission:
Doc. 11606, Renvoi 3461 du 23 juin 2008;
Doc. 11675, Renvoi 3481 du 29 septembre 2008.
2 Projet de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 16 septembre 2010.
3 Renvoi 3461 du 23 juin 2008 (
Doc. 11606).
4 Renvoi 3481 du 29 septembre 2008 (
Doc. 11675).
5 , PPE/DC) et Tugrul Türkes (Turquie, GDE).
6 Disponible à l'adresse:
http://assembly.coe.int/ASP/NewsManager/EMB_NewsManagerView.asp?ID=5309&L=2.
7 Voir les déclarations du 20 avril 2010 («La rapporteuse de l'APCE appelle le Hamas à ne pas procéder à de nouvelles exécutions»); du 7 avril 2010 («Protestation